Aurait-on pu éviter de passer à une politique monétaire restrictive ?

Publié le 3 mars 2023 à 17h34

Patrick Artus    Temps de lecture 5 minutes

Il faut d’abord remarquer que les banques centrales (nous nous concentrons sur les exemples des Etats-Unis et de la zone euro) ne sont pas passées, malgré le niveau élevé d’inflation, à une politique monétaire très restrictive. Aux Etats-Unis, l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) est aujourd’hui de 5,7 %, le taux d’intérêt de la Réserve fédérale (le taux des fed funds) va plafonner probablement à 5,25 %, donc légèrement en dessous du niveau de l’inflation sous-jacente.

En 2008, le taux des fed funds est monté à 5,25 %, alors que l’inflation sous-jacente était de 2,5 %, ce qui correspond donc à une politique monétaire nettement plus restrictive qu’aujourd’hui.

Dans la zone euro, l’inflation sous-jacente atteint 7 % en janvier 2023, alors qu’on envisage un taux d’intérêt de la BCE (le taux repo) au maximum de 4 ou 4,5 %. Le taux d’intérêt réel à court terme reste donc nettement négatif, ce qui implique que la politique monétaire de la zone euro va rester expansionniste. A titre de comparaison, en 2009, le taux directeur de la BCE atteint 4,25 % et l’inflation sous-jacente de la zone euro 2,6 %, donc le taux d’intérêt réel à court terme était positif.

Cela montre que, même si les deux banques centrales durcissent aujourd’hui leur politique monétaire, celle-ci reste neutre aux Etats-Unis et expansionniste dans la zone euro. La même constatation s’impose lorsque l’on regarde le niveau des taux d’intérêt à long terme. Le taux d’intérêt à 10 ans est aujourd’hui aux Etats-Unis de 3,5 % et dans l’ensemble de la zone euro de 3 %, ce qui montre que les conditions financières sont encore expansionnistes, avec des taux d’intérêt réels à long terme très négatifs.

La contrepartie de ces politiques monétaires qui ne deviennent pas très restrictives sera qu’elles doivent être maintenues à ce niveau intermédiaire de restriction plus longtemps : les banques centrales ont arbitré en faveur d’une restriction monétaire restant modérée mais maintenue plus durablement, donc en faveur d’une baisse plus lente, progressive que dans le passé de l’inflation sous-jacente.

Mais comment aurait-on pu éviter cette hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis, même modérée ? La hausse des taux d’intérêt a effectivement été critiquée, parce qu’elle va ralentir l’activité, parce qu’elle va rendre plus difficile le financement des dépenses publiques et des investissements de transition énergétique, soit parce que la contribution des prix de l’énergie et de l’alimentation à l’inflation totale est importante. Quelles pistes auraient pu être utilisées pour maintenir les taux d’intérêt des banques centrales au niveau bas qu’ils avaient jusqu’au début de 2022 ?

La première piste aurait été simplement de ne pas augmenter les taux d’intérêt, de laisser l’inflation poursuivre une dynamique autonome. Cette piste fait peser le danger d’une hausse très forte et permanente de l’inflation. Le pic d’inflation aux Etats-Unis a été de 9,2 % en juin 2022, dans la zone euro de 10,6 % en octobre 2022. Sans la perspective de hausse des taux d’intérêt, on peut estimer que l’inflation serait montée aux Etats-Unis à 10,4 % et à 11,8 % dans la zone euro.

A ce niveau d’inflation, il est à craindre que le degré d’indexation des salaires aux prix augmente (autour de 0,6 aux Etats-Unis comme dans la zone euro, ce qui veut dire qu’un supplément de 1 point d’inflation conduit à une hausse de 0,6 % du salaire par tête) pour préserver le pouvoir d’achat des salariés. Et s’il y a un mouvement vers l’unité du degré d’indexation des salaires aux prix, l’inflation peut devenir arbitrairement élevée. Cette première piste (ne pas réagir à l’inflation) doit donc être rejetée.

La seconde piste consiste à lutter contre l’inflation par une politique budgétaire restrictive et non par une politique monétaire restrictive. Cette évolution de l’instrument de la politique économique qui lutte contre l’inflation semble rationnelle. La politique monétaire n’est pas très efficace pour lutter contre l’inflation (notre estimation de l’effet d’une hausse de 10 points de base des taux d’intérêt des banques centrales est que cette hausse réduit l’inflation sous-jacente au bout de 1 an à 1 an et demi, de 25 points de base).

Les hausses anticipées de 500 points de base du taux des fed funds et de 450 points de base du taux repo sur l’euro ne réduisent l’inflation que de 1,2 point. Par contre, une politique budgétaire restrictive réduirait l’inflation plus fortement : une réduction de 1 point de PIB du déficit public réduit le niveau de PIB d’un peu plus de 1 point, fait monter le taux de chômage de 0,8 ; l’expérience du passé montre qu’une hausse du taux de chômage de 1 point à un 1 point demi, suffit à faire baisser l’inflation. Une politique budgétaire restrictive est donc plus efficace pour réduire l’inflation qu’une politique monétaire restrictive.

Le besoin de dépenses publiques est aujourd’hui élevé aux Etats-Unis et encore plus dans la zone euro : des dépenses publiques accrues financent la transition énergétique, la recherche-développement, l’éducation, les dépenses militaires… Cela conduit à penser que si la politique budgétaire est utilisée à la place de la politique monétaire pour réduire l’inflation, il doit s’agir de politique fiscale du maniement des impôts, et pas de la politique des dépenses publiques.

Une pression fiscale plus élevée serait mise en place en cas d’inflation, et il faudrait bien sûr que la pression fiscale soit réduite lorsque l’inflation a disparu. Il n’est pas question d’augmenter durablement la pression fiscale parce que l’on sait qu’une telle augmentation durable amènerait une baisse du taux d’épargne qui neutraliserait son effet sur la demande et sur l’inflation.

Patrick Artus conseiller économique ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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