Table ronde

Développement à l’international : une mosaïque de risques à anticiper

Publié le 23 juin 2014 à 9h00    Mis à jour le 8 juillet 2021 à 19h38

Anne del Pozo

L’international est actuellement l’un des principaux leviers de développement des entreprises françaises. Pour autant, toute entreprise qui entend travailler avec des clients à l’étranger doit appréhender, anticiper et gérer un certain nombre de risques financiers, commerciaux et humains.

« L’export est un véritable relai de croissance pour les entreprises françaises »

Philippe Johann, directeur commercial & marketing commerce international pour la France au sein de la Société Générale : L’export est un véritable relais de croissance pour les entreprises françaises et représente l’un de leurs principaux sujets de préoccupation actuels. Aujourd’hui, ces relais de croissance se trouvent davantage dans les pays émergents, à fort potentiel de développement, qu’auprès de nos voisins européens. C’est une tendance que nous retrouvons largement dans l’évolution des exportations françaises sur les cinq dernières années, avec des pays émergents qui ont augmenté 2,5 fois plus vite que les pays de la zone euro. Et si nous faisons un focus sur l’Asie, le rapport est même de 1 à 4.Tous les deux ans, Société Générale confie au CSA une étude sur les évolutions de comportements et de besoins des entreprises qui se développent à l’international. Le baromètre 2014 vient d’être réalisé et il met en exergue un certain nombre d’enseignements : bien sûr, l’export est une préoccupation majeure, 82 % des entreprises se déclarant motivées par un développement nouveau de leur chiffre d’affaires dans les deux ans à venir avec des projets à l’international.

Pour autant, l’import n’est pas à négliger, 60 % des entreprises interrogées étant également concernées par un approvisionnement à l’international, avec une grande importance pour les intrants de futures exportations. Par ailleurs, l’étude CSA fait ressortir l’émergence des transactions hors zone euro, signe du virage croissant vers le «grand international». En termes de moyens de paiement, l’«open account» reste très largement majoritaire (les entreprises travaillent en toute confiance et se règlent à échéance par virement simple), mais surtout en zone euro (SEPA). En revanche, hors zone euro, les virements simples reculent et, ce qui ressort très clairement, c’est le besoin de sécurisation, les exportateurs déclarant plus massivement qu’il y a deux ans recourir à une assurance-crédit ou à une garantie bancaire, stand-by ou autre. C’est le corollaire du développement de l’export hors zone euro : plus les entreprises exportent loin, plus elles ont besoin de sécuriser leur démarche et, à cet effet, de s’appuyer sur des partenaires compétents pour les conseiller.

La banque reste leur partenaire privilégié, mais la nouveauté de l’étude est la forte progression des organismes publics (plus de 10 points par rapport à notre précédente étude), conséquence de la création de Bpifrance Export et signe de la reconnaissance de la présence des organismes publics du label (Bpifrance, Ubifrance et Coface). La tendance du grand export est également à la prise de conscience du risque de change. Plus de 40 % des entreprises qui travaillent à l’international se disent concernées par le risque de change (couverture ou comptant), soit 6 points de plus qu’il y a deux ans. L’entreprise a aujourd’hui conscience qu’elle gagnera des points de compétitivité en travaillant dans la devise de son partenaire. Cette étude est rassurante à l’égard de ce que les uns et les autres avons mis en place pour accompagner les entreprises dans leur développement à l’international, mais elle est également porteuse de nombreux défis concernant tout ce qu’il reste à faire.

Hervé Richard, associé KPMG, directeur de région audit et advisory Rhône-Alpes : Avant d’envisager un développement à l’international, l’entreprise, qu’il s’agisse d’un grand groupe ou d’une PME, doit avoir identifié les objectifs de son internationalisation. Le but peut notamment être de saisir une opportunité de marché ou de suivre un client qui s’installe à l’étranger. Le choix du pays est rarement évident et l’entreprise doit savoir de quelle manière elle conduira son projet d’export : doit-elle s’implanter, faire une acquisition ou bien s’appuyer sur un distributeur local ? Chacune de ces solutions induit des risques qui lui sont propres, tant au niveau humain que financier, et dont les entreprises doivent avoir pleine conscience. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que tout développement à l’international génère des charges supplémentaires. Il faut trouver la juste adéquation entre les produits, les hommes et les moyens financiers dont dispose l’entreprise. L’ensemble de ces analyses doit être formalisé au sein d’un business plan détaillé. Enfin, il est bon de garder à l’esprit que l’internationalisation doit être synonyme de simplicité et d’humilité, et qu’une adaptation à la culture du pays où l’entreprise entend se développer est indispensable.

Maîtriser ses risques financiers à l’international

Alain Renck, directeur de Bpifrance Export : Le développement à l’international est assimilable à un marathon. Comme pour tout marathon, il nécessite des sucres lents, donc des financements qui restent constants dans l’entreprise. La base consiste à avoir une trésorerie saine, et nous pouvons aider. Aujourd’hui plus que jamais, nous nous apercevons d’ailleurs à quel point le niveau des trésoreries d’entreprise est important, notamment pour faire l’acquisition d’une structure à l’étranger ou créer une joint-venture. Mais au-delà de la trésorerie, il faut muscler le haut de bilan. A cet effet, il existe un certain nombre de financements, dont ceux proposés par Bpifrance en partenariat avec les banques de la Place. Nous proposons notamment des prêts de longue durée, de sept à dix ans, avec des différés d’amortissements longs. Pendant les deux ou trois premières années, l’entreprise ne rembourse ainsi pratiquement rien, ce qui lui donne le temps de faire son métier d’entrepreneur sans se préoccuper des traites qu’elle doit rentrer.

Quand nous mettons en place ce type de financement, c’est toujours en association avec un financement bancaire de même montant, sachant que le risque essentiel est pris par Bpifrance. Ces prêts sont faits sur des durées importantes (sept à dix ans) et sur des montants allant de 30 000 euros à 10 millions d’euros et, surtout, ils financent des dépenses immatérielles (besoins en fonds de roulement lié à l’internationalisation, entreprise qu’il faut racheter…). Il s’agit de financements franco-français attribués à une maison mère qui ensuite les réinjectera le cas échéant dans sa filiale locale. Par ailleurs, chez Bpifrance Export, nous proposons, avec Ubifrance et Coface, la garantie de projet à l’international qui consiste à garantir les fonds propres d’une filiale contre le risque économique, à savoir le risque de défaillance de cette filiale. Il s’agit là d’assurer 50 % de ses fonds propres, hors Europe, contre un risque d’échec de la filiale, de manière à ce que, si ce risque s’avérait, la maison mère ne soit pas entraînée dans sa défaillance.

Un produit dont le coût est par ailleurs particulièrement attractif : 0,50 % du montant des fonds propres assurés. Nous cherchons aussi à développer chez Bpifrance, avec nos partenaires français mais également avec les banques et leurs filiales à l’étranger, des solutions qui permettraient à ces banques locales de financer les filiales de nos entrepreneurs français dès lors qu’ils sont installés sur place. Une aide qui, pour une PME, peut se révéler précieuse. Bpifrance garantirait ces banques à l’étranger pour qu’elles puissent apporter à nos entrepreneurs, localement, une aide financière.

Caroline Wood, directeur régional de développement des garanties publiques pour Paris (sur l’ensemble des garanties gérées par Coface pour le compte de l’Etat) : Si une entreprise crée une filiale à l’étranger, Bpifrance va garantir l’argent versé au préalable pour créer la société et Coface va garantir en assurance prospection ses frais de fonctionnement. Si la filiale ne marche pas, la société se verra rembourser 50 % de l’argent transféré en capital par Bpifrance et aura reçu, au fur et à mesure des années, 65 % des frais de fonctionnement, y compris de salaires des personnes qui font fonctionner la filiale. Le filet de sécurité est donc très intéressant. Parallèlement, au démarrage, l’entreprise doit engager de nombreux frais d’adaptation liés à la culture et à la langue du pays, à ses outils informatiques, etc. Or, ces frais sont inclus aussi dans tous nos mécanismes.

Philippe Johann : Financement des investissements depuis la France ou en local, crédits d’exploitation pour couvrir les dépenses de fonctionnement ou de création d’une entité à l’étranger… Quel que soit le besoin de l’entreprise, il existe une solution adaptée, depuis la France ou en local, sous la contre-garantie de la banque de l’entreprise. Les financements peuvent être mis en place par la banque seule ou en partenariat avec Bpifrance avec les prêts Export, en cofinancement par exemple ou avec Coface : au travers du crédit prospection, la banque va pouvoir financer 100 % des dépenses de prospection garanties par l’assurance prospection Coface. Nous avons aussi la capacité de garantir les concours nécessaires au fonctionnement de la filiale créée dans le pays concerné. C’est une prestation que nous proposons dans notre réseau international, qu’il s’agisse de nos implantations ou de nos partenaires bancaires.

S’agissant des besoins liés au cycle d’exploitation d’une entreprise travaillant à l’international, il faut l’aider à consentir et financer des délais de paiement plus longs à ses clients et l’aider à obtenir et à financer des délais de paiement plus longs auprès de ses fournisseurs. Pour répondre à ces besoins, la banque peut proposer à l’exportateur en France ou, dans le cas d’un importateur, à son fournisseur à l’étranger, de financer leurs créances respectives à un taux préférentiel. Par exemple, offrir à un importateur en France la possibilité de financer le délai de son fournisseur en Asie peut être déterminant dans l’optimisation de sa trésorerie. Concernant le risque de change, comme évoqué précédemment, des solutions simples – aux plus sophistiquées – existent pour aider les entreprises à se protéger, dont des produits de change à terme flexible, enveloppes annuelles à cours d’exercice unique.

Toute entreprise qui travaille avec un pays hors zone euro porte du risque de change dans son bilan. Elle s’engage en effet sur un prix d’achat ou de vente qui va déterminer sa marge et sa compétitivité. Les entreprises prennent progressivement conscience de ce risque de change et de l’intérêt qu’il peut y avoir à travailler dans la devise de leur partenaire pour protéger leur marge et assurer leur compétitivité. Par exemple, dans la zone Asie, nous parlons beaucoup de la devise chinoise qui se développe beaucoup plus rapidement chez nos voisins étrangers.

Or les exportateurs français se trouvent confrontés à des concurrents internationaux – allemands, tchèques, sud-coréens ou japonais – qui n’hésitent pas à répondre à des appels d’offres intra-Asie dans la monnaie locale. Lorsqu’une entreprise fait un prix en euros ou en dollars américains avec une marge de couverture alors qu’un concurrent joue au plus près des fluctuations de la devise, elle peut passer à côté de ce marché. Travailler dans la devise du client, prendre à sa charge le prix de la couverture et l’intégrer dans sa négociation, cela peut être déterminant. Plus les entreprises vont hors zone euro plus elles ont conscience de la nécessité d’améliorer leur compétitivité.

Les risques de production

Anne-Marie Fournier, vice-présidente de l’AMRAE et risk manager de Kering : Nous voyons une multiplicité de risques concrets qui peuvent s’avérer lors d’établissements de relations commerciales à l’étranger ou après quelque temps. Nous voyons par exemple des risques, notamment dans les pays asiatiques, au niveau de la qualité de construction des bâtiments. Les critères concernant les matériaux et certificats de qualité ne sont pas les mêmes que ceux de certains pays avec lesquels les entreprises avaient, jusqu’à présent, l’habitude de travailler, comme aux Etats-Unis ou en Europe. Nous nous apercevons que certains établissements peuvent à terme révéler de graves défections, à grande ou petite échelle. Or ces problèmes ne sont pas sans conséquences sur les coûts, notamment lorsque l’exploitation est interrompue et qu’il faut trouver de nouveaux bâtiments ou encore s’engager dans des batailles juridiques.

Par ailleurs, il faut également être vigilant sur les événements naturels qui tendent à se multiplier dans de nombreuses parties du globe. Un grand nombre de ces régions sont aujourd’hui modélisées et cartographiées par des experts en la matière. Ils y ont estimé la probabilité que ces zones géographiques soient soumises à des événements naturels ainsi que les montants de pertes qui pourraient y être associés. Mais certaines zones, dont une grande partie de l’Asie, ne sont pas modélisées. Elles sont cartographiées mais l’évaluation des probabilités, des périodes de retour et des conséquences financières d’un événement naturel n’y a pas été définie. Par ailleurs, les critères de prévention incendies, tremblements de terre, inondations ne sont pas forcément homogènes dans le monde. Beaucoup considèrent que, lorsqu’ils satisfont les normes locales, ils ont satisfait à toutes les probabilités de faire face à un problème, ce qui est faux. Une autorité locale ne reconnaîtra pas forcément qu’une berge de rivière n’est pas solide.

Elle va fixer des normes en partant du principe que les dispositifs en place vont tenir. Si une autorité locale commence à modéliser ce genre de risque, cela revient à dire qu’elle reconnaît l’existence d’une insuffisance des moyens de protection mis en place. En qualité d’entreprise, nous arrivons avec notre vision d’appréciation du risque souvent différente de celle établie par les normes locales. Ce discours est assez difficile à tenir et nécessite beaucoup d’explications, de pédagogie et de moyens financiers. Ce d’autant plus pour des sites stratégiques qui doivent impérativement résister à l’eau, aux incendies ou aux tremblements de terre. Les assureurs mobilisent désormais des moyens importants pour évaluer les expositions aux risques naturels des sites qu’ils doivent assurer. Parallèlement, les entreprises doivent également se pencher sur les risques liés aux transports, notamment par voie maritime. Lorsqu’une entreprise confie sa marchandise à des «chargeurs», elle ne sait jamais sur quel navire les conteneurs seront chargés ni où ils se trouveront à bord du navire. Un risque qui actuellement tend à s’intensifier au regard de la taille de plus en plus importante de ces navires qui, de ce fait, sont davantage exposés aux risques de fortune de mer.

D’autre part, la taille de ces navires les empêche parfois d’entrer dans certains ports, nécessitant des transbordements de marchandises, ce qui entraîne une fois encore des risques accrus de vols ou de pertes de marchandises, etc. Plus la chaîne de transport est complexe, plus les risques peuvent se multiplier. Evaluer le risque maximum en matière de transport est aujourd’hui quasi impossible. Il existe des systèmes informatiques de tracking qui commencent à se mettre en place de manière à ce que l’entreprise sache sur quel navire voyagent ses conteneurs. De plus, aujourd’hui, la répartition sur les navires se fait par ordinateur en fonction du poids des conteneurs et donc les entreprises n’ont plus la possibilité de choisir de faire voyager leurs conteneurs en cale ou sur le pont… En revanche, l’entreprise subit une responsabilité supplémentaire, car elle doit désormais déclarer le poids de ses conteneurs. Or, si elle fait une erreur et que le navire rencontre un problème durant le transport, l’entreprise peut être tenue responsable en cas d’accident.

Ces sujets de gigantisme de ces navires complexifient et amplifient les risques liés aux transports de marchandises par voie maritime. Dans le domaine des fournisseurs que l’entreprise pourrait utiliser à l’étranger, le sujet est toujours de savoir avec qui elle travaille. Elle peut en effet connaître le nom de son fournisseur mais pas forcément celui de ses sous-traitants ou la fiabilité de ses unités de production. Ces dernières peuvent être à risque en matière par exemple d’incendie ou d’éthique (cf. le cas relayé par les médias au Bangladesh). Ce problème de sous-traitance est donc un vrai sujet. Une entreprise peut en effet se trouver à cours de livraison et enregistrer ainsi une perte de marge importante du fait d’un événement qu’elle ne pouvait pas anticiper en raison de sa méconnaissance des risques sur les unités de production ou les fournisseurs ultimes.

Pierre-Yann Blanchandin, directeur des opérations Europe de l’Ouest Coface : Les assureurs-crédits sont là pour donner accès aux exportateurs à des informations sur leurs acheteurs en premier lieu, mais aussi sur leurs fournisseurs. Le partage d’informations est important à ce niveau-là. Notre rôle consiste à disposer d’informations sur les sociétés, les secteurs d’activité, les pays cibles, et nous pouvons échanger avec nos clients sur ces différents aspects pour délivrer nos garanties.

Anne-Marie Fournier : Concernant les fournisseurs, il existe aussi des sujets liés à la culture, la solidité financière, le défaut de qualité de certains produits. Lorsqu’une entreprise importe des produits dans la Communauté européenne, elle est responsable des conséquences pour les clients d’éventuels problèmes de qualité. Certes, les assureurs peuvent faire face à ces problèmes de qualité et accompagner les victimes puis se retourner contre ces fournisseurs de produits défectueux. Or, même si nous arrivons à des sentences arbitrales ou des décisions de justice en faveur de l’importateur, il est rare que les sentences soient réellement exécutées. Pour éviter d’en arriver là, certaines entreprises ont mis en place des programmes d’assurances obligatoires avec les fournisseurs avec lesquels elles travaillent. Dans certains pays hors Europe tels que la Chine, l’entreprise peut obliger les fournisseurs à répondre à certains critères comme la réalisation d‘audits sociaux, la souscription à une assurance en matière de responsabilité civile ou de défauts de produits… Cette démarche tend à se développer et permet aux entreprises d’avoir face à elles un fournisseur assuré.

Pierre-Yann Blanchandin : Nous organisons avec nos grands assurés des réunions clients qui sont l’occasion d’échanger concrètement sur la vie de nos clients exportateurs. Nous avons un exemple avec un grand nom de la logistique implanté en Chine qui a de plus en plus de mal à trouver les espaces de stockage dont il a besoin. La demande en surfaces de stockage s’est accrue, les bâtiments disponibles ont été reconditionnés pour un usage commercial ou autre, et le parc s’est restreint. Du coup, les prix montent, augmentant les coûts de production. Certes, en Chine, des programmes de construction se mettent actuellement en place mais ces espaces seront chers. Ce client nous précisait également qu’en Chine les ressources humaines devenaient un enjeu à risque. Les salaires ne sont plus aussi bas qu’auparavant, et augmentent en moyenne de 8 % par an. Par ailleurs, les salariés, et notamment les hauts potentiels, n’ont aucun scrupule à quitter l’entreprise. Les pourcentages de turnover y sont à deux chiffres !

Autre exemple, le Brésil. Malgré le dynamisme économique du pays, les infrastructures routières et ferroviaires ne sont pas suffisantes et restent un frein au développement du pays.

Stéphanie Pellet, directrice commerciale régionale en charge des grands courtiers internationaux globaux et des opérations structurées chez Euler Hermes France : Nous voyons beaucoup se développer, notamment dans les grandes entreprises, les besoins de caution lorsqu’il y a des appels d’offres : couvertures, retenues de garanties, cautions de marché, cautions contractuelles avec le risque de pays. Nous travaillons notamment avec les banques pour répondre à ces besoins. En notre qualité d’assureur-crédit, nous proposons des solutions pour que l’entreprise se prémunisse contre les risques d’interruption de contrats, les risques de non-paiement… Ce sont autant de moyens qui permettent aux exportateurs de pouvoir s’assurer de la bonne fin de leurs missions et éviter les dépôts de bilan de leurs clients et fournisseurs.

Les risques de non-paiement

Stéphanie Pellet : Notre indice IDEX, qui synthétise l’évolution des défaillances d’entreprises des principaux partenaires export de la France, affichait en 2013 une nouvelle hausse – la sixième consécutive – établie à + 4 %. Si, aujourd’hui, nos prévisions de défaillances d’entreprises sont globalement plus favorables pour les partenaires européens malgré des exceptions notables (Belgique, Italie, Suisse), le risque de défaillances de contrepartie s’est en revanche accru à destination des grands pays émergents et en particulier de la Chine, du Brésil et de la Russie. Au total, notre indice se situe presque deux fois au-dessus de son niveau d’avant-crise. Autrement dit, le risque d’impayés à l’export des entreprises françaises est aujourd’hui toujours deux fois plus élevé qu’avant la crise. Dans ce contexte, notre rôle d’assureur-crédit consiste à recueillir l’information, à identifier et à bien connaître les entreprises à l’étranger pour pouvoir accompagner nos clients dans leur gestion du risque client.

Nous collectons ces informations partout dans le monde grâce à notre réseau mondial, et nous les mixons avec les données risque pays (risques politiques, économiques et sociaux) pour fournir un score permettant d’évaluer un risque. Ces informations nous permettent de dire à nos exportateurs à quel niveau ils peuvent travailler avec un prospect et/ou client. Elles offrent de la visibilité pour un meilleur pilotage du risque client, et octroient plus d’agilité commerciale tout en sécurisant les performances financières de l’entreprise. Piloter son crédit devient une arme commerciale, donc un atout concurrentiel.

Pierre-Yann Blanchandin : Le nerf de la guerre pour un assureur-crédit c’est, bien entendu, de qualifier le risque, l’entreprise, l’infrastructure administrative et juridique dans laquelle l’entreprise souhaite évoluer. A cette fin, il est indispensable que l’assureur-crédit soit implanté dans le pays cible avec des collaborateurs locaux qui en auront une connaissance juridique, administrative et culturelle et qui seront à même de récupérer des informations sur la santé financière, les dirigeants, les fournisseurs et sous-traitants des entreprises cibles. Car il existe des bons clients dans de mauvais pays et de mauvais clients dans de bons pays. Ensuite, le rôle de l’assureur-crédit consiste également à accompagner son client dans la durée. S’il s’avère que l’un de ses clients évolue défavorablement, à nous de l’informer pour l’inviter à se désengager progressivement ou à trouver d’autres solutions telles que le paiement comptant, la diminution des délais de paiement…

Travailler le recouvrement de créances

Eva Sebban, responsable agence de recouvrement export chez Euler Hermes France : Penser au recouvrement de créances le plus tôt possible est également un moyen efficace de se prémunir contre les risques d’impayés ou de défaillance. Un processus de recouvrement s’organise d’abord en interne dans une entreprise. Pour définir une telle stratégie, il faut faire travailler des gens très différents dans l’entreprise. En premier lieu, la direction financière, souvent relayée par l’assureur-crédit, va définir l’encours qui sera donné à un acheteur. La direction commerciale qui vend le produit est pour sa part trop souvent oubliée. Par exemple, des grands groupes peuvent nous envoyer des dossiers où le commercial va oublier de faire signer un bon de commande par écrit, d’identifier son interlocuteur. A l’international, nous parlions de la problématique d’identification de l’acheteur. Cette identification se fait à deux niveaux : celui de l’acheteur, d’une part, et de son interlocuteur, d’autre part.

Il faut en effet impérativement vérifier que la personne que l’on a au téléphone fait bien partie de la société. Nous avons malheureusement beaucoup de cas où des personnes usurpent l’identité de grandes compagnies : il s’agit d’escroquerie, une démarche très facile à mettre en place, surtout à l’international ! Ce point est donc très important et nécessite l’implication de la direction commerciale sur une activité qui sort de son cœur de métier traditionnel. La direction juridique doit pour sa part déterminer les conditions générales de vente qui, à l’international, vont varier en fonction des pays avec lesquels l’entreprise travaille. Cela demande de travailler très en amont de la relation commerciale : dès que l’entreprise aborde un nouveau marché ou un nouveau client, il faut qu’elle demande ce qu’elle va faire si elle a un impayé. Les solutions ne sont pas les mêmes en fonction de ce que l’entreprise vend, du pays où elle vend ou encore de son taux de marge.

A titre d’exemple, une clause de réserve de propriété qui permet de récupérer la marchandise lorsque le débiteur ne paie pas est fondamentale en Allemagne, mais il faut l’avoir bien rédigée, l’avoir fait accepter par son client et qu’elle lui soit opposable. Sur ces points, soit l’entreprise dispose de juristes capables de définir les règles les plus avantageuses, soit elle fait appel à des prestataires externes pour formaliser au maximum les règles de l’exportation et éviter de se faire imposer les conditions générales de vente de l’acheteur. Enfin, la comptabilité client est également impliquée. Il faut prévoir un cadencement des relances dès la date d’échéance de la facture et, si c’est possible, faire intervenir des collaborateurs qui parlent la langue du client. Il est important que tous ces départements de l’entreprise travaillent ensemble. Toute la difficulté consiste à définir le moment où un client en retard devient un débiteur. Il s’agit d’un moment difficile pour les entreprises, notamment lorsque la conjoncture n’est pas favorable et où il est plus important que jamais de préserver ses relations commerciales. Mais lorsqu’un client ne paie pas, il faut agir vite et avec méthode.

A l’international, il est impératif de faire appel à un prestataire externe et bien le choisir. Un des critères de performance des procédures de recouvrement repose sur la rapidité d’intervention. Il faut que l’entreprise se positionne rapidement et dans les premiers pour obtenir un paiement. La renommée du prestataire est en la matière importante. Chez Euler Hermes, dès lors que nous envoyons une relance auprès d’un débiteur, expliquant que nous sommes mandatés pour recouvrer la créance et que nous nous mettons à leur disposition pour discuter des modalités de paiement, nous avons des retours positifs et des règlements qui seraient difficiles à obtenir seul. A l’international, la difficulté principale est l’éloignement géographique. Pour être efficace, le recouvrement doit être mené par une personne proche du débiteur et qui connaît les spécificités culturelles, juridiques et commerciales de celui-ci. Lorsqu’une entreprise fait de l’export et qu’elle commence à avoir des impayés, il ne faut pas hésiter à faire appel à un partenaire dont c’est le métier. Ce choix doit être déterminé par sa capacité d’action au plus près du débiteur. D’ailleurs, la visite domiciliaire est un point clé du succès du recouvrement.

Gérer le risque de contrepartie

Eric Da Silva, directeur de l’activité crédit de Gras Savoye : Nous sommes courtiers, donc un intermédiaire entre un corporate et une société d’assurances. Les assureurs aujourd’hui sont très professionnels dans leur métier et leur approche. Nous avons un rôle de communication dans l’intermédiation. Nous avons en effet pour vocation de bien comprendre les besoins de l’entreprise pour les traduire dans le langage des assureurs-crédits. C’est une démarche très importante car, souvent, les assureurs ont leur propre jargon. Nous accompagnons les entreprises pour qu’elles puissent bien exprimer leurs besoins et ensuite faire en sorte que les assureurs ne délivrent pas un produit mais plutôt une solution qui correspondra à ces besoins. Il faut en effet rappeler qu’en ce qui concerne la prévention, à un moment donné, les assureurs ne vont plus vers le risque, car ils qualifient le risque à travers la prévention. Un assureur qui travaille avec des probabilités de défaillance à un an qui peuvent aller jusqu’à 25 % ne prendra pas le risque.

Il faut bien comprendre l’entreprise, ce qu’elle fait, quelle est sa marge et sa stratégie commerciale. Le rôle de courtier consiste à tout faire pour donner au chef d’entreprise des informations qui, à un moment  donné, lui permettront de prendre ou non ce risque. Il faudra également parler aux financiers. En effet, le seul sujet qui intéresse les entreprises en 2014, c’est le financement. Il s’agit d’une réalité. C’est moins vrai chez les grandes entreprises, notamment du CAC 40, qui ont des facilités auprès des banques. Mais les ETI commencent à rencontrer des difficultés de financement. Plus nous descendons en taille d’entreprise, plus ces difficultés sont avérées. D’où la création de Bpifrance, dont le succès ne me surprend pas, d’ailleurs. Aujourd’hui, l’actualité bancaire, notamment avec Bâle III et les risques de contrepartie, n’est pas sans conséquences sur les conditions d’accès des entreprises aux financements bancaires.

Fort de cela, notre responsabilité en qualité de courtier consiste à aller vers l’innovation et à pousser les assureurs-crédits vers cette innovation pour proposer aux chefs d’entreprise des solutions de financement. Certes, ces solutions ne seront peut-être pas optimales et seront peut-être plus chères, mais elles auront néanmoins le mérite d’exister. Cette démarche est d’autant plus vraie à l’international. A titre d’exemple, en Angleterre, l’intermédiation est particulièrement avérée dans le monde de la finance, ce qui n’est pas le cas en France et dans d’autres pays d’Europe où, souvent, il existe une connexion directe entre les assureurs et les banques. Nous avons peut-être un rôle à jouer de par le biais de l’innovation qui pourrait aider là où nous n’avons pas de solution.

Gilbert Canameras, président de l’AMRAE et directeur du management des risques et des assurances du groupe ERAMET : L’entrepreneur est accompagné par un certain nombre d’acteurs – banquiers, assureurs, courtiers, etc. –, ce qui est d’ailleurs plutôt rassurant. Finalement, quelle est la motivation d’un dirigeant d’entreprise qui souhaite exporter ? Souvent, au départ, pour le chef d’entreprise, l’exportation est un acte de foi. Il est alors souvent convaincu que, pour se développer, il faut qu’il parte à l’étranger. Les risques existent de la même façon en France qu’à l’étranger. La seule différence, c’est qu’à l’étranger… l’entreprise est étrangère ! Donc, en effet, il faut faire davantage attention à l’étranger qu’en France, même si les risques y sont les mêmes. Pour l’entreprise, le risque de contrepartie est, au départ, une notion qui vient de la banque (les banquiers analysent leurs risques de contrepartie par rapport à des critères de solvabilité et de liquidité). Il s’agit de quelque chose mis en exergue notamment avec la crise de 2008 où, finalement, le risque de contrepartie s’est avéré important dans les transactions entre banques.

A telle enseigne que c’est devenu un risque étudié de près et qu’aujourd’hui la Communauté européenne a mis en place la directive EMIR par laquelle toutes les entreprises sont amenées à faire des déclarations de risques de contrepartie pour toutes les opérations de change à terme. Il s’agit cependant d’un surcroît de travail, de charge et de coûts pour les entreprises pour une finalité qui reste encore à démontrer. Le risque de contrepartie est cependant plus large. Il couvre tous les risques auxquels l’entreprise est exposée avec l’ensemble des parties prenantes, à savoir son fournisseur, son transporteur, son banquier, son partenaire, son client, son sous-traitant… Tout ces risques doivent être appréciés par l’entreprise dès lors qu’elle s’engage dans un acte d’exportation, lorsqu’elle vend un produit ou un service à l’étranger ou d’activité plus pérenne dès lors qu’elle crée une joint-venture avec un partenaire pour développer un marché dans un pays donné. A chaque étape de ce processus, nous considérons, à l’AMRAE, que l’entreprise doit identifier les risques et la qualité de son client, fournisseur, partenaire, banquier et, en fonction de cela, prendre les mesures appropriées.

Par ailleurs, aujourd’hui, les entreprises travaillent de plus en plus en «open account». Il s’agit d’une pratique qui tend à se généraliser. Il est vrai que cette démarche oblige aussi à avoir une analyse plus poussée de son client. Au-delà de l’assurance-crédit, il faut aussi, au sein de l’entreprise, mettre en œuvre une véritable stratégie de crédit client et de credit management pour fixer en interne les limites de risques avec des arbitrages entre la direction commerciale et la direction financière, tranchée par la direction générale. Cette démarche permet, lorsque l’entreprise se trouve face à un risque client, de trancher entre une réduction d’encours, un maintien de la relation client telle qu’elle existe, ou encore lancer une politique de relance formalisée. Le risque de contrepartie est générique et concerne l’ensemble des acteurs avec lequel l’entreprise doit composer.

Philippe Johann :Les éléments essentiels ont été cités : l’importance d’adapter ses conditions générales de vente à l’international, celle de la fonction du credit manager, de la qualité du recouvrement et enfin que l’entreprise ait une démarche d’analyse de ses risques a priori et que, en fonction de ses conclusions, elle détermine les conditions dont elle va assortir la prise de commande en termes de moyens de paiement et de garanties. On l’a dit, les échanges se font de plus en plus en open account, pour autant il existe des solutions pour se sécuriser : assurance-crédit ou garantie bancaire sous forme de lettre de crédit stand-by par exemple, particulièrement adaptée à la couverture de courants d’affaires en open account.

C’est une sécurité que nous conseillons également à toute entreprise dont l’activité et/ou l’organisation ne se prêtent pas forcément à la gestion des crédits documentaires : l’adoption d’une lettre de crédit stand-by (SBLC) couvre l’exportateur des risques de non-paiement, facilite les relations entre un client et un fournisseur, et permet de consentir des délais de paiement en toute sécurité. A l’exportateur de déterminer le niveau de son courant d’affaires à garantir (un, deux ou trois mois de chiffre d’affaires avec ce client, par exemple).

Et faire confirmer une stand-by par sa banque en France permet à l’exportateur d’être couvert des risques dans le pays et la banque de l’acheteur et de ne pas avoir à faire elle-même le recouvrement à l’étranger. Stand-by ou assurance-crédit sont des solutions que nous conseillons activement aux entreprises. L’information commerciale à l’international est également essentielle, avec toutes les incertitudes qui ont été citées précédemment, notamment en fonction du pays : comment vérifier l’existence d’un partenaire à l’étranger et assurer un contrôle continu de sa solvabilité. Pour ce type d’informations comme pour de nombreux autres services, nous avons développé le site www.importexport-solutions.fr afin de mettre l’entreprise en relation avec des experts. Lorsque l’entreprise a un début de présomption sur des difficultés de son partenaire, il lui est parfois difficile de changer les conditions. Mais elle peut arbitrer en jouant sur les délais de paiement, les encours clients, les outils de financement ou une demande de garanties supplémentaires.

Nous évoquions tout à l’heure la difficulté présumée pour une entreprise à obtenir du crédit. Ce n’est pas ce qui ressort de l’étude CSA : le souci du financement n’est pas majoritairement exprimé par les entreprises, au contraire de la sécurisation de leur poste clients, qui est leur principale préoccupation, devant la recherche de partenaires à l’étranger et la rencontre d’experts. Ceci est corroboré par les statistiques du crédit, où la France affiche des taux d’obtention parmi les meilleurs en Europe et ce, pas uniquement pour les entreprises du CAC 40. A l’instar de Bpifrance, nous nous livrons à une analyse du risque de contrepartie lors de chaque demande de crédit. Et dès lors qu’une entreprise a subi une dégradation de ses comptes, elle peut avoir un accès plus difficile au crédit. Mais il existe des garanties externes, dont celle de Bpifrance, pour rassurer les prêteurs. Quant aux contraintes réglementaires Bâle III, elles peuvent jouer sur le prix du crédit en fonction de la notation de l’entreprise mais pas sur la décision d’octroi qui relève d’une analyse de risques. Encore une fois, l’international est un vecteur de croissance pour l’ensemble des acteurs économiques, y compris les banques, et nous sommes mobilisés sur le financement des projets de développement à l’international, seul ou avec nos partenaires de Bpifrance Export.

Gilbert Canameras : Les banques ont aussi fait preuve de beaucoup de créativité dans les accompagnements des entreprises, ce qui est d’autant plus vrai pour les grandes entreprises. En revanche, quand elles apportent du financement, elles le conditionnent à un arsenal important de garanties qui fait que l’entreprise ne va pas tant discuter les conditions du financement que les garanties demandées, ce qui fait perdre beaucoup de temps.

Alain Renck : Lorsque Bpifrance intervient, elle ne le fait jamais seule mais avec une banque. Peut-être que nous jouons parfois ce rôle d’entraînement du marché et que, dès lors que Bpifrance donne son accord, les banques suivent. D’un autre côté, nous sommes là pour prendre plus de risques que les banques. Rappelons d’ailleurs que Bpifrance ne prend pas de garantie sur les opérations financières qu’elle réalise. Cela doit permettre aux banques d’intervenir à nos côtés avec des garanties plus traditionnelles. Evidemment, certaines entreprises ont plus de facilité à obtenir des financements. Mais le problème des ETI et des PME vient avant tout de leur manque de préparation lorsqu’elles veulent se lancer à l’international. Certaines entreprises y vont sans même s’intéresser au marché ciblé alors que nous disposons en France de nombreuses informations facilement accessibles de manière à distiller cette notion d’international et d’export au sein même de l’entreprise et auprès des collaborateurs. Il faut se préparer. La France est plutôt bien accueillie, partout, où qu’elle aille. Nous avons beaucoup de technologies que nous pouvons exporter. Mais il faut se préparer.

Les risques liés aux parties prenantes

Gilbert Canameras : Les risques liés aux parties prenantes sont assez nouveaux. Par exemple, les entreprises qui font travailler des enfants s’exposent à des risques de plaintes d’ONG. Nous sommes alors dans le risque d’image, avec les conséquences financières que cela peut avoir. Parmi les diverses parties prenantes, les ONG sont celles qui regardent de très près la façon dont travaillent les entreprises, que ce soit dans le domaine commercial, sanitaire ou autre. Aujourd’hui, les organismes multilatéraux et les banques sont très sensibles à ce genre d’événements. Par exemple, si une entreprise se lance dans un grand projet industriel à l’étranger avec des besoins de financements, les banques vont demander à l’entreprise qu’elle respecte un certain nombre de normes environnementales édictées par les organismes multilatéraux pour préserver la planète et se prémunir contre d’éventuelles attaques, notamment d’ONG. Nous l’avons vu, le risque concernant les parties prenantes est pris en compte par toutes les directions de développement durable des grands groupes aujourd’hui.

Pierre-Yann Blanchandin : Même en France, nous subissons aujourd’hui l’instabilité juridique. Toute entreprise, quelle que soit sa taille, doit constamment être en veille juridique et faire preuve de réactivité pour s’adapter. A l’étranger, c’est la même chose. Simplement, c’est plus ou moins bien organisé. Il faut connaître la loi locale et son fonctionnement et il faut s’y adapter. Ce qui est néanmoins complexe dans le cadre de cette démarche c’est de savoir comment est appliquée cette loi. Pour s’en prémunir, il faut connaître précisément les dispositifs réglementaires et juridiques locaux, les surveiller et se faire conseiller dans la plupart des cas. La Russie représente un cas d’école en la matière. L’entreprise pourra avoir quatre avocats différents et recevoir quatre interprétations différentes d’une même loi. L’exemple de la Chine est également intéressant.

En l’espace de deux ans, les règles fiscales ont changé huit fois ! Des changements d’autant plus complexes à gérer qu’ils sont parfois applicables presque du jour au lendemain. Songeons aussi à la pollution en Chine qui est un cauchemar auquel on ne pourra pas manquer de s’attaquer un jour avec des contraintes normatives qui s’imposeront. Si la grande entreprise implantée localement arrive plus ou moins à s’adapter à ces évolutions, pour les TPE et PME, la tâche s’avère beaucoup plus difficile.

Anne-Marie Fournier : La presse vient de se faire l’écho d’un changement en Chine sur les obligations en matière de distribution et il semble qu’un grand groupe ait vu l’ensemble de ses accords de distribution invalidés par la Chine du jour au lendemain.

Pierre-Yann Blanchandin : Après, lorsqu’il s’agit d’aller faire un procès dans certains pays étrangers, il est difficile pour une entreprise de faire valoir ses droits.

Eric Da Silva : Nous nous devons, avec les assureurs et les banques, de travailler ensemble. Nous devons convaincre les assureurs d’innover, ce à quoi nous œuvrons actuellement. C’est en revanche plus complexe avec les banques. Nous travaillons néanmoins avec des filiales bancaires spécialisées, notamment dans l’affacturage. Nous avons l’impression qu’il y a, avec ces filiales, des ouvertures, mais en France, cela reste limité. Aujourd’hui, pour les exportateurs, il y a une vraie réalité : en France, nous manquons un peu de culture du risque. Or, il faut que nous développions davantage cette culture du risque. Nous avons constaté, ces dernières années, notamment à travers les actions de Bpifrance et de l’Etat français (que nous avons vu à l’œuvre lors de la crise avec la Caisse centrale de réassurance), que le législateur intervient aux côtés des entreprises. Il faut désormais espérer que ces actions descendent au niveau des entreprises et des banques pour mettre en place des solutions innovantes de gestion du risque. Innover, c’est prendre des risques.

La maîtrise des risques commerciaux

Hervé Richard : Comment bien connaître un marché ? De nombreuses études sont menées sur le sujet, notamment par les organismes d’Etat et les chambres de commerce des pays étrangers. Elles délivrent un premier niveau d’informations sur les pays cibles et certaines données sont consultables sur Internet. KPMG réalise pour ses clients des études qui leur apportent, en amont, des informations sur les aspects financiers, douaniers et logistiques de la zone géographique dans laquelle ils souhaitent se développer. Mais le recueil d’informations ne suffit pas et la pratique diffère parfois de la théorie : une entreprise ne peut pas connaître la réalité d’un pays tant qu’elle n’y est pas installée. Il faut également garder en tête les différences culturelles : la manière de «faire des affaires» est différente d’un pays à l’autre. Au-delà des lois régissant les échanges commerciaux, l’entreprise doit s’adapter aux pratiques locales, qui ne figurent pas forcément dans les textes législatifs.

Il faut donc avoir une bonne connaissance de l’environnement économique, juridique, social, fiscal, douanier, etc. KPMG, avec ses implantations dans plus de 200 villes en France et 150 pays, peut accompagner ses clients partout dans le monde. Une entreprise qui s’internationalise doit être accompagnée de manière adaptée dans l’ensemble de ses démarches. Les dirigeants de PME ont l’habitude d’échanger entre eux conseils et bonnes pratiques. Mais en matière d’internationalisation, ces échanges ne peuvent pas remplacer un accompagnement professionnel, notamment sur le choix du pays dans lequel elles vont se développer et sur leur produit ou service exportable selon le marché. En France, nous constatons que, contrairement aux grands groupes, certaines entreprises de taille moyenne continuent de se lancer seules dans leur projet d’export, sans être accompagnées sur leur stratégie de départ et d’installation à l’étranger.

Celles-ci se privent alors d’un regard extérieur qui pourrait, par exemple, les alerter sur le fait qu’un produit ou un service couronné de succès sur le marché français n’est pas forcément adapté aux besoins de la clientèle qu’elles visent au-delà de leurs frontières. La démarche pour l’export, l’implantation, la joint-venture ou le rachat d’entreprise doit être planifiée en tenant compte de l’ensemble des contraintes financières, commerciales et humaines. Par ailleurs, le soutien et l’expertise des Conseillers du commerce extérieur (CCE) n’est pas à négliger : il s’agit de chefs d’entreprises implantées dans les pays depuis de nombreuses années. Il faut donc planifier et savoir se rapprocher des locaux et de ceux qui ont eu une expérience similaire, afin de bénéficier de leurs conseils.

Caroline Wood : Ubifrance est installée dans le monde entier et peut aider par exemple pour tester un produit ou la stratégie de développement de l’entreprise à l’international. Il s’agit d’une aide que Coface peut financer dans le cadre notamment de son budget d’assurance prospection ou des prêts Export de Bpifrance. Les chambres de commerce en France, mais aussi le réseau des chambres de commerce à l’étranger, qui pour certaines sont très efficaces, peuvent également accompagner les entreprises. Les consultants spécialisés ainsi que les fédérations professionnelles sont aussi de bons conseils. Les Conseillers du commerce extérieur, pour leur part, sont encore trop peu plébiscités. Or l’expérience des uns, même lorsqu’elle est mauvaise, peut profiter efficacement aux autres.

Alain Renck : Dans chacune de nos directions régionales Bpifrance (il y en a 27 en France), nous avons implanté un système de visioconférence que nous mettons gratuitement à la disposition des entrepreneurs pour qu’ils puissent avoir un contact gratuit, direct, instantané avec nos collègues d’Ubifrance à l’autre bout du monde. Cela leur permet d’avoir une première vision de la synergie entre le marché et le produit que l’entreprise souhaite y vendre.

Stéphanie Pellet : L’assureur-crédit va pouvoir de son côté apporter des informations sur les risques pays. Rappelons qu’actuellement 11 pays sont sous embargo. L’assureur-crédit peut ainsi apporter une analyse complémentaire, portant à la fois sur le risque macroéconomique d’un pays et sur les risques liés au secteur d’activité. Nous donnons des informations sur les besoins des pays en termes d’importation et auquel la France, grâce à son savoir-faire, peut répondre. Des opportunités existent : la demande mondiale adressée à la France augmenterait de 18 milliards d’euros en 2014 (+ 3,9 % par rapport à 2013), dont 8 milliards d’euros pour la zone euro (+ 4 %).

Eva Sebban : Un opérateur isolé peut aussi avoir besoin d’un relai au niveau de son recouvrement de créances. Nous travaillons avec Ubifrance pour proposer un service de recouvrement aux entreprises qui ne sont pas forcément assurées-crédit. Euler Hermes peut également réaliser le recouvrement de créances même si elles ne sont pas garanties initialement dans le contrat d’assurance-crédit. Nous avons recouvré des créances en 2013 dans 150 pays. Il n’y a jamais de situation complètement bloquée et nous arrivons à faire beaucoup de choses, dès lors que l’entreprise s’est bien préparée.

Gilbert Canameras : L’entrepreneur est fait pour prendre des risques maîtrisés, le rôle du credit manager comme celui des risk managers est d’aider l’entreprise dans ce sens.

Anne-Marie Fournier : Nous sommes étonnés des taux de recouvrement que les assureurs-crédits atteignent, souvent, avant sinistre. Globalement, ces taux atteignent 45 % sur des pays parfois difficiles. C’est extrêmement important et cela concerne des sommes que nous ne serions pas forcément allés chercher seuls.

Pierre-Yann Blanchandin : Pour répondre à ce qui peut paraître une faible promotion du recouvrement faite par les assureurs-crédits, paradoxalement, ce sont souvent les entreprises matures sur le sujet de la prévention du risque qui ont le mieux perçu que le recouvrement faisait partie intégrante d’une gestion optimisée du poste clients.

Ne pas négliger les risques humains

Gilbert Canameras : Ce sont d’abord les hommes et les femmes qui font l’entreprise. A ce titre, la gestion des talents est capitale. Il est indispensable de former ses cadres à cette ouverture d’esprit vers l’international. C’est notamment vrai dans les PME et PMI. Trop souvent, lorsque l’entreprise demande à son directeur commercial de lancer une prospection commerciale dans un pays étranger, cela se fait au détriment de ses clients déjà en portefeuille dont il n’a alors plus le temps de s’occuper. Il faut que l’entreprise prenne en compte cette notion de partage du temps. La gestion des talents concerne aussi les grands groupes qui s’installent à l’étranger. Il est parfois difficile de trouver les talents nécessaires à l’ouverture d’une unité de production dans un pays étranger, par exemple. Comme la tendance n’est plus à l’expatriation, il s’agit, pour ces entreprises, de trouver des ressources humaines locales et de les former.

Cela nécessite de se mettre en relation avec les universités et écoles locales, de créer des programmes ou sections particulières sur des domaines spécifiques, de créer des systèmes de bourses pour que les futurs cadres locaux viennent éventuellement se former en France, d’assurer une formation pratique dans les usines françaises… Il s’agit d’une vraie question car nous sommes aujourd’hui de plus en plus dans des situations où il faut faire travailler des locaux. Par ailleurs, il arrive qu’il soit nécessaire de faire travailler des entreprises de différents pays. Il faut alors se mettre d’accord contractuellement avec les différents prestataires, et/ou avec les autorités concernées qui devront accepter des quotas d’immigrés. Il s’agit alors d’une gestion des ressources humaines qui est plus pointue qu’il y a quelques années, où nous nous contentions d’envoyer des cadres expatriés chargés de former les locaux. Nous sommes dans un monde où la gestion des ressources humaines s’est globalisée.

Hervé Richard : Nous n’avons pas évoqué le risque juridique lié aux contrats de travail selon les pays visés. Aujourd’hui, les entreprises ont tendance à s’orienter vers des contrats locaux. La gestion managériale des talents est alors très importante. L’ensemble des entreprises qui se destinent à un développement à l’international doivent se poser la question de savoir si les compétences recherchées sont disponibles sur place ou s’ils vont devoir les trouver ailleurs. Dans tous les cas de figure, la formation des collaborateurs est essentielle.

Frédérique Plasson-Almaraz, directrice générale d’ALP et P-DG April Entreprise : Sur le plan des risques humains, la responsabilité des entreprises qui se développent à l’international se situe à trois niveaux : juridique, sécuritaire et sanitaire. Elles doivent à cet effet se prémunir en matière de responsabilité professionnelle mais aussi de protection sociale. Nous touchons notamment à la responsabilité juridique de l’employeur, car elle est réelle. Il peut faire l’objet de poursuites en cas de défaillance sur le sujet. Or, cette démarche passe avant tout par l’évaluation du risque encouru et des dispositifs mis en place pour les maîtriser en amont et pendant la mission des collaborateurs. Ces risques, à différents niveaux, varient en fonction de la zone géographique, de la durée et du type de mission. Certaines zones sont en effet soumises à des pressions armées et géopolitiques, qui induisent des risques sécuritaires pour les employés tels que des enlèvements, des séquestrations, etc.

Or ces derniers ne sont pas suffisamment pris en considération par les assurances traditionnelles. A l’étranger, l’évaluation et la maîtrise des risques porte également sur tout ce qui a trait à la santé et au médical. Des risques qui souvent ne sont pas les mêmes qu’en France. Par exemple, dans certains pays, les collaborateurs de l’entreprise peuvent être exposés à des risques infectieux, d’hygiène ou d’accidents particuliers. Les conditions sécuritaires diffèrent alors et ce d’autant plus que l’accès aux soins ou à la médication diffère d’un pays à l’autre. Parallèlement, les zones géographiques exposées à ces risques tendent à évoluer. A ce sujet, l’entreprise doit être particulièrement vigilante concernant ses contrats d’assurance qui, parfois, excluent certaines zones géographiques.

Pour bien se prémunir contre des risques, nous conseillons aux entreprises de se faire accompagner dans la lecture de leurs contrats d’assurance, notamment pour bien identifier les zones d’exclusions. La démarche est d’autant plus importante qu’elle engage la responsabilité pénale de l’employeur. A cet effet, nous proposons notamment aux entreprises les solutions APRIL International Expat destinées aussi bien aux expatriés qu’aux détachés. Il s’agit de contrats d’assurance spécifiques. Nous pouvons également mettre en place des contrats de couvertures spécifiques pour les missions professionnelles inférieures à 180 jours.

Hervé Richard : Pour qu’un départ à l’international se déroule dans de bonnes conditions, il faut avant tout que ce soit un choix tant individuel – «avoir la fibre» – que familial. Une proposition de carrière internationale n’est pas systématiquement acceptée par les jeunes. Le rôle de l’entreprise consiste à suivre et à accompagner ses salariés expatriés dans leur prise de fonction à l’international mais aussi à assurer le retour de ses expatriés. Elle doit également les accompagner dans les questions de protection sociale, de retraite et d’assurance-chômage.

En matière de gestion des talents, les VIE peuvent constituer un vivier intéressant pour les entreprises. La compétence développée à l’étranger est intéressante pour le jeune talent qui saisit une opportunité à l’étranger, mais elle l’est tout autant pour l’entreprise qui doit savoir le garder.

Frédérique Plasson-Almaraz : Trop souvent, lorsqu’une entreprise envoie un collaborateur à l’étranger, elle se focalise, en termes d’assurance, sur les garanties liées aux pertes de bagages ou aux accidents. Elles ont une analyse trop restrictive des risques. Avant de souscrire à une assurance, quelle qu’elle soit, il est notamment indispensable qu’elle veille au statut de son collaborateur : s’agit-il d’un expatrié qui a un contrat en France ou d’un détaché qui, de ce fait, ne sera notamment pas couvert par la Sécurité sociale française ? Le protocole de prévention, d’accompagnement du salarié et de sa famille ainsi que leur protection dépendront notamment de ce statut.

Anne-Marie Fournier : En conclusion, il ne faut pas oublier que les grandes entreprises sont des mosaïques de petites entreprises. D’autre part, il ne faut pas oublier que la marque France commence par se vendre en France.

Alain Renck : Il faut également que les entreprises protègent leur marque. Enfin, dernier conseil, il faut que le nom de l’entreprise ou du produit s’exporte et se prononce facilement.

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