Entreprises

Les directions financières à l’épreuve du télétravail

Publié le 19 décembre 2023 à 8h30

Chloé Consigny    Temps de lecture 7 minutes

Pour séduire les candidats dans un monde post-Covid où les talents sont rares, les entreprises pratiquent majoritairement le travail hybride, alternant travail sur site et télétravail. Une nouvelle forme d’organisation qui n’est pas sans incidence sur le travail et la fidélisation des équipes au sein des directions financières. En conséquence, de nombreuses entreprises voudraient faire marche arrière, mais un retour à la situation pré-Covid paraît difficile à envisager, surtout dans les grandes structures.

En quelques années, le télétravail semble être devenu une norme. En France, les grandes banques sont toutes signataires d’accords de télétravail. La quasi-totalité des 350 000 salariés du secteur ont ainsi la possibilité de travailler depuis leur domicile, à raison de deux jours par semaine. Les grandes entreprises du CAC 40 se sont – elles aussi – engagées via des accords de télétravail, au moyen d’une jauge maximale de deux à trois jours par semaine. Une entreprise qui ne propose aucun jour de télétravail se coupe ainsi aujourd’hui d’un grand nombre de candidatures. Les financiers qui cherchent à rejoindre les grandes entreprises n’échappent pas à cet engouement. Quelle que soit leur fonction au sein de l’organisation et quel que soit leur niveau hiérarchique, la possibilité du télétravail est l’une des premières questions posées lors d’un entretien, assurent les recruteurs.

Désordre et incompréhension

Reste qu’en l’absence de process clair, le télétravail peut être l’objet d’incompréhension de la part des salariés. « Il y a télétravail et télétravail, constate Olivia Jacob, senior manager, fonctions financières, Robert Walter. Si beaucoup d’entreprises accordent deux jours de télétravail par semaine, la mise en œuvre peut poser problème. En effet, certains employeurs pratiquent des exclusions : pas deux jours consécutifs ni une veille de week-end, par exemple. Les professions financières sont conscientes que les périodes de closing nécessitent une présence des équipes sur site. En contrepartie, elles souhaitent de la flexibilité dans l’organisation de leur quotidien. » De fait, l’une des règles tacites au sein des directions financières est de rassembler toutes les équipes sur site pour les périodes de closing. Le reste du temps, les outils sécurisés permettent désormais d’avancer à distance. Si les équipes ont conscience de cette nécessité à travailler ensemble à des moments précis, elles attendent en retour une flexibilité qui n’est parfois pas compatible avec les process des grands groupes.

«Si beaucoup d’entreprises accordent deux jours de télétravail par semaine, la mise en œuvre peut poser problème.»

Olivia Jacob Senior manager, fonctions financières ,  Robert Walter

Changement de paradigme

Depuis le mois de septembre, les experts du recrutement constatent que le télétravail n’est plus la norme dans les offres d’emploi. Bien sûr, le nombre de jours de télétravail autorisés demeure la première question posée par les candidats lors de l’entretien d’embauche. Néanmoins, de nombreuses entreprises font marche arrière, considérant davantage le télétravail comme une récompense à destination des collaborateurs les plus proactifs que comme un acquis. A terme, les dirigeants d’entreprises estiment même que le télétravail pourrait disparaître. Ainsi, l’enquête « 2023 CEO Outlook » menée par KPMG auprès de 1 300 directeurs généraux à travers le monde indique que deux tiers d’entre eux prévoient que les employés retourneront au bureau cinq jours par semaine au cours des trois prochaines années. « Pour les grandes entreprises et notamment les banques qui ont mis en place des accords sur le télétravail, le retour en arrière est difficile, explique Alexandre Ricard, associé fondateur, Elma recrutement. Je constate que c’est moins le cas au sein des ETI et PME qui désormais utilisent le télétravail avec parcimonie. Celui-ci devient alors une récompense et non un dû. » Pour les postes à très haute responsabilité, la présence sur site cinq jours sur sept est de plus en plus requise. « J’ai en portefeuille un poste de directeur comptable au sein d’un grand groupe du CAC 40, poursuit Alexandre Ricard. Cette fonction nécessite d’encadrer des équipes de taille importante. Dans ce cas, la présence sur site est requise, quand bien même les collaborateurs seraient en télétravail. Etant donné le nombre de collaborateurs que cette personne sera amenée à encadrer, sa présence dans les locaux de l’entreprise est indispensable. » Pour ce type de profils, le télétravail devient alors l’exception.

Effets contradictoires

Pour les experts du recrutement, tous les profils ne sont pas adaptés au télétravail. « Certains salariés sont autonomes et proactifs. Lorsqu’ils travaillent à distance et ont terminé leurs tâches, ils poursuivent leurs recherches et sont source de propositions. D’autres, en revanche, ne feront que le minimum », poursuit Alexandre Ricard. Autre argument en défaveur du télétravail : la cohésion des équipes, qui, au sein des directions financières, reste centrale, d’autant plus à l’heure de la pénurie des talents. « Le télétravail a des effets contradictoires, constate Clémence Beun, manager du service prévention, assurance de personnes chez WTW en France. Sa mise en place a un impact sur l’isolement et un effet réel sur l’intégration au sein des équipes. A terme, cela joue sur la volonté du collaborateur de rester ou non au sein de l’entreprise. Le télétravail est un vrai sujet qui doit être traité. Chaque entreprise doit mieux positionner son curseur à ce sujet et renforcer sa force managériale. »

Implications fiscales

Au-delà de la cohésion des équipes et de la facilité à interagir plus simplement avec une personne présente physiquement, la mise en place de politiques de télétravail au sein d’une organisation est aujourd’hui un sujet pour les directions financières. C’est à la direction financière, par exemple, que revient le reporting des dépenses induites par la mise en place du télétravail (achat de matériel et aide à la connexion). C’est également cette direction qui est à l’œuvre pour la comptabilisation des avantages sociaux potentiellement imposables. Enfin, sur le plan fiscal, le travail hybride augmente la complexité des tâches de la direction financière. Au début de la crise sanitaire, certains salariés ont choisi de télétravailler depuis l’étranger. Un choix qui n’est pas sans incidence pour l’entreprise. En effet, selon une étude SAP Concur*, 72 % des responsables financiers se disent préoccupés par le fait que des salariés travaillent à distance depuis un autre pays. Par ailleurs, 70 % des directeurs financiers constatent que permettre aux salariés de travailler depuis l’étranger rend le contrôle des dépenses plus difficile. Dans les faits, les collaborateurs travaillant sciemment à distance depuis un autre pays sans en informer leur employeur ne représenteraient que 10 % des effectifs. Un pourcentage sous-estimé par les dirigeants d’entreprises qui, selon le même sondage, l’estiment à 7 %.

Le télétravail à temps complet nuit à la productivité des nouveaux embauchés

Dans une étude baptisée « working from home, worker sorting and development », trois chercheurs américains du MIT et d’UCLA ont évalué l’incidence du télétravail sur la productivité. Il en ressort qu’une personne nouvellement embauchée, qui effectuerait sa mission totalement en télétravail, serait moins productive de 18 % qu’un collaborateur se rendant au bureau. En cause notamment, un apprentissage plus rapide des salariés se rendant au bureau. La même étude constate par ailleurs que les travailleurs préférant le télétravail sont initialement 12 % plus productifs que les autres.

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