Les ETF : un instrument passif ?

Publié le 8 décembre 2017 à 17h24    Mis à jour le 18 décembre 2017 à 10h04

Fabrice Riva

Les ETF (Exchange Traded Fund) ou trackers sont des instruments visant à répliquer les évolutions d’un indice sous-jacent. Même si la gamme des ETF intègre désormais des ETF adossés à des indices de stratégie dont la composition du panier d’actifs sous-jacents est révisée périodiquement (par exemple les indices de type momentum ou share buybacks), les ETF restent fondamentalement des instruments passifs dans le sens où ils ne sont pas censés avoir d’impact sur le processus de formation de prix des actifs présents dans le panier qu’ils répliquent. Des recherches récentes tendent cependant à montrer que la situation est plus complexe qu’il n’y paraît.

Un ETF repose sur la coexistence de deux marchés : un marché primaire et un marché secondaire. Le marché secondaire est le marché de la cotation et de la négociation d’un ETF. Les investisseurs terminaux y passent des ordres d’achat et de vente (comme pour une action ordinaire) et le prix qui s’établit sur ce marché est le résultat de la confrontation de l’offre et de la demande des différents investisseurs en ETF. En cas de déséquilibre entre offre et demande, le prix de l’ETF va s’écarter de sa NAV (Net Asset Value), à savoir la valeur du panier d’actifs sous-jacents. Cet écart entre la valeur cotée de l’ETF et sa valeur théorique telle que fournie par la NAV porte le nom de tracking difference. Une tracking difference constitue une opportunité d’arbitrage. C’est dans ce contexte qu’interviennent les participants autorisés, intermédiaires agréés par le sponsor de l’ETF, pour restaurer le lien entre la valeur cotée de l’ETF et celle de son indice de référence. En cas de tracking difference positive (surévaluation de l’ETF), le participant autorisé vend à découvert l’ETF et achète les titres du panier sous-jacent. La pression vendeuse exercée sur le cours de l’ETF et la pression acheteuse exercée sur le cours des actifs sous-jacents conduit à la résorption de la tracking difference (le participant autorisé empochant au passage le profit d’arbitrage initial). Par la suite, le participant autorisé déboucle sa position sur le marché primaire de l’ETF en se retournant vers le sponsor. Il remet à ce dernier les unités d’actifs sous-jacent acquises et reçoit en échange des unités d’ETF qu’il peut alors livrer à l’investisseur auquel il a vendu l’ETF à découvert.

C’est précisément le fait que tous les titres constitutifs du panier répliqué doivent faire l’objet de transactions de même sens (achat ou vente selon que la tracking difference est positive ou négative) qui va se trouver à l’origine des perturbations que peuvent causer les ETF sur le processus de prix des actifs sous-jacents : là où ces actifs devraient normalement connaître des évolutions de prix spécifiques en raison d’informations propres à chacun, le caractère exogène (le fait qu’un ETF se mette à dévier de sa NAV) et unidirectionnel des transactions réalisées va être à l’origine de co-mouvements artificiels dans l’évolution des titres concernés avec deux effets identifiés à ce jour.

Premier effet, les ETF ont pour conséquence d’augmenter significativement le niveau de corrélation entre les rentabilités des titres de leurs paniers. Da et Shive (2016)1 établissent ainsi qu’une augmentation d’un écart type du taux de rotation d’un ETF s’accompagne en moyenne d’une augmentation de 1 % du coefficient de corrélation entre les rentabilités des actifs constitutifs de l’indice répliqué. Ces auteurs montrent également que l’augmentation de corrélation est d’autant plus forte que les actifs figurant dans le panier sont peu liquides ou portent sur des sociétés faiblement capitalisées. Second effet, les ETF entraînent une augmentation de la corrélation de la liquidité entre les titres de leur panier. Ce résultat est établi par Agarwal et al. (2016)2 qui montrent en outre que les co-mouvements de liquidité se trouvent renforcés lorsque le pourcentage de détention des actifs par un ETF augmente. Comme dans le cas des taux de rentabilité, cette augmentation de corrélation est problématique puisqu’elle implique une réduction des possibilités de diversification des investisseurs et une augmentation des primes de risque exigées en retour sur les actifs des paniers.

Si les ETF sont une des innovations financières majeures des vingt dernières années, il faut cependant garder à l’esprit que derrière leur apparente neutralité ceux-ci peuvent avoir des impacts relativement complexes pour le fonctionnement des marchés. Ces impacts devraient en outre aller croissant du fait de la part grandissante que prennent les ETF dans l’univers de l’investissement.

1.  « Exchange Traded Funds and Asset Return Correlations », document de travail, University of Notre Dame.

2. « Do ETFs increase the commonality in liquidity of underlying stocks? », document de travail, Georgia State University.

Fabrice Riva Professeur ,  Université Paris-Dauphine – PSL

Fabrice Riva est professeur à l’Université Paris-Dauphine – PSL

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