La lettre gestion du patrimoine

Janvier 2017

Etablissements stables : une présence fiscale à revisiter

Publié le 13 janvier 2017 à 16h04

Michel Combe, PwC Société d’Avocats

L’Action 7 du projet BEPS relative aux établissements stables doit conduire les entreprises françaises à revisiter l’analyse historique de leurs implantations hors de France.

Par Michel Combe, avocat associé, PwC Société d’Avocats

Au delà d’adresser la situation fiscale des commissionnaires, elle donne une définition restrictive des activités auxiliaires et préparatoires qui ne sont pas constitutives d’une présence taxable. Par ailleurs, elle considère comme constitutives d’une présence taxable certaines activités de stockage et de logistique qui jusqu’à présent n’étaient pas considérées comme telles. Enfin, l’Action 7 vise comme constitutif d’un établissement stable l’exercice d’activités dites fragmentées. Nous ne commenterons pas les dispositions relatives au secteur des assurances car elles sont spécifiques à ce secteur économique.

Un premier constat s’impose : alors que la fiscalité de l’économie digitale, et plus généralement des GAFA, a été l’un des moteurs de l’action du G20 puis de l’OCDE, force est de constater que l’Action 7 ne contient aucune disposition majeure relative à cette part croissante de notre environnement. Les contributions de l’OCDE en matière de fiscalité de l’économie digitale sont reportées aux prochaines années !

Le second constat est celui de la multiplication des situations susceptibles de conduire à une double imposition. En dépit de la définition proposée au travers de l’Action 7, les Etats pourront continuer d’avoir une conception divergente de la notion d’établissement stable et une interprétation différente des faits conduisant à la reconnaissance d’un établissement stable.

Il est clairement acté que l’établissement stable a une autonomie fiscale par rapport à toute autre présence qu’une entreprise aurait déjà dans un Etat. Deux notions sont ainsi mises en avant : le DAE («dependent agent entreprise») et le DAPE («dependent agent permanent establishment»), qui est constitutif de l’établissement stable.

Dans la recherche de l’établissement stable, il est nécessaire d’identifier les «significant people functions», c’est-à-dire les personnes qui exercent les fonctions clés dans la chaîne de valeur. En cela, cette démarche est en tout point comparable à l’analyse fonctionnelle qui doit être conduite en matière de prix de transfert.

Le simple fait que l’entreprise dite DAE ait un profit conforme au principe de pleine concurrence ne permet pas de conclure que les droits d’imposition de l’administration fiscale de l’Etat de résidence de cette entreprise sont pleinement remplis. Il convient d’analyser les éventuelles fonctions exercées et potentiels risques supportés par l’entreprise DAE au profit/pour le compte de l’entreprise étrangère qui pourront créer le DAPEX et entrainer une imposition distincte.

Largement commentée, la remise en cause des modèles de distribution fondée sur des contrats de commissionnaire et contrats similaires n’est qu’une des propositions de l’Action 7 relative à la définition des établissements stables et rappellera d’un point de vue français que le Conseil d’Etat a jugé dans la décision Zimmer qu’un commissionnaire agissant dans le cadre normal de sa fonction ne constituait pas un établissement stable de l’entrepreneur étranger.

Au terme de la nouvelle définition, les commissionnaires sont réputés être des établissements de l’entrepreneur dont ils assurent la commercialisation des biens et services. Désormais, seuls les commissionnaires travaillant pour différents entrepreneurs échapperont à la qualification d’établissement stable (sous réserve de conduire leurs activités dans le cadre strict des droits et obligations d’un commissionnaire).

Tous les commissionnaires autres, dont ceux travaillant pour un seul entrepreneur seront réputés par principe être constitutifs d’un établissement stable de l’entrepreneur. La notion de «stratégies similaires» reste une notion floue. Les modèles de distribution tels que les «stripped risk distributors» ou distributeurs à risques limités sont a priori protégés d’un risque de requalification en établissement stable de l’entrepreneur.

L’approche proposée par l’OCDE de rédaction de l’article 5 du modèle de convention conduit à qualifier d’établissement stable et donc à allouer un profit (ou une perte) aux activités de stockage. Au-delà de son application à des situations où la disposition des stocks à proximité du marché servi est un facteur clé de succès, comme cela est le cas dans l’e-commerce, cette nouvelle définition doit conduire à s’interroger sur la pertinence fiscale dans le temps de modèles opérationnels basés sur des contrats de façonnage où les stocks mis en œuvre par le façonnier sont la propriété d’un entrepreneur le plus souvent établi dans un autre Etat. Il en est de même à notre sens dans le modèle de distribution «flash title» où la propriété des stocks reste chez l’entrepreneur, le distributeur ne l’ayant qu’un instant de raison avant la vente à son client.

De même, la nouvelle rédaction de l’article 5 du modèle de convention fiscale conduit à qualifier d’établissements stables les activités de centrale d’achat. Cette conclusion est cohérente avec les commentaires sous les Actions 8 à 10 portant sur les activités d’achat centralisé ou de «procurement».

Enfin, le cumul d’activités au travers de plusieurs entités juridiques d’un même groupe dans un Etat donné est susceptible de constituer un établissement stable. A l’heure où les groupes voient leurs dirigeants répartis dans plusieurs Etats pour des raisons tenant autant aux activités opérationnelles qu’au choix personnel desdits dirigeants, cette approche retenue par l’OCDE doit conduire les entreprises à revoir leur politique de mobilité internationale afin de s’assurer que le respect des objectifs opérationnels et des choix personnels des femmes et des hommes clés n’est pas une source de risque fiscal majeur.

En conclusion, les entreprises doivent porter une attention renouvelée à leur présence hors de France. Elles doivent vérifier si les conclusions passées tirées de la revue de la situation fiscale de leurs implantations hors de France demeurent pertinentes. Au fur et à mesure de la publication par les autorités fiscales des différents Etats de nouveaux commentaires au regard des principes posés par l’Action 7 ainsi que de la pratique qui résultera des contrôles fiscaux, les entreprises devront adapter leur analyse des risques.

Au-delà de la reconnaissance d’un établissement stable, il conviendra d’en déterminer le résultat imposable. L’Action 7 ne contient aucun commentaire sur ce point et renvoie aux travaux engagés depuis sa publication dont la consultation publique lancée par l’OCDE du 4 juillet au 5 septembre 2016, qui a donné lieu au cours du mois d’octobre 2016 à un échange entre les parties intéressées : entreprises, autorités fiscales et OCDE.

Au terme de cette double analyse de l’existence d’un établissement stable et de la quantification des pertes et profits lui étant attribuables, les entreprises devront réfléchir aux conséquences opérationnelles et fiscales de la déclaration des établissements stables ou de la conversion et évolution des modèles opérationnels pour maîtriser les risques fiscaux en intégrant les impacts de ces choix sur la gestion du taux effectif d’imposition du groupe.

Dans toute cette réflexion, les entreprises devront garder à l’esprit que la fiscalité doit suivre le modèle opérationnel sous peine de ne pas pouvoir justifier de la substance, condition clé de la gestion fiscale au regard des conclusions de tous les travaux BEPS.


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