La lettre gestion du patrimoine

Décembre 2012

Apport cession / Apport donation : le législateur s’en mêle

Publié le 18 février 2014 à 17h39    Mis à jour le 12 mars 2014 à 9h55

Arnaud Agostini

Parmi diverses mesures «anti-abus», le projet de loi de finances rectificative pour 2012, tel qu’il a été présenté par un communiqué issu du Conseil des ministres du 12 novembre 2012, «s’attaque» à la problématique des apports cessions ou des donations cessions. De quoi s’agit-il exactement ?

Par Arnaud Agostini, avocat associé, Landwell & Associés.

A l’occasion de la cession d’une entreprise, il est fréquent que les contribuables cherchent à «optimiser» fiscalement leur situation au regard de la taxation des plus-values.Cette optimisation peut revêtir deux modalités dont, au demeurant, les conséquences sont fort différentes.Il s’agit tout d’abord dans certains cas, préalablement à la cession, de procéder à des donations de titres, en général au profit des héritiers qui vendent après la donation à l’acheteur qui a parfois été identifié avant que l’opération soit conclue. Dans cette hypothèse, les plus-values de cession sont «nettoyées» par la donation, puisque l’on sait que les mutations à titre gratuit ne sont pas taxables au titre des plus-values.

Notons immédiatement que cette opération de donation a des conséquences patrimoniales et financières majeures, puisque ce sont bien les enfants qui perçoivent les fonds issus de la vente, dès lors qu’aux termes de la donation, ils sont bien propriétaires des titres.L’autre technique utilisée consiste, préalablement à la cession des titres d’une société opérationnelle, à apporter les titres de ladite société à une société holding, à une valeur très proche voire identique à la valeur de cession envisagée. On sait que cette opération d’apport bénéficie automatiquement d’un sursis d’imposition, de telle sorte que la cession des titres de la société opérationnelle devenue, après l’apport, la propriété de la société holding, ne génère aucune plus-value, avec toutefois la précision que les fonds tirés de la cession sont «enfermés» dans la société holding constituée par l’apport préalable des titres de la société opérationnelle.

Dans cette hypothèse, quelques arrêts importants de jurisprudence ont fixé, sous le régime antérieur du report d’imposition, même s’il est considéré que cette jurisprudence s’applique, mutatis mutandis, aux opérations placées sous le régime du sursis, les conditions dans lesquelles ces opérations sont considérées régulières sur le plan fiscal. En réalité, il s’agit de vérifier, afin que l’esprit du texte sur le sursis ne soit pas détourné, que les holdings réinvestissent dans un délai raisonnable les fonds tirés de la vente de la société opérationnelle, dans le cadre d’une activité économique avec, au surplus, la vérification que les contribuables n’appréhendent pas, d’une manière ou d’une autre, les liquidités dont la holding devient propriétaire à l’issue de la cession.

Ce sont ces deux schémas d’optimisation qui sont aujourd’hui visés par le projet de loi de finances.

En ce qui concerne les donations cessions

Le nouveau dispositif prévoit, dès lors que la donation serait de moins de deux ans antérieure à la cession, de ne pas tenir compte, pour le calcul de la plus-value de cession, de la valeur d’entrée des titres dans le patrimoine du donataire (les enfants), mais, au contraire, de prendre comme deuxième terme de la plus-value la valeur d’entrée du titre dans le patrimoine du donateur (les parents). Pratiquement, il s’agit donc de supprimer l’effet technique d’effacement de la plus-value par la donation, malgré le paiement des droits de donation sur la base de la valeur vénale actuelle. Si l’on comprend bien les motivations de cette mesure, on ne peut que rester réservé quant à ses conséquences.

En effet, sauf à démontrer qu’il y a véritablement abus de droit, ce que l’administration peut déjà démontrer dans la situation actuelle, notamment si elle prouve que les parents ont réappréhendé des fonds issus de la cession qui devraient revenir aux enfants, ladite mesure revient à ne pas tenir compte de l’effet juridique, fiscal et financier de la donation. On aboutit ainsi à la taxation, au nom des enfants, d’une plus-value qui pour sa plus grande partie sans doute, ne leur appartient pas, en remettant ainsi en cause les principes généraux de la fiscalité applicable aux plus-values.Si l’on comprend que l’administration veuille, par ces délais, remettre en cause des montages qui la dérangent, il n’en demeure pas moins que pour les contribuables, la potion est amère…

En ce qui concerne les apports cessions

La mesure législative nouvelle proposée consiste plus sans doute en une forme de légalisation et de précision de la jurisprudence actuelle en matière d’apports cessions.Il s’agit en effet de légaliser la jurisprudence en prévoyant que si, dans les 5 ans qui suivent l’apport, la société holding bénéficiaire de l’apport, n’a pas réinvesti au moins 50 % du produit de la cession dans une activité économique (la définition de l’activité économique sera d’ailleurs intéressante puisqu’il s’agissait d’une des incertitudes de la jurisprudence actuelle), la plus-value mise en cause serait alors taxée dans les conditions de droit commun.

L’automne 2012 n’est donc pas une période de l’année favorable aux montages d’optimisation et il est au demeurant intéressant de souligner que selon la terminologie gouvernementale elle-même, il ne s’agit pas de lutter contre la fraude, mais contre des montages d’optimisation. Doit-on en déduire que la maladresse fiscale deviendrait une vertu cardinale du bon contribuable ? A chacun de se faire sa religion en la matière.

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