L’inflation s’installe à un niveau élevé, la BCE devra faire plus

Publié le 24 février 2023 à 17h22

Michel Martinez    Temps de lecture 4 minutes

Le pic d’inflation est désormais derrière nous. Elle a baissé de 10,6 % sur un an en octobre à 8,6 % en janvier en zone euro. La raison tient essentiellement aux prix de l’énergie, dont la hausse se modère. Toutefois, historiquement, l’inflation converge toujours vers l’inflation sous-jacente, hors énergie et alimentation. Ses tendances récentes sont préoccupantes. Elle a atteint en janvier un nouveau record, à 5,3 % sur un an. Plus de 40 % des items hors énergie et alimentation connaissent une hausse des prix supérieure à 4 % sur un an. L’inflation des prix des biens non alimentaires est proche de 7 % – à comparer à une moyenne de 0,6 % pendant deux décennies avant la pandémie–, celle des services est supérieure à 4 %.

D’une manière générale, le diagnostic à poser sur la situation actuelle est celle d’une économie en tension, contrainte par l’offre, et non la demande, comme cela a pu être le cas pendant des décennies. Le secteur automobile est un bon exemple d’une telle configuration, avec une production qui a progressé de 17 % sur un an en décembre, grâce à l’amélioration des goulots d’étranglement, alors que les carnets de commandes baissent légèrement. Dans les enquêtes sur les facteurs qui limitent leur production, les entreprises ne mentionnent pas le manque de demande, mais, au contraire, la difficulté de trouver des équipements (pour l’industrie) et surtout du personnel, et ce dans tous les secteurs. Un tel diagnostic éclaire les évolutions récentes de l’économie. Bien que la demande ait été affectée par la hausse des prix, l’économie n’est pas tombée en récession. Les marges des entreprises sont restées à des niveaux historiquement élevées, autrement dit les entreprises ont pu faire passer à leurs clients finaux les hausses de prix des entrants. Les entreprises ont jusqu’ici continué à investir et embaucher. Toutes ces évolutions sont naturelles si l’on suppose que l’offre a progressé, tout en restant très inférieure à la demande, et que les entreprises doivent encore augmenter leurs capacités de production pour satisfaire cette demande excédentaire.

Il y a peu de raisons de penser que cette situation change radicalement cette année. L’offre progresse en général lentement, guère plus de 1 % par an. La demande, en revanche, devrait s’améliorer : les salaires accélèrent et devraient progresser plus rapidement que l’inflation. Les marchés du travail n’ont jamais été aussi tendus en plus de quarante ans. Le taux de chômage est tombé à 7,2 % en France, un plus bas depuis la précédente « surchauffe » en 2008. Le taux d’emploi est à un plus haut de mémoire de statisticiens, et il y a désormais en France 3 chômeurs par emploi vacant, contre 15 de 2000 à 2015… Pas étonnant dans ce contexte que la Banque de France prévoie 6 % de hausse des salaires cette année, après 5,3 % en 2022. Si les tensions dans l’économie persistent et si ces hausses de salaires se confirment, l’inflation domestique a peu de chances de tomber en dessous de 3 %, un niveau nettement au-dessus des 2 % visés par la BCE. Les risques de spirale prix-salaires seraient alors élevés.

Les marchés anticipent désormais que le principal taux directeur de la BCE remonterait à 3,7 % après l’été, contre 2,5 % aujourd’hui. Nos modèles suggèrent qu’elle devrait aller plus loin. Pas tant du côté des taux courts que du côté des taux longs. Du fait du recours massif au QE (achats de titres obligataires), les taux longs, à trois, cinq ou dix ans, restent faibles en termes réels. Les Etats et les entreprises les mieux notés peuvent emprunter à moyen et long terme à des taux d’intérêt équivalents ou inférieurs au taux de la BCE. C’est là que se situe l’anomalie. Dans les années 2000, quand Trichet remontait les taux de la BCE, l’Etat allemand empruntait à dix ans à des taux 100 points de base au-dessus des taux directeurs. Et tous les agents économiques empruntaient à des marges encore plus élevées. Dit autrement, la configuration actuelle de la courbe des taux limite fortement l’efficacité du durcissement monétaire. La BCE va commencer en mars la réduction de son portefeuille obligataire (QT), mais à un rythme très léger, 15•milliards d’euros par mois, un rythme qui ne permettra pas de résoudre cette anomalie. Si notre diagnostic est le bon, la BCE, comme les autres banques centrales, devront changer de braquet dans la réduction de la taille de leur bilan, si elles désirent réellement ramener l’inflation à 2 %. Les taux longs augmenteraient fortement.

Michel Martinez Chef économiste Europe ,  Société Générale Corporate & Investment Banking

Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking

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