La lettre de l'immobilier

Juin 2015

L’impact des clauses contractuelles du bail commercial sur la valeur locative

Publié le 29 mai 2015 à 15h16

Philippe Riglet et Sandra Kabla

La valeur locative constitue la pierre angulaire du statut des baux commerciaux. En effet, le renouvellement du bail s’articule autour de cette notion.

Par Philippe Riglet, avocat associé, spécialisé en droit immobilier. Il est le conseil récurrent de grandes enseignes, de groupes hôteliers et de fonds d’investissement, plus particulièrement dans les domaines des baux commerciaux et des transactions immobilières. Il est également le coauteur du Mémento Francis Lefebvre «Baux commerciaux». philippe.riglet@cms-bfl.com et Sandra Kabla, avocat spécialisé en droit immobilier et particulièrement en baux commerciaux. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux. Elle est chargée d’enseignement à l’Université de Paris I. sandra.kabla@cms-bfl.com

Ainsi, au moment du renouvellement du bail, tout le jeu du bailleur consiste à revenir à la valeur locative afin d’obtenir une revalorisation de son loyer. Pour ce faire, il doit prouver que les données de départ concourant à la formation de la valeur locative ont été modifiées en cours de bail. De son côté, le locataire souhaite au contraire bloquer ce retour en revendiquant la règle du plafonnement du loyer et en démontrant que rien n’a changé.

Cette valeur sera déterminée par les Tribunaux qui disposent d’un pouvoir souverain en la matière. A cet égard, ils devront toutefois tenir compte des dispositions du bail objet du renouvellement, certaines clauses contractuelles auront en effet une incidence sur l’évaluation de la valeur locative.

Aux termes de l’article R. 145-8 alinéa 1 du Code de commerce : «Du point de vue des obligations respectives des parties, les restrictions à la jouissance des lieux et les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative. Il en est de même des obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages.»

Ainsi, pour l’appréciation de la valeur locative, il conviendra de prendre en considération les restrictions à la jouissance des lieux, d’une part, le transfert d’obligations et de charges sur le locataire, d’autre part.

Les clauses affectant la jouissance des lieux

Lorsque le bail impose des contraintes particulières au locataire telle que l’obligation de reverser au bailleur 25 % du prix en cas de cession de son droit au bail (CA Paris 5e ch. A 27 juin 2007, Administrer nov. 2007 p. 32) ou l’interdiction d’apposer une enseigne ou une plaque (CA Paris pôle 5, 3e ch., 15 sept. 2010 Jurisdata n° 2010-018352), la valeur locative subira un abattement pour tenir compte de ces sujétions.

A l’inverse, les avantages accordés au preneur justifieront une majoration de la valeur locative. Il en est ainsi lorsque le bail comporte l’autorisation de sous-louer, celle de céder librement le droit au bail ou bien encore la stipulation d’une clause de destination particulièrement large. Il a été jugé que l’autorisation de construire, l’absence de dépôt de garantie1 ou encore le bénéfice d’un «droit de terrasse» au profit du locataire2 entraîneront une augmentation de la valeur locative des locaux.

Les clauses opérant un transfert d’obligations ou de charges au preneur

Il convient de s’interroger sur les obligations et charges que le bailleur doit en principe supporter. Si elles sont minorées par rapport à ce qu’elles auraient dû être, le loyer du bail renouvelé doit en tenir compte. C’est principalement dans le domaine des travaux et réparations et en matière de charges fiscales que cette idée va recevoir application.

En matière de travaux et réparations, les obligations du bailleur et du preneur sont définies par le Code civil. Le principe est que le locataire n’est tenu que des réparations locatives et d’entretien. Lorsque le bail met à sa charge tous les travaux y compris les grosses réparations de l’article 606 du Code civil (ce qui était valable avant la loi Pinel), un abattement est appliqué lors de la fixation du loyer du bail renouvelé (CA Paris 16e ch. B 20 déc. 2007 : Jurisdata n° 2007-354694).

S’agissant des impôts et taxes, il y aura transfert de charges chaque fois que le bailleur imposera au preneur le paiement d’impôts et taxes qui légalement lui incombent. L’exemple le plus fréquent est celui où le bail met à la charge du locataire le paiement de la taxe foncière.

Il a ainsi été jugé qu’«un coefficient de minoration de 10 % doit être retenu, dès lors qu’une quote-part de l’impôt foncier est à la charge de la locataire3».

En pratique, la prise en compte des transferts de charges peut s’opérer :

– par déduction directe de leur montant sur la valeur locative brute ;

– par application d’une décote mesurée en pourcentage de cette valeur ;

– par ajustement du prix unitaire de base.

En conséquence, la valeur locative doit être corrigée pour tenir compte de l’existence éventuelle de clauses exorbitantes de droit commun, qu’elles soient valorisantes ou dépréciatives. Ces clauses peuvent ainsi constituer, selon le cas, des facteurs de minoration ou des facteurs de majoration de la valeur locative.

Les facteurs de diminution risquent toutefois d’être atténués par la loi Pinel du 2014-626 du 18 juin 2014 (art. L. 145-40-2 C. com.) et son décret d’application n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 (art. R. 145-35 C. com.) qui dresse la liste des charges qui, en raison de leur nature, ne peuvent être répercutées sur le preneur.

Dès lors qu’une charge est considérée comme récupérable sur le locataire au sens de l’article L. 145-40-2 du Code de commerce, dans la mesure où elle n’entre pas dans la liste définie à l’article R. 145-35 du Code de commerce, on doit se poser la question de savoir si elle peut constituer une clause exorbitante de droit commun au sens de l’article R. 145-8 et donner droit à une minoration de la valeur locative. Il en va ainsi par exemple de la taxe foncière qui jusqu’à présent ouvrait droit à un abattement.

Enfin, s’agissant de la répartition des travaux entre le bailleur et le locataire, la loi Pinel, dispose que «ne peuvent être imputés au locataire : 1° les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l’article 606 du Code civil» (C. com art R. 145-35). Il n’est désormais plus possible de répercuter les grosses réparations sur le preneur. Ce facteur de diminution de la valeur locative a donc vocation à disparaître.

Indépendamment de l’article R. 145-8 du Code de commerce, il existe une clause qui a un impact particulièrement important sur l’évaluation de la valeur locative : la clause d’accession. Cette clause organise le transfert de propriété des constructions, travaux et améliorations réalisés par le locataire, au bailleur.

Selon que l’accession a lieu en «fin de bail» ou en «fin de jouissance», les conséquences sont totalement différentes. L’accession en fin de bail signifie que les travaux effectués par le preneur deviennent la propriété du bailleur à l’expiration du bail et devront par conséquent être intégrés dans l’évaluation de la valeur locative.

A l’inverse, si le bail prévoit que l’accession des travaux se fera en fin de jouissance ou au départ du preneur, il ne pourra pas être tenu compte de ces travaux pour la fixation de la valeur locative. En pratique, les Tribunaux appliqueront un abattement (en fonction de l’importance et du montant des travaux) sur la valeur locative afin de neutraliser les travaux réalisés par le preneur.

Il apparaît ainsi que si le contrat fait la loi des parties et bien que le renouvellement du bail doive intervenir aux mêmes clauses et conditions, le juge des loyers commerciaux dispose d’un important pouvoir de rééquilibrage du contrat par le prisme de la minoration ou de la majoration de la valeur locative au titre des clauses exorbitantes de droit commun qui fait écho aux dernières avancées de la réforme du droit des obligations.

1. CA Paris, pôle 5 chambre 3, n° 1213/023 du 21 mai 2014.

2. CA Versailles 17 juin 2014

n° 13/05583.

3. CA Rennes chambre 5, 22 octobre 2014, n° 351, 13/03823

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