L’appauvrissement de la zone euro

Publié le 10 novembre 2022 à 16h52

Patrick Artus    Temps de lecture 5 minutes

L’appauvrissement de la zone euro a différentes origines, qui se cumulent pour aboutir au pronostic de stagnation de l’activité et de recul du niveau de vie pour les habitants de la zone euro.

La première cause d’appauvrissement de la zone euro est le recul de la population active. De 2020 à 2050, la population active devrait reculer de 2 % en France, de 20 % en Allemagne, de 8 % en Espagne, de 11 % en Italie. Au total, le recul de la population active de la zone euro devrait faire reculer de 0,35 % par an la production potentielle. Ce recul de la population active est très mal venu alors que le nombre de retraités continue à augmenter, générant un sérieux conflit entre générations pour l’attribution du revenu national.

La deuxième cause de l’appauvrissement est la stagnation de la productivité du travail. Les gains de productivité ont constamment reculé, jusqu’à ce qu’ils disparaissent au début de la crise de la Covid. Les causes du recul et de la disparition des gains de productivité sont multiples : le vieillissement de la population active ; l’insuffisance de l’investissement et de l’effort de recherche (les dépenses totales de recherche-développement atteignent 3,4 % du PIB aux Etats-Unis, seulement 2 % dans la zone euro) ; les compétences faibles de la population dans les pays du sud de l’Europe et en France ; depuis quelques années, le recul du temps de travail par salarié, qui s’amplifie depuis la crise de la Covid, et consomme les gains de productivité horaire.

Si l’on cumule le recul de la population active et la stagnation de la population active, on parvient à un recul (de 1/3 % par an du PIB potentiel). C’est une très mauvaise nouvelle, à un moment où les besoins d’investissement, publics et privés, associés à la transition énergétique, aux relocalisations stratégiques, aux besoins des systèmes d’éducation et de santé, vont être très élevés. Au moment où il faudrait investir plus, la croissance disparaît et rend ce supplément d’investissement impossible.

La troisième cause de l’appauvrissement de la zone euro est la hausse brutale, due à la guerre en Ukraine, du prix de l’énergie : le prix de l’électricité en Europe est multiplié par un facteur d’au moins 3, et ce pour plusieurs années. Or, la zone euro et particulièrement l’Allemagne avaient basé leur développement économique sur la disponibilité d’une énergie peu chère, importée en ce qui concerne le gaz naturel à 40 % de Russie. Le passage d’une énergie peu chère à une énergie chère bouleverse la stratégie économique de la zone euro. Beaucoup de petites et moyennes entreprises, dans les secteurs gros consommateurs d’énergie, vont disparaître ; les plus fortes entreprises dans ces secteurs vont délocaliser leurs productions aux Etats-Unis, en Chine. L’industrie des biens intermédiaires (qui représente 7 % du PIB de l’Allemagne) ne pouvant plus produire de façon compétitive en Europe va partir.

Mais cette source d’appauvrissement ne s’arrêtera pas lorsque l’Europe aura remplacé le pétrole et le gaz naturel qui provenaient de Russie jusqu’au déclenchement de la guerre en Ukraine. En effet, l’Europe a décidé, ce qui est à son honneur, de réaliser une transition énergétique rapide, de faire disparaître ses émissions de CO2 à l’horizon 2050. Le problème est que les autres régions, continents, réalisent une transition beaucoup plus lente.

Les émissions de CO2 du monde continuent d’augmenter, tandis que celles de l’Union européenne seraient en 2030 de 41 % inférieures au niveau de 1990, ce qui est une performance inférieure à celle que l’UE s’était fixée (– 55 % par rapport au niveau de 1990), mais très supérieure cependant à celle des autres pays. Le problème de l’Europe est qu’elle va dégrader sa compétitivité, au moins pour une période longue de temps sinon à long terme, en adoptant des normes climatiques plus strictes que les autres continents, et que la taxe CO2 aux frontières de l’Europe ne corrige pas ce handicap de compétitivité, puisqu’elle ne porte que sur quelques biens intermédiaires, et peut même pousser à la délocalisation des productions des autres biens.

La dernière cause d’appauvrissement de l’Europe enfin est la disparition de la croissance chez un partenaire commercial majeur de l’Europe, et surtout de l’Allemagne : la Chine. Le vieillissement démographique en Chine, la hausse de l’épargne de précaution y font disparaître presque toute la croissance de la demande intérieure, privant l’Europe de débouchés importants. Les exportations de l’Europe vers la Chine ont atteint 260 milliards de dollars en 2021, en hausse de 45 % en 10 ans et représentant 12 % des exportations totales de l’Union européenne.

Au total, on voit les différentes origines de l’appauvrissement de la zone euro (ou de l’Union européenne) dans le futur : le vieillissement démographique, la disparition des gains de productivité, la hausse aujourd’hui, et structurelle, du prix de l’énergie et la perte de compétitivité induite, une transition énergétique plus rapide que celle des autres continents, la stagnation des exportations vers la Chine.

Toutes ces causes s’ajoutant, la zone euro va perdre en tendance de 2 à 2,5 % de croissance par an vis-à-vis des Etats-Unis, une perte de plus de 40 % de PIB relativement aux Etats-Unis pour la zone euro. 

Patrick Artus conseiller économique ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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