Métier

Reconversion professionnelle : ces financiers qui ont sauté le pas

Publié le 11 octobre 2022 à 17h15

Anne del Pozo    Temps de lecture 12 minutes

Malgré les promesses de plans de carrière attractifs et des niveaux de revenus souvent élevés, les professionnels de la finance sont de plus en plus nombreux à s’interroger sur la poursuite de leur parcours professionnel. Des réflexions qui amènent certains à changer radicalement de voie.

Ces derniers mois, les professionnels de la finance ont été particulièrement impactés par le contexte sanitaire et économique. A la pression conjoncturelle s’ajoutent les évolutions organisationnelles, digitales ou encore réglementaires auxquelles ils doivent faire face en permanence. « Deux tiers des professionnels de la finance et de la comptabilité ont en effet eu, ces dernières années, à intégrer de nouveaux outils de travail, ont vécu un élargissement de leurs missions et ont dû appliquer de nouvelles réglementations, précise ainsi Mikael Deiller, executive director de PageGroup. Si 60 % d’entre eux perçoivent l’évolution des missions et des outils comme une source d’épanouissement, à l’inverse, les nouvelles réglementations représentent une source de stress pour près de deux tiers des répondants à notre étude. » De plus, les répercussions de la transformation digitale des services financiers sur leur métier et leur organisation inquiètent également les professionnels de la finance.

Des professionnels en quête de sens

Autant de défis qui conduisent 53 % d’entre eux à envisager un changement de carrière selon l’étude Michael Page/IFOP sur les grandes tendances du marché du travail publiée en 2021. « Nous avons en effet observé de nombreuses réflexions sur le sujet ces derniers mois », constate Mikael Deiller. Outre les évolutions intrinsèques à leur métier, la reconversion des professionnels de la finance est motivée par différentes raisons, en tête desquelles figure notamment la recherche de sens. » 46 % des professionnels de la finance et de la comptabilité qui imaginent une reconversion cherchent ainsi à être davantage épanouis et à trouver plus de sens à leur travail. Ils ne seraient que 3 % à penser changer de métier pour des motifs uniquement pécuniaires. La recherche d’un emploi correspondant davantage à leurs valeurs et principes occupe ainsi la troisième marche du podium dans leurs souhaits d’évolution, après notamment la recherche d’un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. « C’est pour donner sens à ma vie professionnelle, être plus utile à la société et surtout briser les tabous autour du bien-être du dirigeant en entreprise que je me suis reconvertie dans l’accompagnement au bien-être des dirigeants », témoigne Karine Grall, qui a créé en juillet dernier « J’aime ma compagnie », société spécialisée dans le bien-être du dirigeant ainsi que dans la transformation des organisations sur les aspects ressources humaines et finance de TPME, après avoir notamment occupé des fonctions de trésorière et responsable du service comptabilité et finance chez Charabot (groupe Robertet) puis de DAF/DRH dans la PME Resistex. « Au sein de cette PME, j’ai notamment contribué au déploiement d’une conduite du changement dans le cadre d’une politique RSE (évolution de son système d’information, construction de sa marque employeur, valorisation des richesses humaines), qui m’a amenée à me former pour devenir DRH. Un investissement que je ne regrette pas, notamment parce qu’il a participé au développement et à la compétitivité de cette entreprise tout en respectant le bien-être des collaborateurs, mais dans lequel je me suis beaucoup investie sur le plan humain. Cette expérience a été pour moi le véritable déclencheur de ma reconversion », précise Karine Grall.

La quête de sens est également l’une des principales raisons qui a motivé la reconversion professionnelle d’Elisabeth Zelaci, chargée de projets stratégiques au sein de CetteFamille, une entreprise de l’économie sociale et solidaire (ESS). « 26 ans passés dans la finance dont 15 dans des entreprises sous LBO, c’est une expérience forte tant en termes de challenges à mener qu’en investissement personnel, explique Elisabeth Zelaci. L’année de mes 51 ans a été un tournant. J’ai pris conscience que je souhaitais mettre l’humain au cœur de mon quotidien. Après une pause de plusieurs mois, j’ai décidé de retourner dans ma région – la Normandie – et de m’investir auprès des personnes âgées. » Aujourd’hui, Elisabeth Zelaci est chargée de projets stratégiques au sein de CetteFamille qui développe l’accueil familial pour les personnes en déficit d’autonomie.

«Face aux banques, c’est un atout d’être un ancien financier et de savoir exactement ce qu’on attend de nous. »

Christophe Cordonnier Co-fondateur ,  Lagoped

Une passion qui reprend le dessus

Si certains entendent donner un nouveau sens à leur vie professionnelle, d’autres vont saisir au vol une opportunité pour changer de braquet et se lancer dans une nouvelle aventure professionnelle. Souvent, ces reconversions sont alors en lien avec une passion. « Jusqu’à ma reconversion professionnelle, je me consacrais à ma passion pour la montagne uniquement pendant mon temps libre, explique Christophe Cordonnier, co-fondateur de l’entreprise de vêtements outdoor Lagoped. Je cherchais néanmoins à m’investir dans un projet professionnel différent en lien avec la montagne. » C’est finalement au détour d’une rencontre avec un Néerlandais qui travaillait dans le textile que le projet de reconversion de Christophe Cordonnier a commencé à germer dans son esprit et qu’il décide de lancer en 2018 sa propre marque de vêtement outdoor, avec un guide de haute montagne et un consultant comme associés... Après avoir, entre autres, travaillé pendant des années sur le financement des flux de matières premières au sein de la Société Générale, Christophe Cordonnier entendait également donner un sens éthique à son nouveau projet professionnel. « Raison pour laquelle nous veillons ainsi à ce que toute la chaîne de fabrication des vêtements Lagoped se fasse en Union européenne, sur la base de matières recyclées et dans le respect de normes sociales et environnementales », précise-t-il.

C’est également grâce à une opportunité inattendue que l’ancienne fiscaliste Thérèse Lê-Eludut s’est lancée dans une aventure professionnelle en lien avec sa passion pour l’art contemporain urbain. Diplômée d’un DESS en fiscalité de Paris Dauphine en 1995, Thérèse Lê-Eludut a enchaîné les postes de fiscaliste et gravi les échelons autour de cette fonction dans des entreprises d’envergure internationale jusqu’en 2019 : fiscaliste chez Thomson, Suez, responsable de fiscalité région EMEA puis de l’Asie chez Alcan, general manager en charge de la fiscalité Europe & Afrique chez Rio Tinto… « J’ai commencé à me passionner pour l’art contemporain et le street art il y a une quinzaine d’années suite à une rencontre avec un artiste, se souvient Thérèse Lê-Eludut. L’idée de me consacrer entièrement à cette passion a alors commencé à germer dans mon esprit. Lorsqu’en 2019, j’ai découvert une annonce concernant la vente de Graffiti Art Magazine, j’ai finalement décidé de me lancer dans cette aventure. » Aujourd’hui, Thérèse Lê-Eludut est présidente de la SAS ART x PACE qui a racheté le magazine, et directrice de publication. A ce titre, elle s’occupe de la production, de la fabrication puis de la distribution du magazine ainsi que de la coordination des articles avec les journalistes. En toile de fond de ce projet, il y avait également le challenge entrepreneurial que partagent d’ailleurs de nombreux autres candidats à la reconversion professionnelle.

«Mon expérience dans la finance et la fiscalité m’a d’abord beaucoup aidée dans l’étape du rachat du magazine. Elle me sert aussi dans la coordination d’équipes locales à l’international. »

Thérèse Lê-Eludut Présidente de ART x PACE ,  Directrice de publication, Graffiti Art

De nouveaux défis

Bien qu’ils exercent sur un marché de l’emploi qui leur est actuellement profitable et que leurs perspectives d’évolutions soient plutôt attractives, certains financiers se reconvertissent en effet par volonté de se lancer de nouveaux défis et de changer d’environnement. Ancien DAF au sein d’Essilor, Benoît Chandelier a ainsi décidé de se lancer dans l’entrepreneuriat et d’intégrer début 2021 la société Clarity, spécialisée dans la conception et mise en œuvre de solutions de pilotage financier. « J’avais alors pour volonté de sortir de l’organisation propre aux grands groupes pour accompagner la croissance de cette jeune entreprise dont l’activité a d’ailleurs doublé en deux ans, précise Benoît Chandelier, aujourd’hui directeur de Clarity-Clarifi. Une vraie prise de risque qui a nécessité que je me challenge pour gagner en compétences notamment sur la partie IT, car j’accompagne désormais des projets de transformation digitale de la finance d’entreprise, ainsi que sur la partie stratégie marketing et commerciale en lançant une nouvelle offre de conseil sous la marque Clarifi. »

Des expertises en finance utiles

Si le succès d’une reconversion professionnelle dépend en grande partie de l’envie du porteur de projet, son expérience professionnelle passée peut s’avérer être un atout de poids. Sur ce terrain-là, les anciens financiers sont particulièrement bien dotés, notamment pour la phase de développement de leur projet professionnel. « Mon expérience dans la finance m’a beaucoup aidée à me projeter, faire un business plan, bâtir un prévisionnel ou encore choisir le statut de ma structure », indique Karine Grall. Une expertise passée qui a aussi servi à Thérèse Lê-Eludut pour boucler le rachat de Graffiti Art mais également par la suite, pour en assurer la gestion au quotidien. Durant son parcours de fiscaliste, l’actuelle directrice de Graffiti Art a en effet développé des compétences sur la fiscalité locale mais aussi concernant les régions où elle opérait ainsi que ses capacités de superviseur d’équipes. « Mon expérience dans la finance et la fiscalité m’a d’abord beaucoup aidée dans l’étape du rachat, précise Thérèse Lê-Eludut. Désormais, elle me sert aussi beaucoup dans la coordination d’équipes locales à l’international, la meilleure façon d’appréhender les différences culturelles et de réglementations, notamment en termes de distribution car le magazine est vendu dans 19 pays, en version print mais aussi digitale. » Cette expérience lui est également particulièrement utile pour surmonter les difficultés que rencontre le secteur de la presse depuis la période Covid. A peine avait-elle racheté le magazine que Thérèse Lê-Eludut a en effet dû faire face à la fermeture de tous les points de vente pendant le premier confinement. « Mon expérience dans la finance, en particulier en matière de structuration de projets, a alors été particulièrement précieuse pendant cette période, ajoute-t-elle. D’autant plus que depuis la Covid, les difficultés se sont enchaînées pour le magazine. En quelques mois seulement, nous avons vu les coûts de production du magazine augmenter de 100 % ! Disposer d’une vision globale de la finance au sein de grands groupes internationaux facilite la gestion quotidienne de ces aléas, qui nécessite notamment de l’agilité. »

La rigueur qu’impose le monde de la finance a également aidé le cofondateur de Lagoped depuis le début de son aventure entrepreneuriale. La production puis la distribution de vêtements nécessitent en effet de maîtriser de multiples données et références, qu’il faut savoir sourcer, tracer, analyser. « Une approche à laquelle je m’étais aguerri à force de travailler avec les chiffres, précise Christophe Cordonnier. Mon parcours dans la finance m’aide également à mieux appréhender les normes et enjeux liés à la conservation et à la traçabilité des données, aux scores environnementaux…. Elle me sert même pour la communication et le marketing de notre marque ! » Le cofondateur de Lagoped entend également bien capitaliser sur son expérience pour mener à bien la levée de fonds qu’il prépare avec ses associés. « Face aux banques, c’est un atout d’être un ancien financier et de savoir exactement ce qu’on attend de nous, poursuit Christophe Cordonnier. Nous parlons le même langage, ce qui rassure nos partenaires investisseurs. »

«L’année de mes 51 ans a été un tournant. Après 26 ans passés dans la finance, dont 15 dans des entreprises sous LBO, j’ai pris conscience que je souhaitais mettre l’humain au cœur de mon quotidien.»

Elisabeth Zelaci Chargée de projets stratégiques ,  CetteFamille

Un retour parfois indispensable sur les bancs de l’université

Parfois, l’expertise financière peut néanmoins être insuffisante et la reconversion nécessiter une formation. Karine Grall s’est par exemple formée aux neurosciences pour bien comprendre les mécanismes du cerveau, comment les pensées et émotions induisent les comportements et impactent les interactions en entreprise, et a travaillé sur l’utilité de privilégier notre intelligence adaptative en situation complexe ou inconnue pour gagner en agilité et en sérénité et pour innover. « Cette formation me semblait indispensable pour mieux accompagner les dirigeants d’entreprises à prendre de la hauteur afin que nous puissions ensemble ensuite aborder plus sereinement les difficultés financières, RH, etc. auxquels ils font face au quotidien et qu’ils s’y adaptent de façon agile », explique Karine Grall. La reconversion dans le social d’Elisabeth Zelaci a, pour sa part, pris forme en premier lieu au travers d’un master 2 en management des organisations sociales auprès de l’IAE de Caen. « Certes mes compétences en management, structuration de projet et formation me servent au quotidien aujourd’hui, mais elles restaient insuffisantes pour mener à bien ma reconversion dans le social, précise Elisabeth Zelaci. J’ai pu intégrer le programme qualification de la région Normandie qui proposait de financer les formations de porteurs de projets en recherches d’emploi. Ce programme m’a d’ailleurs aidée à me projeter dans le cadre de ma reconversion professionnelle et m’a confortée dans mon choix. Nous pouvons tous avoir des peurs, l’essentiel est qu’elles ne doivent pas nous empêcher de croire et d’aller vers de nouveaux projets. Cet accompagnement a été une force pour amorcer ce virage professionnel. »

Le chemin à parcourir pour mener à bien une reconversion est donc fonction du projet mais l’expérience en finance des candidats, tant au niveau des techniques métiers que du savoir-être, reste toujours un atout.

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