Le grand débat gestion institutionnelle

Trésorerie : les fonds monétaires reprennent leur place dans l’allocation d’actifs

Publié le 23 février 2024 à 9h32

Sandra Sebag

Si l’existence de taux d’intérêt très bas voire négatifs n’a pas découragé les trésoriers d’investir dans les fonds monétaires, la hausse des taux d’intérêt leur confère une nouvelle attractivité. Cette classe d’actifs redevient depuis un an un élément important de l’allocation d’actifs de l’ensemble des investisseurs. La baisse des taux d’intérêt attendue pour la seconde partie de l’année ne devrait pas entacher cette dynamique. Notamment car ces derniers devraient, selon les gérants, rester durablement élevés. Outre le rendement, les fonds monétaires apportent aussi une certaine sécurité aux portefeuilles alors que les marchés obligataires devraient être cette année encore relativement volatils. Enfin, ces fonds répondent par définition rapidement aux besoins de liquidité. Des atouts qui les placent devant les autres supports de trésorerie comme les dépôts à terme (DAT).

La hausse des taux d’intérêt a-t-elle renforcé l’appétit des trésoriers pour les fonds monétaires ?

Cyril Merkel, président de la commission des placements de l’AFTE (association française des trésoriers d’entreprise) : La politique des trésoriers en matière de placement n’a pas changé quelle que soit l’évolution des rendements. Les grandes sociétés se doivent en majorité d’investir sur des produits considérés comme « cash and cash equivalent », ce qui limite fortement leur capacité de diversification sur d’autres produits de trésorerie que les fonds monétaires. Les trésoriers ont ainsi accepté d’investir, pendant une longue période, sur des OPCVM qui versaient des taux d’intérêt négatifs car ils apportent principalement la liquidité et la sécurité. Une des difficultés qu’ils rencontraient était de parvenir à convaincre leur direction générale qu’il n’y avait pas d’alternative aux rendements négatifs, sauf à investir sur des produits très risqués avec une perte en capital potentielle bien supérieure. Durant la Covid, les fonds monétaires ont enregistré une forte décollecte car les entreprises ayant cessé leur activité ont eu besoin de liquidités afin de financer leur besoin en fonds de roulement (BFR) et aussi pour rembourser les éventuelles tombées de Neu CP, non renouvelées car le marché du Neu CP a été « grippé » pendant quelques semaines. Les fonds ont été durant cette période résilients grâce à une gestion fine de la liquidité et à la diversification mise en place par les gérants. Malgré des sorties d’un montant de 55 milliards d’euros au mois de mars 2020, la place de Paris n’a enregistré aucun incident sur les fonds monétaires, et en quelques mois, les encours se sont rapidement reconstitués. Si les corporates ne sont pas sortis des fonds monétaires de façon massive et durable lorsque les taux d’intérêt étaient négatifs et durant la Covid, il n’y a pas de raison qu’ils le fassent maintenant alors que les rendements servis sont largement positifs. D’ailleurs, les chiffres montrent une forte collecte ces derniers mois. Actuellement, les encours ressortent à environ 390 milliards d’euros en France – sur un échantillon de 42 fonds – contre environ 240 milliards d’euros à fin juin 2023 (source Bloomberg). Ces chiffres montrent bien l’appétit pour les fonds monétaires. Aujourd’hui, en investissant dans un fonds monétaire, un trésorier bénéficie à la fois de la liquidité, de la sécurité et du rendement, le fameux triptyque !

Patrick Simeon, responsable de la gestion monétaire d’Amundi : Ces propos mettent en exergue deux éléments fondamentaux de la gestion monétaire. Le premier réside dans la valeur intrinsèque du produit : il permet une forte préservation du capital, et apporte une très grande liquidité, une grande diversification et une performance régulière en ligne avec celle d’un indice du marché monétaire. Nos produits sont commercialisés sur la base d’un horizon d’investissement recommandé très court car ils sont destinés à gérer le cash opérationnel de nos clients. Ces caractéristiques sont liées à une gestion dite de « bon père de famille », mais aussi à une réglementation européenne implémentée depuis 2019 très détaillée dans 47 articles qui structurent de façon précise et conservatrice la gestion à mettre en œuvre. Le deuxième élément réside dans l’importance de la valeur relative, nos clients se sont financés sur le marché à court terme ou sur le marché obligataire à des conditions exceptionnelles et pour certains d’entre eux avec des taux d’intérêt négatifs dans le passé. A partir du moment où nous parvenons à présenter un niveau attractif à nos clients en lien avec l’indice de référence, nous n’enregistrons pas de défection de leur part. Par ailleurs, la hausse des taux d’intérêt à partir de 2022 a permis aux fonds monétaires de redevenir une classe d’actifs à part entière. Elle remet sur le devant de la scène les fonds monétaires auprès d’autres clientèles que les trésoriers des grands groupes comme les entreprises de taille moyenne notamment. Le momentum est très positif pour les fonds monétaires.

Damien Rio, responsable de la gestion sous mandat de Federal Finance Gestion : Ces derniers mois, lors de la phase de remontée des taux d’intérêt, les fonds monétaires ont tout de même un peu souffert de la concurrence des dépôts à terme (DAT) car la courbe des taux d’intérêt était très pentue. Les dépôts à terme (DAT) offraient alors des opportunités de rendement plus élevées que celles proposées sur les fonds monétaires. Les banques centrales sont maintenant arrivées au bout des hausses de taux d’intérêt et le marché commence à se projeter sur des baisses. Ces dernières apparaissent dans les swaps (les courbes sont maintenant inversées). Les DAT offrent de ce fait maintenant des rendements égaux ou inférieurs à ceux des fonds monétaires. Ce décalage de sensibilité entre les DAT et les fonds monétaires rend ces derniers maintenant plus attractifs.

Damien Rio, responsable mandats de Federal Finance Gestion

Federal Finance Gestion - Données clés

  • Effectif dans la gestion monétaire : 2 gérants
  • Encours dans la gestion monétaire : 7,1 milliards d’euros à fin janvier 2024
  • Collecte nette en 2023 : + 1,7 milliard d’euros
  • Performance 2023 et YTD dans l’un des fonds phares :  - Performance de Federal Support Monétaire ESG (part SI) en 2023 : 3,45 %, - Performance YTD annualisée (à fin janvier) : 4,15 %

Quels sont les autres avantages d’un fonds monétaire par rapport à un dépôt à terme ?

Patrick Simeon : Nous pouvons déjà nuancer le fait que les DAT ont été plus attractifs que les fonds monétaires ces derniers mois. Effectivement lorsque la courbe est très pentue, les fonds monétaires sont moins compétitifs par rapport à des produits à terme. Mais durant la phase de remontée des taux d’intérêt, nous avons couvert les portefeuilles contre ce risque, ce qui nous a permis de coller à l’évolution des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne (BCE). Les fonds monétaires disposent par ailleurs d’autres avantages que le rendement par rapport aux DAT : ils sont très liquides et sont facilement cessibles sans préavis ni pénalité.

Cyril Merkel : L’OPCVM intègre en effet immédiatement les hausses de taux d’intérêt de la BCE. Il faut également garder à l’esprit que les grandes entreprises possèdent des limites par contrepartie et donc par banque. Par conséquent, les montants qui peuvent être alloués aux DAT ou aux Neu CP sont bien inférieurs à ce qu’il est possible d’investir dans un fonds monétaire dont l’encours est de plusieurs milliards, voire plusieurs dizaines de milliards d’euros, même si un ratio d’emprise est retenu. Pour les très grandes entreprises, les DAT ou les Neu CP ne peuvent être utilisés qu’à la marge pour diversifier leur allocation, en raison du risque de contrepartie qu’il faut toujours garder bien à l’esprit.

Daniel Bernardo, coresponsable de la gestion monétaire chez Ofi Invest Asset Management : Il existe en effet des différences importantes entre les DAT et les fonds monétaires. Ces derniers intègrent une grande diversification, ils peuvent être investis sur plus d’une centaine de lignes pour les plus gros avec un échéancier de tombées qui est également différencié. Tout cela permet de réduire fortement le risque par rapport à un DAT qui est exposé à un risque de contrepartie unique. Un gérant monétaire est également agile et a la possibilité d’épouser les événements de marché pour créer de la performance. A titre d’exemple, en 2022, nous anticipions que l’inflation n’était pas transitoire, mais plutôt pérenne, et à ce titre nous avons mis en place des swaps macro de couverture qui nous ont permis de faire basculer la sensibilité taux autour de 1 à 3 jours. Nous avons pu grâce à cette couverture bénéficier de toutes les hausses successives. Nous avons également agi sur la sensibilité crédit. Par exemple, nous avons considérablement réduit les moteurs obligataires. Aujourd’hui, ces moteurs ne représentent que 1 à 2 % de nos allocations. Nous privilégions en outre des maturités très courtes, à un ou deux mois, pour faire face à une éventuelle valorisation de marché négative. Cette réactivité des fonds monétaires explique aussi pourquoi la classe d’actifs a continué à collecter bien que les taux d’intérêt soient restés négatifs pendant plusieurs années. Bien qu’ils ne bénéficient d’aucune garantie en capital, les fonds monétaires ont la caractéristique d’être plus liquides que les autres classes d’actifs et ils présentent un niveau de risque de 1 sur l’échelle SRI, cette échelle de risque étant graduée de 1 à 7. Aujourd’hui, avec des taux d’intérêt positifs et un €ster valorisé à près de 3,9 %, le couple rendement/risque des fonds monétaires est selon nous devenu très attractif. Par conséquent, l’inflexion à venir des taux du marché monétaire ne devrait selon nous pas réduire la capacité des fonds monétaires à augmenter leur encours.

Fairouz Yahiaoui, gérante monétaire chez Ostrum Asset Management : Nous avons variabilisé nos investissements dès 2022 à partir du début de la crise ukrainienne. Il faut bien avoir conscience que cette technique est primordiale en période de hausse de taux car elle nous permet de supporter des hausses violentes comme nous avons pu en connaître en 2022 et en 2023 alors que les autres classes d’actifs notamment les obligations ont a contrario beaucoup souffert. Les obligations souveraines par exemple ont corrigé de plus de 10 % en 2022. Aujourd’hui la tendance est inversée. Les baisses de taux d’intérêt se profilent avec beaucoup d’agressivité. Dans ces conditions d’incertitude, nous adoptons chez Ostrum AM une gestion prudente avec une couverture des taux sur la partie au-delà de six mois.

Daniel Bernardo : Cette méthodologie permet aussi de tirer profit de la forme de la courbe. Si vous considérez la courbe €ster, le point pivot se situe actuellement à trois mois. Pour des échéances à un mois et à deux mois, le taux se situe à 3,9 %, mais à trois mois il est de 3,87 %. Les gérants monétaires peuvent donc bénéficier de ces 3 points de base et réaliser une variabilisation des placements pour viser à en augmenter le rendement. Ce même travail peut être fait sur chaque point de la courbe afin de profiter d’éventuelles inflexions de la courbe des taux qui transcrit actuellement les anticipations d’assouplissement de la politique monétaire de la BCE.

Damien Rio : Tous les fonds monétaires de la place de Paris se sont en effet couverts contre la hausse des taux d’intérêt. La duration moyenne sur notre fonds phare est actuellement de 150 à 160 jours, ce qui est relativement défensif. Nous parvenons tout de même à offrir un supplément de performance par rapport à l’€ster de + 15 à + 20 points de base. Ce faisant, nous obtenons un rendement de 4,1 % voire un peu plus. Les fonds monétaires sont de ce fait attractifs, non seulement pour les trésoriers d’entreprises mais aussi pour nos clients institutionnels. Certains d’entre eux ont renforcé leur allocation d’actifs au monétaire de façon relativement importante. Elle peut en effet représenter jusqu’à 20 % d’un mandat. Cette stratégie s’explique par le fait que le marché obligataire ayant déjà anticipé les baisses de taux d’intérêt, celui-ci devrait connaître de la volatilité dans les prochains mois. Il peut alors être pertinent d’allouer une portion importante à des fonds monétaires qui offrent du rendement et présentent peu de risques.

Fairouz Yahiaoui, gérante monétaire chez Ostrum Asset Management

Ostrum Asset Management - Données clés

  • Effectifs dans la gestion monétaire : 4 au 31/12/2023
  • Encours dans la gestion monétaire : 49,5 milliards d’euros au 31/12/2023
  • Performance 2023 et YTD dans l’un des fonds phares : Ostrum SRI Money Plus (part I/C), performances nettes : 3,44 % en 2023 (ESTR a 3,31 %) et 0,34 % YTD (à fin janvier) avec un niveau de volatilité extrêmement faible

La clientèle des fonds monétaires est-elle en train de se diversifier ?

Daniel Bernardo : Les fonds monétaires s’inscrivent actuellement dans un marché de volume dominé par les grands institutionnels et les grandes entreprises et nous constatons désormais un appétit retrouvé et croissant de la part des particuliers et des conseillers en gestion de patrimoine. Les taux servis sont suffisamment attractifs pour attirer de nouveau cette clientèle. D’ailleurs, en 2023, nous avons été dans le top collecteurs chez deux courtiers grossistes leaders du marché bien connus des CGP : Nortia et Alpheys.

Fairouz Yahiaoui : La clientèle des particuliers apporte en effet une diversification intéressante. Nous avons ainsi créé l’an dernier de nouvelles parts de fonds qui leur sont dédiés et avons recueilli 3,5 milliards d’euros de souscription nette en provenance de cette clientèle via nos réseaux de distribution. Cette clientèle affiche un réel appétit pour ce type de fonds. Par ailleurs, nous constatons un intérêt croissant des investisseurs européens pour la classe d’actifs.

Damien Rio : Les sociétés de gestion adossées à des réseaux ont l’opportunité de se développer auprès de cette clientèle. Nous possédons depuis longtemps des parts dédiées aux particuliers et avons aussi rencontré de l’intérêt de la part de cette clientèle depuis l’an dernier.

Patrick Simeon : En ce qui nous concerne, nous avons en 2023 ouvert de très nombreux comptes à l’étranger. En Europe, le potentiel de développement de la classe d’actifs est très conséquent. Nous avons enregistré en Allemagne, en Espagne, en Italie, dans les pays nordiques, un regain d’intérêt auprès d’une clientèle diversifiée. Nous possédons aussi un autre atout : notre capacité à analyser et à gérer le risque idiosyncrasique dans nos portefeuilles. Nous possédons des équipes importantes d’analystes du risque de crédit dédiées qui adoptent une approche prudente.

Cyril Merkel : Il est vrai que les sociétés de gestion disposent d’équipes importantes et assurent un suivi des risques que les trésoriers ne peuvent réaliser en interne. Par ailleurs, en ce qui concerne la clientèle des particuliers, certes celle-ci est plus stable, mais elle n’atteindra jamais les niveaux d’encours des institutionnels et des grosses trésoreries.

Patrick Simeon, responsable de la gestion monétaire d’Amundi

Amundi - Données clés

  • Effectif dans la gestion monétaire : 12 gérants monétaires
  • Encours de produits de trésorerie : 242 milliards d’euros à fin décembre 2023
  • Collecte nette en 2023 : + 19,7 milliards d’euros de collecte en produits de trésorerie
  • Performance 2023 et YTD dans l’un des fonds phares : Amundi Euro Liquidity SRI

- Performance nette de frais de gestion en 2023 : 3,39 % soit  €STR + 13 points de base

- YTD Au 31/01/2024 : performance nette de frais de gestion : 4,01 % soit  €STR + 10 points de base

- Encours sous gestion du fonds au 31/01/2024 : 56,9 milliards d’euros

La gestion du passif est-elle aussi importante que celle de l’actif ?

Patrick Simeon : En termes de gestion du risque et de la liquidité au passif, il est certain que les particuliers sont plus stables. Nos poches de liquidité sont calibrées en fonction des stress tests réalisés sur le passif. Plus ce dernier est concentré, plus les poches de liquidité doivent être importantes. Durant la Covid, les entreprises sont sorties des fonds monétaires car elles ont eu besoin de liquidités. Il a fallu réagir très vite. Cet épisode nous a conduits à distinguer dans nos stress tests le comportement des différents types de clientèles. Il y a 30 ans, les particuliers représentaient une proportion non négligeable du passif des fonds monétaires ; avec les taux négatifs, cette part est tombée à moins de 5 %. Si nous arrivons à faire remonter cette part sensiblement, cela aura un impact vertueux sur le calibrage de nos poches de liquidité.

Daniel Bernardo : Nous devons être vigilants en tant que gérant de fonds monétaires sur la composition du passif. Il est important de diversifier nos passifs afin qu’en cas de mouvement de marché, comme lors de la Covid, les rachats ne soient pas simultanés. Depuis 2019, les fonds monétaires doivent respecter un ratio journalier de liquidité correspondant à 7,5 % de leur actif net déposé en compte chez le dépositaire et à cela s’ajoute le suivi d’un ratio de liquidité hebdomadaire de 15 %. Nous avons aussi la possibilité d’investir en OPC monétaire l’équivalent de 10 % de l’actif net (maximum 5 % par OPC). Par conséquent, les fonds monétaires ont systématiquement à leur disposition entre 8 % et 20 % de leur actif disponible. Il faut en parallèle veiller à travailler sur son échéancier et sur la qualité de crédit afin d’augmenter à la fois la liquidité et la sécurité offerte par le fonds.

Damien Rio : La crise Covid a permis de renforcer les contraintes de construction de portefeuille. Effectivement, chaque fonds monétaire va utiliser des titres liquidables rapidement, comme les TCN émis par les grandes banques françaises. Ces dernières ont démontré durant la Covid qu’elles étaient en capacité d’apporter de la liquidité. Cela nous permet de faire face à des rachats importants.

Daniel Bernardo : Nous conservons aussi un stock conséquent de titres émis par des banques françaises. Outre la liquidité qu’il nous procure, il nous permet de piloter notre performance en nous positionnant sur des maturités longues qui offrent davantage de rendement.

Daniel Bernardo, coresponsable de la gestion monétaire chez Ofi Invest Asset Management

Ofi Invest Asset Management - Données clés

  • Effectifs dans la gestion monétaire : 4 gérants, 1 directeur, 12 analystes crédit (à fin décembre 2023).
  • Encours dans la gestion monétaire : 16,7 milliards d’euros à fin décembre 2023
  • Collecte nette en 2023 sur les fonds monétaires : 1,42 milliard d’euros

La taille est-elle toujours un atout ?

Patrick Simeon : Elle constitue un atout pour les gros investisseurs car ceux-ci doivent tenir compte leur ratio d’emprise. Nous possédons plusieurs fonds de grande taille, ce qui nous permet de gérer des flux entrants ou sortants très conséquents.

Cyril Merkel : Un des premiers critères regardés par les trésoriers est celui de la taille du fonds. Chez les gros corporates, les équipes sélectionnent des fonds dont l’encours est supérieur a minima à, par exemple, 5 milliards d’euros.

Fairouz Yahiaoui : Notre gamme est constituée de quatre fonds ouverts supérieurs à 10 milliards d’euros. Nous travaillons sur l’horizon d’investissement de nos clients. A ce titre, nous organisons régulièrement des points d’étape avec des commerciaux pour quantifier les potentiels flux liés à des sorties cycliques ou à des acquisitions. La liquidité et la taille du fonds sont importantes, mais aussi la construction de l’échéancier. Les fonds monétaires ont cette particularité de faire du sur-mesure pour certaines clientèles : les corporates doivent prévoir le paiement des tombées, des caisses de retraite, des prestations, etc. Il est important de construire un échéancier fin.

«Un des premiers critères regardés par les trésoriers est celui de la taille du fonds.»

Cyril Merkel président de la commission des placements ,  AFTE (association française des trésoriers d’entreprise)

Comment les très gros fonds trouvent-ils suffisamment de papiers à investir ?

Patrick Simeon : Nos fonds sont par nature surpondérés sur le secteur financier qui offre un niveau de rémunération relativement attractif, une bonne solidité financière et émettent des volumes de titres court terme importants. Les émetteurs corporate préfèrent se financer sur le marché obligataire à des maturités plus longues qui ne sont pas compatibles avec nos limites réglementaires. Lorsque les corporates font appel au marché monétaire, les volumes émis sont bien moindres et certains ont des niveaux de notation plus bas, ce qui ne nous permet pas de davantage les privilégier. Pour placer nos liquidités, nous pouvons aussi investir en papiers d’Etats, ou d’agences gouvernementales ou supranationales, faire du reverse repo avec du collatéral de très bonne qualité. Ces titres sont toutefois généralement moins performants. Les portefeuilles des gérants français possèdent donc un biais important sur le secteur financier et en particulier sur les banques françaises, elles aussi très actives à l’émission de titres courts. Il en va de même des gérants anglo-saxons, les gérants monétaires dans leur grande majorité surpondérant les émissions des acteurs financiers.

Daniel Bernardo : La structure du marché s’impose bien évidemment aux fonds monétaires. 75 % des émissions sur le marché monétaire en France relèvent du secteur bancaire selon les données de la Banque de France. La surpondération dans l’actif des fonds est liée à cette sur-représentation. Concernant les émetteurs corporate, nous avons assisté ces dernières années à un changement, les émetteurs sont de plus petite taille et cela se ressent dans les encours et la taille des programmes d’émission. Certains encours peuvent être de seulement 200 ou 300 millions d’euros, ils sont souvent trop petits pour intéresser les gros fonds, même s’ils offrent un potentiel de rendement supérieur pour compenser leurs moindres liquidités.

Damien Rio : Il est possible de construire une gamme de fonds avec différents profils de risque et des encours variables et de mettre l’accent pour certains d’entre eux sur les émissions corporate qui offrent un surcroît de rendement, les gros fonds ayant un profil plus classique.

 

Daniel Bernardo : Ces émissions peuvent faire la différence en termes de rendement et permettre d’apparaître en tête dans les classements. Ce surcroît de performance est important pour les sociétés de gestion qui ne possèdent pas toutes de réseaux de distribution en propre. Je remarque par ailleurs que si le spread bancaire s’est maintenu, la hiérarchie des spreads entre les corporates s’est déstructurée, certaines entreprises disposent de beaucoup de cash, leur spread est de ce fait proche de celui des émetteurs bancaires. Elles sont ainsi très chères. La diversification sur les corporates est devenue plus compliquée, elle peut se faire alors sur un critère géographique. Les gérants vont ainsi chercher à investir sur de la dette de banques espagnoles, italiennes ou encore nordiques.

Damien Rio : Le moteur principal de la performance des fonds monétaires repose sur le risque de taux du fait de la structure inversée des courbes. Le risque de crédit est actuellement moins pertinent, ce qui se reflète dans les niveaux de WAL (maturité moyenne pondérée des actifs) observés.

Patrick Simeon : Nous sommes aussi concurrencés sur la partie 18 mois/deux ans par des fonds obligataires indiciels qui, face à des volumes d’émissions primaires faibles, participent à un renchérissement des titres corporate. Ces émissions sont souvent sursouscrites.

Fairouz Yahiaoui : Compte tenu de la taille de nos encours monétaires, près de 50 milliards d’euros à fin décembre, nous sommes à même d’investir à de meilleurs taux sur le marché des TCN (titres de créances négociables), les primes étant supérieures pour des investissements au-delà de 100 ou 200 millions d’euros par exemple. Par ailleurs, il y a actuellement beaucoup d’appétit pour les émissions primaires, ce qui rend la liquidité sur ces actifs exceptionnelle. Il est possible de les céder en valeur jour. Il peut être intéressant d’investir sur des papiers longs, indexés sur l’Euribor 3 mois et avec une très forte liquidité. Cet aspect ne doit pas être négligé dans l’allocation de portefeuilles.

Quelles sont vos perspectives en matière d’évolution des taux d’intérêt pour 2024 ?

Damien Rio : Le marché anticipe une baisse de taux d’intérêt en avril pour la BCE et en mai pour la Fed. Cela soulève une première interrogation : la BCE sera-t-elle en capacité de baisser ses taux d’intérêt avant la Fed ? Probablement pas. Notre scénario central envisage une première baisse de taux d’intérêt en juin. L’inflation en zone euro reste encore un peu au-delà des objectifs de la BCE, mais elle a tout de même bien diminué. La question de la trajectoire est également importante. Les conditions économiques en zone euro militent pour une trajectoire baissière rapide. Nous anticipons pour la fin de l’année une baisse des taux d’intérêt en ligne avec celle du marché, mais l’incertitude reste grande. Les conflits géopolitiques pourraient avoir un impact sur les chaînes d’approvisionnement et donc sur l’inflation. A contrario, les restrictions monétaires mettent du temps à se transmettre à l’économie et une dégradation accentuée de l’activité économique est toujours possible. La seule certitude est qu’il y aura beaucoup de volatilité cette année encore. En termes de gestion monétaire, cela signifie qu’il faudra avoir un risque de taux faible. Il serait éventuellement possible de mettre en place à la marge des stratégies pour capturer la performance liée à la volatilité des taux d’intérêt.

Daniel Bernardo : Notre scénario chez Ofi Invest Asset Management est le même. Pour nous, le marché a exagéré dans ses perspectives de baisses de taux d’intérêt. Nous anticipons un statu quo sur les six premiers mois de l’année avec une potentielle intervention en juin en faveur d’une baisse de 0,25 point de base. Les baisses devraient selon nous être de cette amplitude et limitées par leur nombre. La prudence reste néanmoins de mise compte tenu de certaines incertitudes qui persistent. Les facteurs pouvant impacter et nourrir l’inflation sont si nombreux et de natures si différentes que les banquiers centraux devront faire preuve de patience pour s’assurer du caractère durable de la trajectoire baissière de l’inflation observée ces derniers mois. Il n’est pas exclu que l’on assiste à une synchronisation des stratégies des banques centrales, même si le cycle économique est différent des deux côtés de l’Atlantique.

Fairouz Yahiaoui : Nous ne nous distinguons pas de ce qui vient d’être énoncé. Nos stratégistes anticipent trois baisses de taux d’intérêt qui débuteraient à partir du mois de juin à travers des pas de 25 points de base. La BCE ne procédera pas à de grosses baisses.

Patrick Simeon : Il est toujours difficile de se prononcer sur le timing. Nous anticipons au total 125 points de base de baisses durant l’année avec un atterrissage du taux de facilité de dépôt de la BCE à 2,75 fin 2024. Par ailleurs, le retour de l’inflation à l’objectif de 2 % durablement pourrait être plus difficile que prévu en raison de tensions géopolitiques pesant sur les coûts d’approvisionnement. Les changements observés dans la mondialisation seront probablement moins générateurs de déflation à l’avenir et il va falloir financer la transition énergétique dans un contexte de vieillissement de la population des pays développés… Ce sont des éléments que les banques centrales intégreront dans l’évolution de leurs politiques monétaires.

Les fonds monétaires intègrent systématiquement des critères ESG, la gestion devra-t-elle être adaptée au nouveau label ISR ?

Damien Rio : La quasi-totalité de la gestion monétaire de la place de Paris est labellisée ISR. En ce qui nous concerne, en tant que société de gestion adossée au Crédit Mutuelle Arkéa qui est une société à mission, tous nos fonds ouverts, comme nos fonds monétaires, sont ISR, et possèdent donc le label.

Daniel Bernardo : Notre gamme chez Ofi Invest Asset Management a également la particularité d’être labellisée ISR. Nous sommes attentifs au passage du label dans sa version V2 à V3 car les niveaux d’exclusion vont augmenter. Les fonds en approche best in class devront entre autres exclure de 20 % à 30 % de l’univers. Nous devons donc mesurer les conséquences de cette évolution, que ce soit en sondant le passif de nos fonds ou en analysant les impacts potentiels de cette nouvelle version du label sur la performance.

Fairouz Yahiaoui : Toute notre gamme est ISR. La question du label V3 se pose puisque contrairement à des investisseurs obligataires benchmarkés, nous devons sélectionner un univers d’émetteurs de haute qualité de crédit que nous analysons en interne. L’univers n’est pas le même selon les sociétés de gestion, l’impact du label V3 doit ainsi s’analyser en profondeur. Nous nous posons aussi la question de garder toute une gamme labellisée ou seulement une partie.

Patrick Simeon : Nous sommes aussi en phase d’analyse compte tenu de la spécificité de la gestion monétaire. Nous sommes engagés de longue date dans une démarche d’investissement responsable, nous continuerons à être volontaristes dans ce domaine afin de pouvoir participer au financement de la transition énergétique.

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