L’emploi et les nouvelles technologies, les deux difficutés de la France

Publié le 16 juin 2023 à 18h40

Patrick Artus    Temps de lecture 5 minutes

Le Programme de stabilité présenté par le gouvernement français prévoit, pour la période 2023-2027, une forte progression de l’emploi (1,1 % par an en moyenne entre 2023 et 2027) et un niveau élevé de croissance (presque 1,6 % par an entre 2023 et 2027) et en conséquence, une reprise des gains de productivité (en croissance de 0,5 % par an entre 2023 et 2027), alors que la productivité du travail a reculé de 3 % de 2020 à 2022.

Cette prévision de moyen terme présentée par le gouvernement suppose donc que deux problèmes structurels majeurs de la France, la faiblesse de l’investissement dans les nouvelles technologies et la faiblesse du taux d’emploi, seront largement résolus d’ici 2027.

Concernant le premier point, quand on compare les pays de l’OCDE, on voit apparaître une corrélation extrêmement forte entre d’une part, le taux d’investissement en nouvelles technologies (de l’information et de la communication), l’effort de recherche-développement et le nombre de robots industriels par salarié de l’industrie. Une hausse de 1 point de PIB de l’investissement en nouvelles technologies est associée à une progression plus rapide de 1,1 % par an de la productivité du travail ; des dépenses de recherche-développement plus élevées de 1 point de PIB correspondent aussi à une croissance plus rapide de 1 % par an de la productivité ; enfin, une hausse de 1 % du stock de robots industriels pour 100 salariés impliquerait, d’après ces estimations, une croissance de 0,8 % par an plus rapide de la productivité.

Quand on compare la France aux autres pays de l’OCDE, on voit la faiblesse de l’investissement en nouvelles technologies (hors logiciels) : 2,1 % de PIB aux Etats-Unis, 0,8 % de PIB en Allemagne, 1,6 % du PIB au Japon et seulement 0,5 % du PIB en France. On voit aussi la faiblesse des dépenses de recherche-développement : 3,4 % du PIB aux Etats-Unis, 3,2 % en Allemagne, 3,3 % au Japon, 4,8 % en Corée, 2,2 % seulement en France. On voit aussi le retard pris dans la robotisation de l’industrie, avec 2,8 robots pour 100 salariés aux Etats-Unis, 3,4 robots pour 100 salariés en Allemagne, 3,8 robots pour 100 salariés au Japon, 8,2 robots pour 100 salariés en Corée, et uniquement 1,9 robot pour 100 salariés en France.

Passons au deuxième handicap de la France : le niveau faible du taux d’emploi. Le taux d’emploi (proportion de la population en âge de travailler qui a un emploi) des jeunes français (de 20 à 29 ans) n’est que de 65 %, alors que celui des jeunes américains est de 71 %, celui des jeunes allemands de 74 %, et celui des jeunes britanniques de 75 %.

De même, le taux d’emploi global (des personnes de 15 à 64 ans) n’est que de 68 % en France, alors qu’il est de 71 % aux Etats-Unis, 77 % en Allemagne et 76 % au Royaume-Uni. Si l’on se reporte à nouveau au Programme de stabilité construit par le gouvernement français, il y est fait l’hypothèse d’une forte hausse du taux d’emploi, puisque l’emploi est supposé augmenter de 5,6 % entre 2023 et 2027, alors que la population en âge de travailler en France va reculer de 0,5 % sur cette période.

Cette progression du taux d’emploi est présentée comme le résultat des réformes diverses engagées (retraites, service public, formation professionnelle, etc. Mais le taux d’emploi, des jeunes ou de l’ensemble de la population active, s’explique aussi par la performance du système éducatif et par le niveau des compétences.

Quand on compare les pays de l’OCDE, on trouve ainsi une corrélation très forte entre les taux d’emploi des jeunes et les enquêtes PISA sur les compétences des jeunes : une hausse du score PISA de 20 (ce qui correspond en moyenne à l’écart entre le score PISA des Pays-Bas et de la France, l’écart entre le score de l’Australie, du Canada et celui de la France étant plus élevé, en moyenne de 30) est associée à une hausse du taux d’emploi des jeunes de 4 % et une hausse du taux d’emploi de l’ensemble de la population de 3,2 %.

On trouve aussi une corrélation très forte entre la proportion des jeunes déscolarisés et sans emploi (les NEET) et le taux d’emploi des jeunes. Si la France avait eu en moyenne aussi peu de jeunes déscolarisés et sans emploi que les Pays-Bas, la Suède, le Danemark, l’Allemagne, l’Autriche, sa proportion de NEET aurait été de 9 % et non de 16 %, le taux d’emploi des jeunes de 20 à 29 ans aurait été de 13 points plus élevés, le taux d’emploi des 15-64 ans aurait été, d’après cette analyse, de 9 points plus élevés.

Au total, l’accélération de la croissance en France, associée à la poursuite de la hausse du taux d’emploi et au redressement des gains de productivité, peut être obtenue si deux conditions sont remplies : d’une part une hausse significative de l’investissement en nouvelles technologies ; d’autre part une amélioration de l’efficacité du système éducatif et du système de formation professionnelle.

Ce sont les deux points centraux d’un programme efficace de réformes en France. 

Patrick Artus conseiller économique ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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