Pourquoi la croissance ralentit aux Etats-Unis

Publié le 13 janvier 2023 à 16h45

Patrick Artus    Temps de lecture 5 minutes

On comprend pourquoi la croissance ralentit, et va très probablement devenir négative dans la zone euro ; le déficit de la balance commerciale pour l’énergie y a beaucoup augmenté, de plus de 3 points de PIB et se monte maintenant à 5,4 % du PIB. Cela réalise un prélèvement sur les revenus des ménages et des entreprises de la zone euro, qui n’est que partiellement compensé par une hausse du déficit public. En conséquence, on peut s’attendre dans la zone euro à une récession avec recul de la consommation des ménages et de l’investissement des entreprises en raison de cette hausse du prélèvement sur les revenus au profit des pays producteurs d’énergie (de pétrole, de gaz naturel).

Mais la situation est complètement différente aux Etats-Unis. Depuis que la production de pétrole et de gaz de schiste a beaucoup augmenté, à partir de 2012-2013, les Etats-Unis sont devenus exportateurs nets d’énergie (leur excédent extérieur pour l’énergie atteint 0,4 % du PIB au troisième trimestre 2022). La hausse du prix de l’énergie est favorable aux Etats-Unis, accroît leur revenu, et ne devrait donc pas causer une récession ou même un ralentissement de la croissance. C’est une affaire strictement interne aux Etats-Unis qui ne subissent, à la différence de la zone euro, aucun prélèvement sur leur revenu.

Pourtant, la croissance est devenue très faible en 2022 : en données annualisées, elle atteint -1,6 % au premier trimestre, -0,6 % au deuxième trimestre et +2,9 % au troisième trimestre, soit un rythme tendanciel de croissance presque nul. Cette très faible croissance contraste fortement avec l’année 2021, où la croissance était de 5,7 %, et est très inférieure à la croissance potentielle (de long terme) des Etats-Unis, autour de 2,5 %.

Comment expliquer que l’économie américaine est autant ralentie alors que la hausse des prix de l’énergie ne réalise aucun prélèvement sur les revenus des Américains ? Il y a deux explications à ce paradoxe. La première résulte de la composition du revenu national des Etats-Unis. Les salaires réels diminuent, les hausses de salaires ne compensant pas l’inflation (les salaires nominaux augmentent de 5,3 % sur un an, l’inflation de 7,7 %). En revanche, les profits augmentent de 9,3 % entre la moyenne des trois premiers trimestres de 2022 et l’année 2021. Il y a donc un transfert du revenu national, qui ne baisse pas, des salariés vers les entreprises ou les actionnaires des entreprises. Or, la propension à consommer les profits est beaucoup plus basse que la propension à consommer les salaires : ce transfert génère une perte de consommation et une perte de PIB.

La seconde explication est que la Réserve fédérale monte ses taux d’intérêt pour réagir à l’inflation. On peut anticiper que le pic des taux d’intérêt de la Réserve fédérale sera au moins de 5 %. Cela a deux conséquences défavorables à la croissance.

D’une part, elle fait reculer les prix des actifs : les cours boursiers ont baissé de près de 20 % en réaction à la hausse des taux d’intérêt à long terme de 0,4 % à 3,6 % ; les prix de l’immobilier, qui montaient de 20 % par an au début de l’année 2022, ne montent plus que de 5 % par an et sont en croissance négative depuis septembre 2020. Cela génère une moins-value en patrimoine, une perte patrimoniale qui peut déprimer la croissance.

D’autre part, cela conduit à un fort recul de l’investissement résidentiel (de l’investissement en logement des ménages) : cet investissement a diminué de 3 % au premier trimestre 2022, de 17 % au deuxième trimestre, de 27 % au troisième trimestre (en rythme annualisé). Si l’investissement résidentiel est en baisse de 15 à 20 % en 2023, puisqu’il pèse 5 % du PIB, cela implique une baisse de 0,7 à 1 point de croissance des Etats-Unis.

Si on cumule toutes les explications de l’affaiblissement de la croissance, on parvient à une perte de croissance d’au moins 2 points de PIB. La croissance potentielle des Etats-Unis était de 2,5 %, cela implique une réduction de la croissance à 0,5 %, ce qui s’observe à peu près aujourd’hui. Même si les Etats-Unis ne perdent pas de revenus au profit des pays producteurs de pétrole, leur croissance est fortement ralentie.

On peut alors se demander comment on aurait pu éviter cette perte de croissance puisque initialement il n’y a pas de perte de revenu, les Etats-Unis étant exportateurs nets d’énergie. Le scénario le plus extrême aurait été qu’il y ait un contrôle des prix de l’énergie aux Etats-Unis, qu’ils soient administrés, ce qui est possible puisque l’énergie n’est pas importée. Cette régulation des prix de l’énergie, qui n’est absolument pas dans la tradition américaine, aurait permis d’éviter l’inflation et le recul du pouvoir d’achat des ménages, donc de conserver les taux d’intérêt bas et de ne pas perdre de croissance.

Un scénario moins extrême aurait consisté à accepter les prix élevés de l’énergie, tout en mettant en place des politiques redistributives des profits vers les salaires, qui évitent la perte de pouvoir d’achat des ménages. Il en aurait résulté la nécessité pour la Réserve fédérale de monter ses taux d’intérêt, puisque l’inflation aurait augmenté, mais une moindre perte de croissance avec la stabilisation du revenu réel des ménages. Un autre choix a été fait, de déformer le partage des revenus en faveur des profits. En l’absence de prélèvement sur les revenus dû à la hausse des prix des importations, le recul de la croissance était pourtant évitable aux Etats-Unis, contrairement à l’Europe.

Patrick Artus conseiller économique ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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