Zone euro : quatre évolutions anticipées qui pourraient freiner la croissance

Publié le 19 janvier 2018 à 17h40    Mis à jour le 26 janvier 2018 à 18h24

Patrick Artus

L’optimisme sur les perspectives de croissance de la zone euro en 2018 est général. Les prévisionnistes partent de la progression rapide du commerce mondial (plus de 4 % par an en volume), du niveau qui reste bas des taux d’intérêt (ce qui est favorable à l’immobilier, à l’investissement des entreprises), du niveau élevé de la profitabilité des entreprises, et des créations rapides d’emplois (l’emploi de la zone euro progresse de plus de 1,5 % par an).

Ce type d’analyse implique que toutes les composantes de la demande de biens et services restent en progression forte, d’où, avec cette approche, une croissance du PIB de la zone euro en 2018 nettement supérieure à 2 %.

Mais il ne faut pas oublier quatre facteurs, qui ne sont pas anticipés aujourd’hui, et qui pourraient ralentir la croissance de la zone euro.

Le premier facteur est l’importance des difficultés de recrutement des entreprises. Particulièrement en Allemagne et en France, les enquêtes montrent de très grandes difficultés d’embauche, ce qui signifie que le taux de chômage est voisin du taux de chômage structurel (le chômage que la seule progression de la demande ne permet pas de réduire, et qui dépend de facteurs structurels : coût du travail, fiscalité, compétences de la population active). Si les entreprises n’arrivent plus à embaucher des salariés ayant les compétences nécessaires, la croissance évidement sera freinée.

Le deuxième facteur est le ralentissement de la croissance aux Etats-Unis. Le taux de chômage est très faible (4,1 %), le taux de participation (la proportion de la population en âge de travailler qui se présente sur le marché du travail) n’augmente plus. La capacité à créer des emplois aux Etats-Unis va donc être réduite par le fait que «toutes les personnes employables ont un emploi». Il faut donc attendre un ralentissement de la croissance des Etats-Unis durant l’année 2018, d’un rythme de 3 % à la fin de 2017 vers la croissance réalisable au plein emploi (la croissance potentielle) qui est de l’ordre de 1,5/1,75 %. Ce ralentissement de la croissance des Etats-Unis va affecter la croissance de la zone euro par le commerce extérieur, et aussi parce que n’étant pas anticipé, il va provoquer un recul des marchés d’actions, donc un effet de richesse négatif.

Le troisième facteur est le prix du pétrole. La plupart des prévisions sont réalisées avec une hypothèse de prix du pétrole de l’ordre de 60 dollars le baril en moyenne pour 2018. Or, au début de 2018, le prix du pétrole approche 70 dollars le baril, avec la forte croissance de la demande mondiale de pétrole et les tensions géopolitiques. S’il se réalise finalement que le prix du pétrole reste autour de 70 dollars, la perte de croissance pour la zone euro due à cet écart de prix par rapport aux prévisions est de l’ordre de un quart de point, ce qui est important.

Le quatrième et dernier facteur est enfin le taux de change dollar-euro. Certes, les taux d’intérêt sont plus élevés sur le dollar que sur l’euro, et la Réserve fédérale va continuer à accroître le taux des Fed Funds en 2018 (avec deux ou trois hausses de 25 points de base) tandis que la BCE ne modifiera pas ses taux d’intérêt directeurs. Mais les écarts de taux d’intérêt ne sont pas les seuls déterminants des taux de change. Ils varient aussi avec la situation du commerce extérieur (les Etats-Unis ont un déficit de la balance courante de plus de 3 points de PIB, la zone euro a un excédent de 3 à 4 points de PIB), avec les flux de capitaux en actions (les investisseurs internationaux sont devenus à partir du printemps 2017 massivement acheteurs d’actions de la zone euro), avec la perception du risque politique.

Au début de 2018, le taux de change dollar/euro est passé au-dessus de 1,20, la poursuite de ce mouvement étant défavorable à l’industrie européenne, pas tellement à l’ensemble de l’économie puisque la baisse induite du prix des importations soutient la consommation.

Au total, il faut prendre avec prudence le grand optimisme concernant les perspectives de croissance de la zone euro. La croissance pourrait souffrir des difficultés de recrutement de l’industrie, du freinage de la croissance des Etats-Unis, d’un prix du pétrole plus élevé que ce qui est anticipé, et pour l’industrie, de l’appréciation de l’euro.

Si la croissance de la zone euro se révélait inférieure aux anticipations, bien sûr il y aurait correction aussi des marchés financiers. Les actions européennes, en particulier, souffriraient à la fois d’une moindre croissance, d’un recul des actions américaines et de l’appréciation de l’euro.

Patrick Artus Chef économiste ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

Du même auteur

Voir plus

Chargement en cours...