Lutte climatique : l’effet rebond condamne-t-il le progrès technique ?

Publié le 12 juillet 2022 à 18h46

François Meunier    Temps de lecture 4 minutes

Une polémique est restée célèbre. Vers le milieu du 19e siècle, au Royaume-Uni, certains soutenaient avec optimisme que la venue de machines à vapeur plus performantes, notamment dans leur consommation de charbon, allait réduire la demande de charbon. Le jeune Stanley Jevons, qui allait devenir l’un des plus importants économistes de l’histoire de cette discipline, s’est insurgé. Il écrivit dans un rapport officiel (Sur la Question du charbon, 1865) : « C’est une complète confusion d’idées de supposer qu’un usage économe des énergies fossiles est équivalent à une réduction de leur consommation. C’est le contraire qui est vrai. D’une manière générale, des usages plus économes conduisent à un accroissement de la consommation, selon un principe observé dans de nombreux cas similaires. »

Ce phénomène est appelé depuis paradoxe de Jevons ou effet rebond. L’invention du LED est un bon exemple. Il a permis à la fois un gain énergétique fantastique et une réduction très forte du coût par unité de lumière. Du coup, on éclaire davantage, de sorte que la consommation d’énergie dévolue à l’éclairage a de bonnes chances de s’accroître (un point empirique à vérifier). Si le LED permet une réduction de 50 % de l’énergie par lumen, mais qu’au total la consommation d’énergie ne baisse que de 40 %, l’effet rebond est de 20 % (10/50). Si la consommation d’énergie augmente de 10 %, l’effet rebond est de 120 % (60/50).

Pour être précis, il y a deux types d’effet rebond. L’effet direct est celui de l’exemple des LED ou d’un chauffage domestique plus efficace. Le ménage en profite pour plus se chauffer l’hiver. L’effet indirect apparaît lorsqu’un progrès technique permet de dégager un certain pouvoir d’achat, par exemple par une moindre consommation d’énergie, mais que ce pouvoir d’achat est utilisé à acheter des biens plus lourds en carbone, tel un écran plat venu de l’autre bout de la planète. En tout cas, certains milieux écologistes s’emparent de l’argument de l’effet rebond pour dénier au progrès technique toute capacité à nous aider dans la crise climatique. L’effet rebond serait non seulement positif, mais le plus souvent supérieur à 100 %. On voudrait nous faire sortir du piège de la surconsommation énergétique par la technique, alors qu’elle nous y plonge un peu plus.

Voici une position extrême. Elle a le tort de ne pas être posée dynamiquement. En fait, toute véritable innovation est par définition à effet rebond positif. Si l’on invente le lave-linge, on va laver plus souvent nos vêtements et c’est un peu pour ça qu’on l’invente. Si l’on invente l’avion, on va utiliser plus souvent l’avion.

Si l’on fait le calcul global, au niveau de l’ensemble de la consommation, on s’aperçoit que celle-ci ne croît guère plus de 1 à 2 % par tête de façon tendancielle, ce qui correspond in fine au gain de productivité de l’économie. Si donc il y a des effets rebond partout, il doit bien y avoir en même temps et partout des effets en sens inverse, appelons-les « effets étouffement ». On supprime les ampoules thermiques mais la consommation de tungstène avec. On diminue ou on subventionne le prix de la bicyclette électrique (effet rebond sur la consommation électrique) mais au détriment d’autres modes de mobilité plus chargés en carbone.

Que disent les études empiriques ? Un article un peu ancien (2012), mais simple à lire, de l’ACEEE (American Council for an Energy-Efficient Economy) fait une méta-analyse sur la base de plus d’une centaine de recherches sur le sujet. En gros, sur les différents sujets (économie de carburant pour les voitures, d’énergie pour le chauffage ou pour la climatisation, d’énergie pour les appareils domestiques et la lumière, etc.), on observe un effet rebond bien inférieur à 100 %, de l’ordre de 10 % pour l’effet direct et de 11 % pour l’effet indirect, ce dernier effet, il est vrai, beaucoup plus incertain à calculer. Une étude de Goldstein, Martinez et Roy (2011) indique même que cet effet tend à diminuer avec le temps. Au niveau global de l’économie, il serait trivialement minime, ce que suggérait déjà la remarque faite plus haut comparant la consommation et la productivité.

On s’accordera que tout progrès technique n’est pas bon. A vrai dire, beaucoup d’innovations sont en fait des regrès techniques du point de vue énergétique ou environnemental. Mais l’effet rebond ne peut sans cesse être invoqué comme argument pour évincer l’innovation dans le débat sur la limitation nécessaire de la consommation planétaire d’énergie fossile. Elle fait sans nul doute partie de la solution.

François Meunier Co-président du comité éditorial ,  Vox-Fi (DFCG)

François Meunier est co-président du comité éditorial de Vox-Fi (DFCG)

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