Faut-il craindre une inflation élevée et durable ?

Publié le 1 octobre 2021 à 19h20

Michel Martinez

Un potentiel retour durable de l’inflation à des taux nettement supérieurs à 2 % l’an entraînerait probablement une forte hausse des taux d’intérêt à long terme et aurait un impact majeur sur tous les prix des actifs.

Force est de reconnaître que les prévisionnistes, nous y compris, ont couru après l’inflation tout au long de l’année 2021, celle-ci s’affichant toujours plus haut que ce qui était initialement anticipé. Elle atteignait 2,7 % sur un an en France en septembre, 4,1 % en Allemagne, 3,4 % en zone euro et plus de 5 % aux Etats-Unis. Des chiffres que l’on n’avait plus observés depuis des décennies. Jusqu’à présent, le discours des prévisionnistes, banques centrales et institutions internationales y compris, est que ce rebond inflationniste est temporaire : fin 2022/début 2023, les taux d’inflation retrouveraient des tendances proches de celles d’avant la pandémie, de l’ordre de 1,5 % en zone euro, légèrement supérieure à 2 % aux Etats-Unis. Les opérateurs de marché spécialistes de l’inflation partagent cette vue si on se fie aux swaps d’inflation, la référence pour se prémunir du risque inflationniste. En un mot, tous ceux qui s’essaient à la prévision de l’inflation considèrent la situation actuelle comme temporaire.

La question principale est de savoir s’il existe des sources auto-entretenues, permanentes, d’inflation. Et notre réponse est : « Peu probable à court terme, mais tout à fait possible dans deux ou trois ans. » Deux cadres d’analyse sont généralement mobilisés : l’approche monétariste et l’approche néo-keynésienne. L’approche monétariste est peu probante : la création monétaire depuis la Grande Récession de 2008 a nourri l’inflation des prix des actifs (financiers et immobiliers), mais ses effets sur l’inflation classique auront été au mieux modestes, comme si la création monétaire était restée circonscrite à la sphère des actifs.

L’approche néo-keynésienne repose sur les déséquilibres entre offre et demande. On parle de « courbes de Phillipps augmentées ». L’inflation y dépend, d’une part, de l’inflation importée (essentiellement l’énergie) et, d’autre part, des tensions dans l’économie domestique, notamment sur le marché du travail. Ces outils avaient un fort pouvoir prédictif jusqu’au milieu des années 2000, permettant d’expliquer près de 80 % de la variation de l’inflation. Ces dernières années, ce pouvoir explicatif a baissé et serait plus proche de 50 %. Selon cette approche, pour que l’inflation se manifeste de façon élevée et permanente, il faut au moins un de ces deux ingrédients : hausses répétées des prix de l’énergie ou économie durablement sous tension, où la demande est supérieure à l’offre et ce, dans la plupart des secteurs économiques et notamment le marché du travail.

Aux Etats-Unis comme en Europe, la quasi-totalité de l’accélération récente de l’inflation s’explique par le choc sur les prix de l’énergie. En un an, les prix du pétrole ont plus que doublé, ceux du gaz ont triplé. Les experts considèrent que la production de pétrole et de gaz, et leur acheminement, devraient augmenter suffisamment d’ici l’été prochain, pour limiter tout nouveau potentiel de hausse de leur prix. La limite de ce raisonnement est qu’il est tenu depuis plus de six mois, et constamment repoussé dans le temps. L’offre énergétique pourrait bien se révéler moins élastique que ce que l’on a observé ces dernières années et à nouveau sujette à des interventions géopolitiques, et ce même si la demande d’hydrocarbures tend à diminuer en raison de la transition climatique.

Pour observer des pressions salariales (disons des hausses de salaires supérieures à 3 % l’an), l’histoire récente (avant la pandémie) suggère qu’il faudrait au moins que le taux de chômage baisse en dessous de 7 % en France et en zone euro, et en dessous de 3,5 % aux Etats-Unis. Ce n’est probablement pas une menace à court terme, compte tenu du choc pandémique. Mais c’est une perspective désormais crédible au-delà de 2022. Les mesures de soutien ciblées des gouvernements dans les pays avancés ont en effet permis de limiter les cicatrices durables sur le système productif (faillites, destructions d’emploi). Avec la reprise, les économies avancées seront alors sous tension. Et si d’ici là, l’inflation reste toujours élevée, qu’elle vienne des prix de l’énergie ou des goulots d’étranglement dus à la pandémie, des boucles prix salaires pourraient bel et bien s’enclencher. Ce n’est pas la vision dominante aujourd’hui, mais le risque ne peut être totalement écarté. 

Michel Martinez Chef économiste Europe ,  Société Générale Corporate & Investment Banking

Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking

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