«La Casa de Papel», l’ultime recours

Publié le 1 mars 2019 à 11h13    Mis à jour le 1 mars 2019 à 14h31

Sébastien Barbe

Les politiques monétaires déployées ces dix dernières années par les banques centrales touchent leurs limites. L’entrée probable dans un cycle de récession appellera la mise en œuvre d’une nouvelle arme : l’injection de liquidités, ou «helicopter money».

«Ce n’est que du papier. Je fais de l’injection de liquidités, mais pas pour les banques. Je le fais ici, dans la véritable économie.» Si elle n’est que fiction, la réplique du Professeur, le cerveau de la série «La Casa de Papel», dévoile la forme probable que prendront les prochaines politiques monétaires des grandes banques centrales, dont les mesures exceptionnelles déployées ces dix dernières années touchent leurs limites. Face à une nouvelle récession, la mise en place d’une politique d’injection de liquidités au bénéfice direct des agents économiques deviendra la seule arme appropriée.

Alors qu’il avait disparu des conversations ces dernières années, la récente résurgence du mot «récession» ravive les souvenirs encore vifs de la crise de 2008-2009. En paralysant les grands flux commerciaux, les tensions entre les Etats-Unis et la Chine ont enrayé le cycle de croissance économique, jusqu’à envoyer certains pays exportateurs, comme l’Allemagne, à la lisière de la récession fin 2018.

Le basculement vers la récession n’aurait rien de catastrophique. Aucun élément ne permet de penser que son mouvement serait de la même ampleur que l’épisode historique de 2008-2009. Elle serait simplement l’aboutissement naturel d’un long cycle de croissance.

En revanche, l’approche de la récession pose la question des moyens pour en sortir. A chaque crise, pour requalifier le monde financier, les taux des banques centrales descendent plus bas que lors du cycle précédent. Et, pour appuyer cette baisse de taux, les grandes banques centrales ont refinancé le système bancaire grâce à des injections de liquidités.

Cette logique a atteint ses limites. Les programmes de rachats d’actifs ont permis de relancer l’économie et de soutenir le marché de l’emploi. Mais, en faisant monter la valeur des actifs, ils ont contribué à renforcer les inégalités et à enrichir le terreau de la montée des contestations sociales et du populisme observée dans de nombreux pays développés.

La réponse à la prochaine récession ne pourra donc venir que d’une solution inédite, différente du couple baisse des taux/rachats d’actifs. Même une relance budgétaire, efficace en théorie pour répondre à une récession, viendrait se heurter à la réalité des chiffres. En Europe, les pays qui auraient le plus besoin de se lancer dans une politique de relance franche, la France et l’Italie, n’ont pas les finances publiques pour le faire. L’Allemagne, malgré son excédent budgétaire, ne veut pas le faire pour des raisons culturelles et historiques.

Dans ce contexte, la réponse monétaire au prochain cycle de récession, qui plus est s’il est prolongé, sera celle de l’«helicopter money» (théorie développée par Milton Friedman en 1969), semblable à l’injection de liquidités évoquée par le professeur de «La Casa de Papel». Plusieurs banquiers centraux ont évoqué l’idée ces dernières années, comme Ben Bernanke, l’ancien président de la Fed, ou Mario Draghi, le président de la BCE. La Banque du Japon a même expérimenté une certaine forme d’«helicopter money» en monétisant la dette publique. Face aux effets de la robotisation sur la productivité et le marché du travail, la Californie évoque la nécessité d’un revenu universel qui pourrait être indirectement payé par la banque centrale. Ce type d’injections ne seraient-elles pas l’unique moyen de financer les transitions écologique et numérique des économies ?

La mise en place d’une politique monétaire aussi inédite se heurterait inévitablement à des obstacles. Elle créerait de fortes réticences politiques, probablement encore plus fortes que celles qu’avait par exemple générées en Europe la mise en place du quantitave easing de la BCE. En outre, une fois lancé, il est quasiment impossible de sortir d’un programme d’«helicopter money». La question n’est donc pas de savoir si cette arme monétaire verra le jour, mais quelle quantité de souffrance les Etats devront supporter avant d’accepter sa mise en œuvre.

Pour un investisseur, le cycle de reflation enclenché par ces injections de liquidités aurait des conséquences très différentes sur la dynamique des prix des actifs. Mais cela n’a-t-il pas déjà commencé ?

Sébastien Barbe

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