Malgré l’Ukraine, la BCE pourrait relever ses taux en 2022 

Publié le 25 février 2022 à 17h51

Michel Martinez    Temps de lecture 4 minutes

Lors de sa réunion de février et jusqu’à la semaine dernière, la Banque centrale européenne (BCE) avait ouvert la porte à une hausse de son taux de rémunération des dépôts en fin d’année, aujourd’hui à - 0,5 %. Le conflit russo-ukrainien change la donne et il y a évidemment beaucoup d’incertitudes sur son issue et ses conséquences. Toutefois, à moins d’une réduction brutale et longue des importations de gaz et de pétrole en provenance de Russie, qui aurait alors un impact récessif majeur sur l’économie européenne, le processus de normalisation de la politique monétaire ne devrait être repoussé que de quelques semaines. Une hausse de son principal taux directeur en fin d’année reste d’actualité.

A court terme, la priorité sera, comme à chaque crise, de veiller à la stabilité des marchés financiers européens. Sur ce point, la BCE pourra constater qu’à la suite de l’invasion de l’Ukraine, les taux d’intérêt ont globalement baissé. Les conditions financières restent très favorables et de nature à compenser en partie la hausse de l’incertitude. La BCE devra aussi prendre un peu de temps pour évaluer l’impact sur la croissance et l’inflation de la hausse des prix de l’énergie ou des sanctions qui seront décidées. Cela devrait la conduire à une attitude prudente lorsqu’elle se réunira le 10 mars prochain. Alors qu’on anticipait la semaine dernière une accélération du calendrier, elle pourrait maintenir la feuille de route prévue, à savoir une réduction graduelle de ses achats d’actifs aux deuxième et troisième trimestres. Les changements, de nature à ouvrir la voie à une hausse des taux directeurs fin 2022 ou début 2023, attendront probablement avril ou juin.

Les exportations de la zone euro à destination de la Russie et de l’Ukraine ne représentent guère plus de 0,5 % de son PIB. Des sanctions majeures sur le commerce ne pourraient donc amputer la croissance que de 0,2 % du PIB. Les ordres de grandeur du canal financier sont comparables. Ce qui veut dire que l’impact économique du conflit russo-ukrainien passe essentiellement par les marchés du gaz et du pétrole. Il pourrait y avoir quelques ruptures temporaires d’approvisionnement, soit à cause du conflit lui-même, soit à l’initiative de la Russie afin d’exercer une pression politique sur l’Europe, dont 8,5 % de sa consommation finale d’énergie dépend du gaz russe. Mais la Russie n’a aucun intérêt à restreindre durablement sa principale source de revenus.

Ainsi, si les sanctions qui seront décidées contre la Russie ne concernent pas le gaz et le pétrole, le canal de transmission passera essentiellement par les prix mondiaux du gaz et du pétrole. En ce qui concerne le pétrole, il existe des capacités de production excédentaires qui devraient permettre de limiter la hausse du prix du baril de Brent. A 100 dollars le baril au lieu de 85 dollars fin janvier, cette hausse reste contenue et, selon les experts, valorise un risque de rupture d’approvisionnement temporaire. Si ce risque ne se réalise guère, le prix du baril de pétrole devrait baisser légèrement dans quelques trimestres. Le prix du gaz a quasiment doublé en quelques semaines. A 135 euros le mégawattheure, il reste loin de son pic de 2021 à 180 dollars le mégawattheure, et comme pour le pétrole, sans rupture d’approvisionnement, son prix devrait lui aussi baisser. Dans les deux cas, les gouvernements seront probablement amenés à renforcer ou prolonger les mesures pour protéger les consommateurs des hausses des prix de l’énergie, notamment les plus vulnérables, comme cela a été fait en 2021. Les modèles macroéconomiques suggèrent alors que le coût sur l’activité, temporaire, ne devrait pas excéder 0,5 % du PIB, par rapport à la situation qui prévalait en fin d’année dernière. En un mot, la BCE, comme la plupart des économistes, devrait maintenir des prévisions de croissance élevées, de plus de 3 % cette année et de l’ordre de 2 % l’an prochain. Dans un tel scénario, le marché du travail devrait continuer de se tendre et le chômage baisser, alors qu’à 7,1 %, il est déjà à son plus bas niveau depuis la création de la zone euro.

Evidemment, les prévisions d’inflation seront rehaussées. Elle devrait dépasser 5 % cette année et se rapprocher des 2 % pour les années 2023-2024 (en décembre, la BCE prévoyait 1,8 % en 2024). Bref, du côté de l’inflation, les conditions qu’avait édictées la BCE pour mettre fin à sa politique monétaire ultra-accommodante, à savoir une inflation anticipée durablement proche de 2 %, devraient être encore réunies, malgré le conflit. 

Michel Martinez Chef économiste Europe ,  Société Générale Corporate & Investment Banking

Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking

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