FUSIONS - ACQUISITIONS

Banquier d’affaires, un métier (toujours) d’avenir !

Publié le 19 janvier 2024 à 11h07

Valérie Nau    Temps de lecture 15 minutes

Longtemps considérés comme les stars de la finance, les banquiers spécialisés dans les fusions-acquisitions ont moins le vent en poupe depuis quelques années. Tandis que de nouvelles contraintes pèsent sur les transactions, certains aspects du métier ont eu tendance à se standardiser. La complexité de l’environnement actuel devrait toutefois favoriser le retour en force du conseil.

En 2021, le lancement, après des mois de négociations, d’une OPA hostile sur Suez par Veolia a rajeuni bon nombre de banquiers d’affaires. Cela faisait longtemps, en effet, que l’on n’avait pas assisté à pareille bataille à la Bourse de Paris ! Par son ampleur, ses multiples rebondissements, sa quinzaine de banques mobilisées, l’opération, de près de 13 milliards d’euros, a fait souffler un vent de nostalgie sur les professionnels du M&A qui avaient connu les grandes heures des OPA des années 2000. A l’époque, une poignée de banquiers vedettes régnaient en maîtres sur un marché des fusions-acquisitions en pleine effervescence. Vingt ans plus tard, ces « rain makers » font plutôt figure d’espèce en voie de disparition. « Quand j’ai commencé, en 1995, le marché du M&A était très différent de ce qu’il est aujourd’hui, se souvient Stéphane Courbon, président de la banque de financement et d’investissement pour la France de Bank of America. Il était beaucoup plus restreint, et les effectifs des banques françaises, comme ceux des banques américaines présentes à Paris, beaucoup moins élevés. De ce fait, on retrouvait toujours un peu les mêmes banquiers sur les dossiers, la personnalisation était très forte. C’est nettement moins le cas de nos jours. »

Le poids croissant de la réglementation

Cette évolution tient d’abord, paradoxalement, au dynamisme du marché des fusions-acquisitions : il a atteint en France en 2021 un plus haut depuis 2007, à 210 milliards d’euros. Celui-ci s’est traduit par une hausse du nombre de transactions et de la taille des équipes, qui ont mécaniquement dilué le poids individuel des interventions, notamment dans les grandes banques universelles où le conseil s’inscrit au sein d’une gamme plus large d’activités de banques de financement et d’investissement. « Nos banquiers ont une relation intuitu personae forte avec leurs clients et, en même temps, constituent le maillon essentiel d’une chaîne de compétences plus vaste, explique Jean-Baptiste Giros, responsable corporate coverage and advisory France chez BNP Paribas. Notre fonctionnement repose sur un modèle collectif, au sein duquel nos individualités savent travailler en équipe et de manière pluridisciplinaire, au-delà du strict M&A. »

Plus fondamentalement, la liberté de manœuvre dont bénéficiaient autrefois les banquiers s’accommode mal avec les nouvelles conditions d’exercice du métier. Le renforcement des contraintes réglementaires depuis la crise financière de 2008 complique ainsi souvent les transactions, en particulier les « méga-deals » à plusieurs milliards d’euros sur lesquels le rôle des banquiers est le plus emblématique. « Les grandes opérations ne sont jamais faciles à mener et peuvent prendre plusieurs années à se réaliser. Mais leur complexité a considérablement augmenté, en raison en particulier du renforcement des problématiques juridiques et réglementaires, constate Stéphane Courbon. De ce fait, ce sont les transactions de taille moyenne, comprises entre 500 millions et 3 milliards d’euros de valorisation, qui tirent le marché. » Dès lors qu’elles impliquent plusieurs pays, toutes doivent néanmoins prendre en compte, quelle que soit leur taille, les spécificités locales en matière de droit des sociétés, boursier… Un travail de longue haleine, qui peut encore être ralenti par la nécessité d’obtenir le feu vert des autorités de la concurrence : leur intervention peut rallonger notablement l’exécution d’une transaction – de douze à dix-huit mois parfois –, quand elle n’aboutit tout simplement pas à son annulation, comme pour la fusion TF1/M6 en 2022.

De son côté, la réglementation bancaire contraint de plus en plus l’exercice du métier à l’interne. Dans toutes les banques, le département « compliance » (ou conformité) est devenu incontournable. « Qu’il s’agisse du financement, de la gestion des conflits, de la communication… nous devons être sûrs que notre activité respecte bien les règles de conformité, ce qui explique que certaines opérations soient beaucoup plus lourdes à mener qu’autrefois, car elles doivent faire l’objet de beaucoup plus de validations à l’interne au préalable », précise un banquier.

«La complexité des grandes opérations a considérablement augmenté, en raison en particulier du renforcement des problématiques juridiques et réglementaires.»

Stéphane Courbon Président de la banque de financement et d’investissement pour la France ,  Bank of America

La concurrence des nouvelles technologies

Les nouvelles technologies contribuent elles aussi à restreindre la marge de manœuvre des spécialistes du M&A. Depuis les années 2000, le déploiement d’Internet a permis de fournir progressivement une masse d’informations susceptible de concurrencer celles que pouvaient offrir les banquiers. « Aujourd’hui, l’essentiel de l’information préliminaire nécessaire à une transaction est facilement accessible, reconnaît Franck Ceddaha, managing partner chez Degroof Petercam Finance. Les clients peuvent encore faire appel à nous quand ils ne connaissent pas une géographie. Mais très souvent, ils approchent seuls les cibles. » En facilitant l’automatisation de bon nombre de tâches, la digitalisation a en outre abouti à une certaine mécanisation des processus de vente. Plus besoin, pour les dirigeants et leurs conseils, de se rendre physiquement dans les data rooms pour avoir accès aux dossiers. « Les mémorandums d’information sont envoyés par PDF et les questions-réponses se font également sous forme numérique, précise Franck Ceddaha. L’intervention du banquier relève ainsi de plus en plus de la gestion d’un process très cadré, similaire d’un client à l’autre, et qui ne nécessite pas toujours de conseil à proprement parler. »

Pour certains clients, le conseil tend même à devenir un service quelque peu accessoire. Des managers de grands groupes peuvent ainsi se montrer moins sensibles à l’argument d’un accompagnement de long terme, leur pérennité à la tête de l’entreprise n’étant pas assurée… De leur côté, les jeunes dirigeants de la nouvelle économie affichent parfois une vision décontractée du métier. « Un prospect qui avait demandé à me rencontrer m’a dit à la fin de mon pitch qu’il était très content : il voulait juste vérifier que ce que lui avait raconté sa sœur, elle-même banquière, était bien exact ! » soupire un banquier. Mais c’est surtout l’importance prise ces dernières années par les acheteurs venant du private equity qui a contribué à banaliser l’intervention des banquiers. Estimant qu’ils connaissent aussi bien leurs cibles qu’eux, les fonds les considèrent en effet comme un simple maillon de la chaîne d’exécution, entre l’audit en organisation et la vendor due dilligence.

Le fonctionnement des banques peut lui aussi aller dans le sens de cette approche plus « industrielle » du métier. Dans les grands établissements internationaux, qui se conçoivent désormais comme des plateformes aux clients et produits multiples, les transactions ne relèvent plus du seul apporteur de l’affaire mais sont, là aussi, exécutées selon un mode opératoire très normé, faisant intervenir plusieurs départements à l’interne, et sur lequel le banquier chargé de la relation client n’a finalement qu’une prise limitée. Un morcellement des tâches qui n’empêche pas une forte pression sur les résultats, les outils technologiques permettant de suivre à la trace le travail des banquiers, de vérifier plus facilement qui génère quel chiffre d’affaires, qui intervient ou pas sur une transaction…

Des profils de haut niveau… mais encore trop peu féminins

  • Même si le métier de banquier d’affaires a eu tendance par certains aspects à s’industrialiser, il nécessite toujours des profils de qualité, capables d’embrasser des problématiques aussi larges que variées. « Nous sommes les interlocuteurs privilégiés des dirigeants lorsque ceux-ci procèdent à des opérations stratégiques, observe Jean-Baptiste Giros, responsable corporate coverage and advisory France chez BNP Paribas. Ce dialogue au plus haut niveau requiert de grandes capacités d’écoute, de prise de recul et de sens du jugement : en ce sens, il est indispensable de disposer de profils de tout premier plan pour ce type de poste. » Les parcours comportant une forte dimension internationale sont à ce titre particulièrement recherchés. « Les grands groupes, y compris ceux dont le siège principal se trouve en France, sont dirigés par des profils de plus en plus internationaux et leurs centres de décision sont souvent répartis entre plusieurs pays, poursuit Jean-Baptiste Giros. Nos banquiers doivent donc être capables de discuter avec des interlocuteurs de nationalités et de cultures diverses. »
  • Malgré l’intérêt de la fonction, celle-ci attire un nombre encore trop limité de femmes. « Lors des recrutements, nous avons à cœur de proposer des profils féminins, mais force est de constater qu’il y en a moins que chez les hommes, reconnaît Valérie Barthès, partner chez Boyden. Il reste difficile pour les femmes de concilier une vie de famille avec un métier qui peut vous conduire à prendre régulièrement un avion à 4 heures du matin pour faire un aller-retour dans la journée, à répondre aux sollicitations des clients à toute heure du jour ou de la nuit… Le Covid a toutefois contribué à modifier les modes d’organisation. De plus, les banques comme les entreprises manifestent une vraie volonté de faire évoluer les choses en matière de parité. » Une tendance confirmée chez BNP Paribas : « Parmi nos senior bankers, nous comptons plusieurs femmes, même si nous ne sommes pas encore à parité, reconnaît Jean-Baptiste Giros. Nous sommes déterminés à continuer de faire bouger les lignes en la matière car nous sommes convaincus que la diversité des profils de nos banquiers permet de mieux répondre aux attentes de nos clients. »

«Rien ne vaut d’avoir accompagné un client dans des moments difficiles, car cela crée des liens forts et durables.»

Cyrille Perard Associé ,  Perella Weinberg Partners

Une approche plus industrielle

Cependant, les banquiers qui aiment murmurer à l’oreille de leurs clients n’ont pas dit leur dernier mot. En témoigne la multiplication à Paris de « boutiques », telles Messier & Associés créée il y a vingt ans par Jean-Marie Messier, ou plus récemment issues de banques d’investissement indépendantes américaines, comme Perella Weinberg, Centerview, PJT… « Tout comme les grandes banques, nous cherchons l’efficacité et la rentabilité. En revanche, dans une boutique comme la nôtre, la liberté d’action y est beaucoup plus grande, affirme Cyrille Perard, associé chez Perella Weinberg Partners. Celle-ci est notamment permise par notre indépendance. »

Comme leurs grandes aînées Lazard et Rothschild, ces structures visent à renouer avec l’essence même du métier, à savoir le conseil. « Certains clients nous ont choisi après avoir travaillé avec de très grosses banques : ils avaient été impressionnés par leurs présentations, effectuées par des équipes de très haut niveau, mais par la suite, ils s’étaient retrouvés avec un seul des seniors présents et une batterie de juniors… poursuit Cyrille Perard. En faisant appel à une boutique, ils cherchent à être accompagnés par une équipe senior pérenne et dédiée. »

Cette répartition du marché entre une offre large de banque de financement et d’investissement, et un conseil plus personnalisé va probablement être renforcée dans les années qui viennent par les progrès de l’intelligence artificielle, en particulier les IA génératives comme ChatGPT, qui vont achever de concurrencer les banquiers sur la production d’informations, voire faciliter un jour des rapprochements opérés directement sur des plateformes. « A terme, tout le monde pourra présenter un mémo complet sur le contexte de marchés d’un client, dresser la liste de ses compétiteurs… et ce dans un temps record. Le client lui-même pourra générer ses propres données ! confirme Valérie Barthès, partner chez Boyden, un cabinet de chasse de têtes. Mais paradoxalement, cette évolution va redonner de l’importance au métier de conseil. »

«L’intervention du banquier relève de plus en plus de la gestion d’un process très cadré, similaire d’un client à l’autre, et qui ne nécessite pas toujours de conseil à proprement parler.»

Franck Ceddaha Managing partner ,  Degroof Petercam Finance

Une forte dimension psychologique

Grâce aux nouvelles technologies, les banquiers vont de fait avoir plus de temps à consacrer à cette partie essentielle de leur activité. « Avant le Covid, beaucoup de réunions d’exécution ou de négociation se tenaient physiquement. Désormais, on passe par Zoom dès lors que le dossier ne nécessite pas une présence sur place, relate Stéphane Courbon. Même en amont, les pitchs se font régulièrement par vidéo. Ces pratiques sont devenues naturelles partout dans le monde, ce qui fait gagner un temps précieux, réduit l’empreinte carbone et offre beaucoup plus de flexibilité dans l’organisation. » Plus besoin non plus d’interrompre systématiquement ses vacances pour aller pitcher devant un client dès lors que l’on dispose d’une bonne connexion à Internet… Un progrès non négligeable en termes de qualité de vie, notamment aux yeux des jeunes générations, très soucieuses de préserver l’équilibre vie privée/vie professionnelle.

De plus, les banquiers conservent encore quelques solides atouts face à la concurrence des robots. Des processus transactionnels trop mécaniques n’excluent pas ainsi le risque d’erreur. « Quand un client fait appel à une banque uniquement pour gérer un process d’achat ou de vente, celle-ci aura tendance à le confier à des juniors car cela ne demande pas une grande expérience, souligne Franck Ceddaha. Or un mémo peut être bien présenté mais oublier des données importantes, comme le fait par exemple que la moitié du chiffre d’affaires de la cible dépend d’un seul client, dont le contrat vient à échéance dans un an. Un oubli qui peut ultérieurement poser problème lors des négociations avec les acheteurs, alors que la supervision d’un banquier plus expérimenté aurait pu l’éviter. »

De plus, même si avec l’IA les clients auront accès à demeure à une avalanche de données, ils pourront avoir besoin de prendre du recul et apprécier à ce titre un décryptage extérieur. Sans compter que certaines informations – parfois les plus cruciales – ne peuvent être obtenues que grâce aux réseaux personnels patiemment bâtis par les banquiers d’affaires : « Les fonds connaissent très bien les portefeuilles de leurs concurrents et n’ont pas besoin de nous pour leur en parler, estime Cyrille Perard. En revanche, ils sont intéressés par notre connaissance des grands groupes. Ces derniers peuvent réfléchir à des cessions d’actifs et les fonds ont, à ce titre, besoin de savoir comment pourrait évoluer la stratégie de la direction, la position du conseil d’administration… » De même, ChatGPT aura du mal – du moins pour l’instant… – à inciter un dirigeant à quitter la salle des négociations ou le convaincre de renoncer à une surenchère. « Notre métier conserve une forte dimension psychologique, difficile à remplacer », espère Stéphane Courbon.

Une dimension qui prend toute son importance dans le contexte actuel. Face au retour de l’inflation et de la hausse des taux, à la montée en puissance de l’ESG, aux tensions géopolitiques… les risques présentés par les opérations de croissance externe se sont en effet nettement accrus. Dans ce contexte, les dirigeants devraient être incités à échanger de nouveau avec des professionnels aguerris avant de se décider à passer à l’action. « Les banquiers d’affaires qui ont démarré leur carrière à la fin des années 2000 n’ont connu qu’un contexte où il était dans l’ensemble facile de monter et de financer des opérations, prévient toutefois Valérie Barthès. Dans les années qui viennent, ceux qui démontreront un réel talent pour conseiller leurs clients sur des choix stratégiques feront la différence avec les autres. Pour être un vrai “trusted advisor”, et pas seulement un “relationship manager”, il faut avant tout faire preuve d’une qualité fondamentale, à savoir l’intelligence des gens et des situations. » Les robots pourront toujours s’occuper du reste !

La vogue des boutiques

  • L’arrivée récente sur le marché parisien de boutiques émanant de banques d’investissement indépendantes américaines (Perella Weinberg, Centerview, Greenhill, Evercore…) témoigne non seulement de l’intérêt porté par leurs dirigeants au marché français, mais aussi de l’envie de certains banquiers de retrouver des structures de conseil plus traditionnelles. « Dans les grandes banques, obtenir un mandat auprès d’un client ne suffit plus pour le conseiller de A à Z sur une opération, constate Valerie Barthès, partner chez Boyden. Il faut faire intervenir les spécialistes de la recherche, du financement, de la conformité… qui peuvent très bien venir de pays différents, et qu’il faut convaincre du caractère prioritaire du dossier. Pour que celui-ci aboutisse, il est donc aussi important pour le banquier d’affaires de disposer d’un bon réseau à l’interne que de soigner sa relation client. » Impossible, néanmoins, de connaître tous les deals en cours au sein de son propre établissement. Or en cas de concurrence ou de conflit d’intérêts avec un confrère américain, « ce n’est en général jamais le banquier français qui gagne… », ironise un banquier.
  • De plus, dans les grandes banques d’affaires internationales, la progression de carrière conduit généralement les banquiers d’affaires à superviser les deals de façon de plus en plus éloignée, ce qui peut être frustrant. « Tout l’intérêt du métier de conseil est précisément d’être au plus près des préoccupations des clients, rappelle Cyrille Perard, chez Perella Weinberg Partners. Rien ne vaut d’avoir accompagné un client dans des moments difficiles, car cela crée des liens forts et durables. »

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