Les ETF sont-ils des vecteurs de risque systémique ?

Publié le 6 janvier 2017 à 17h02

Fabrice Riva

Les ETF (Exchange Traded Funds) totalisent désormais 3 200 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Même si ce montant peut paraître modeste comparé à l’actif net total des fonds communs de placement (31 380 milliards de dollars fin 2015), il est cependant jugé suffisant pour que plusieurs régulateurs de marché, au premier rang desquels la SEC (Securities and Exchange Commission), considèrent que les ETF sont désormais de nature à causer des chocs d’ordre systémique pour les marchés en cas de dysfonctionnement.

De fait, les ETF ont connu deux épisodes de crise majeurs, caractérisés par d’importants décrochages entre les prix auxquels ces instruments se sont échangés et la valeur de l’indice qu’ils étaient censés répliquer. Le premier épisode remonte au flash-crash du 6 mai 2010. Si de nombreux actifs ont connu des variations de cours anormales au cours des 36 minutes séparant le début de la fin du krach, le rapport conjoint de la CFTC (Commodity Futures Trading Commission) et de la SEC note que les ETF ont été plus particulièrement affectés : sur les 20 000 ordres dont l’exécution a dû être annulée pour cause de prix d’échange aberrants, 70 % concernaient des ETF dont le cours s’était effondré de 60 % en quelques minutes quand l’indice Dow Jones perdait au maximum 9,2 %. Plus récemment, le 24 août 2015, les ETF ont à nouveau été impliqués dans un krach éclair d’une durée de 15 minutes durant lequel près de 500 d’entre eux, dont le QQQ (qui réplique le NASDAQ-100), ont vu leurs cours chuter de plus de 10 %.

Comment expliquer ces décrochages brutaux de cours, et en quoi ceux-ci sont-ils porteurs de risque pour l’ensemble du marché ? Deux documents de recherche récents[1] apportent un éclairage sur ces questions. Tous deux partent du point de vue que l’accessibilité aux sous-jacents qui composent le panier de l’ETF peut se trouver entravée. De fait, le 24 août 2015, la quasi-totalité des ETF s’échangeait dès l’ouverture du marché alors que 40 % des actions du NYSE (New York Stock Exchange) n’affichaient toujours pas de prix 10 minutes après l’horaire normal de début des négociations[2]. En pareil cas, les teneurs de marché en charge de la cotation des ETF font face à une forte incertitude concernant les conditions de prix auxquelles ils pourront convertir les unités d’ETF qu’ils détiennent en actifs du panier (à travers un processus nommé création/rédemption). Cela les conduit à exiger des primes de risque importantes, ce qui entraîne une chute du prix d’échange des ETF en cas de pression vendeuse. Ainsi peut s’expliquer le décrochage du cours d’un ETF par rapport à son indice. Mais, comme le montre le second document de recherche, l’histoire ne s’arrête pas là. En effet, de nombreux investisseurs utilisent le prix de l’ETF pour extraire de l’information sur la valeur des actifs qui entrent dans la composition du panier de celui-ci. Cette information étant par nature bruitée, les transactions que réalisent ces investisseurs sur la base d’inférences imprécises entraînent un surcroît de volatilité des titres concernés. Ce surcroît de volatilité entraîne une augmentation du risque perçu par les teneurs de marché d’ETF qui réagissent en dégradant à nouveau les conditions auxquelles ils sont prêts à se porter contrepartie des ordres qui leur sont adressés. La boucle est alors bouclée, et toutes les conditions sont réunies pour que se développe une chute auto-entretenue du marché de l’ETF et de l’ensemble du marché des sous-jacents. Celle-ci a en outre d’autant plus de chances de se développer que l’accès aux titres du panier est complexe car les arbitrages entre les deux marchés, qui auraient pour effet de réaligner le prix de l’ETF avec celui du panier, sont alors trop coûteux, voire impossibles à mettre en place.

Ce risque peut-il être évité ? Plusieurs pistes sont actuellement étudiées par la SEC portant notamment sur l’harmonisation des règles qui régissent la négociation des ETF et de leurs sous-jacents (interruptions de cotation, variations maximales autorisées, etc.). Le régulateur américain semble cependant pour l’instant ne pas considérer la possibilité d’interrompre les échanges sur un ETF lorsque plusieurs, voire tous les actifs de son panier, ne sont plus accessibles. A titre d’exemple, fallait-il laisser le NYSE continuer à traiter l’ETF qui réplique l’évolution de l’indice de la Bourse d’Athènes alors que celle-ci était fermée ?[3] Certes, l’ETF pourra toujours être échangé, mais à quel prix ? Et sur quelles bases repose alors la liquidité qui est offerte ? Il s’agit là de questions importantes auxquelles il faudra apporter des réponses adaptées si l’on ne veut pas que l’une des innovations majeures de ces vingt dernières années devienne une source potentielle de déstabilisation des marchés.

[1] Calamia A., Deville L. et F. Riva (2016), «The provision of liquidity in ETFs : Evidence from European Markets» et Bhattacharya A. et M. O’Hara (2016), «Can ETFs increase market fragility ? Effect of information linkages in ETF markets».

[2] En application de la règle 48, qui permet aux teneurs de marché du NYSE de reporter l’ouverture des négociations d’un titre en cas de volatilité jugée excessive.

[3] Lyxor de son côté a suspendu la négociation de son ETF FTSE Athex 20 du 29 juin au 2 août 2015.

Fabrice Riva Professeur ,  Université Paris-Dauphine – PSL

Fabrice Riva est professeur à l’Université Paris-Dauphine – PSL

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