Innovation technologique

Une réponse aux enjeux du voyage d’affaires

Publié le 17 septembre 2014 à 17h08    Mis à jour le 27 juillet 2021 à 12h08

Anne del Pozo

Toujours engagées dans des stratégies de réduction des coûts, les entreprises continuent de surveiller étroitement leur poste voyage d’affaires. Si les objectifs ne changent pas, en revanche, le contexte dans lequel les entreprises évoluent et les nouvelles tendances relatives à l’hyperconnectivité, la mobilité et la sécurité du collaborateur les obligent à faire évoluer leur stratégie voyage. Face à cette nouvelle approche, les acteurs du voyage d’affaires doivent redoubler d’efforts pour décomplexifier l’ensemble de leurs solutions et créer un nouveau business model articulé autour de la dématérialisation de toute la chaîne de valeur du voyage.

L'optimisation des coûts, toujours un enjeu majeur

Yan Mortreux, directeur général en charge de la gestion des frais professionnels d’Edenred France : Nous avons, chez Edenred, près de 100 000 clients. Parmi eux, nombreux sont ceux qui nous ont fait part de leur difficulté à piloter en temps réel la ligne budgétaire liée aux frais professionnels. En effet, ces frais professionnels sont souvent de la responsabilité de nombreuses personnes dans l’entreprise. Par ailleurs, c’est généralement en consolidant les comptes de la société que les responsables de cette ligne budgétaire s’aperçoivent si le budget prévisionnel a été dépassé ou non. Le premier constat au niveau des frais professionnels porte sur cette gestion qui se fait toujours a posteriori, quand l’argent est déjà dépensé. Si nous déplaçons le curseur au niveau des frais de déplacement, nous avons identifié trois grandes tendances : le passage au digital dans l’industrie du travel, la dématérialisation des processus (factures, congés, mais aussi frais professionnels) dans les entreprises et dans les collectivités, et, enfin, le profil des voyageurs d’affaires et la génération Y qui aujourd’hui est hyperconnectée, et qu’il convient plutôt de convaincre et de séduire que de contrôler. Ces trois tendances nécessitent que les entreprises réinventent une politique voyage plus orientée vers le voyageur et sa volonté de disposer dans sa vie professionnelle des mêmes outils et technologies que ceux utilisés dans sa vie personnelle. Toute la problématique consiste aujourd’hui à laisser davantage d’autonomie à cette jeune génération tout en la contrôlant, sans oublier, bien entendu, de veiller à sa sécurité.

 

Virginie Poupault, chef de groupe achats marketing, voyages et événementiel au sein de la direction des achats de Roche et membre du board GBTA : Très clairement, la tendance actuelle consiste à externaliser la réservation des voyages. Au sein de notre entreprise, la problématique de départ portait sur les coûts mais aussi sur la prise en compte des habitudes de nos collaborateurs qui, à titre personnel, réservaient déjà leurs voyages en ligne. En 2011, nous avons donc mis en place un outil de réservation des voyages en ligne. Précédemment, nous avions un «implant», c’est-à-dire une équipe dédiée, dans nos locaux, de l’agence de voyages qui s’occupait de nos réservations. Aujourd’hui, tous nos voyageurs ont un profil renseigné dans l’outil de réservation qui leur permet de réserver leur voyage directement, et en particulier le transport et l’hôtel. Ces réservations peuvent également être effectuées par certaines assistantes.

 

Michel Roncka, travel manager chez RTE et membre de l’AFTM : Chez RTE, le constat a été sensiblement le même. Nous avons également été poussés à revoir notre politique voyage lorsque nous nous sommes séparés de notre maison mère en 2012. Nous avons alors dû mettre en place nos propres contrats fournisseurs, notre propre agence, etc. Et très vite nous nous sommes aperçu, au travers des benchmarks réalisés auprès de grandes entreprises, qu’un outil de réservation en ligne nous permettrait de faire des économies importantes, notamment sur les frais d’agence. Par ailleurs, un tel outil encourage à faire du «best buy» car il affiche les meilleurs tarifs. Or, instinctivement, les utilisateurs, que ce soient les assistantes ou les collaborateurs, s’orientent vers les tarifs les plus bas.

Virginie Poupault : De tels outils permettent également de charger la politique voyage de l’entreprise et, donc, d’interdire certains types d’hôtels, ou certaines classes de réservation, en fonction de la durée du vol, par exemple.

Henri Hourcade, directeur des ventes entreprises et agences du marché France chez Air France-KLM : En qualité de prestataire, nous ne pouvons pas négliger la volonté des entreprises d’optimiser leurs coûts et de les réduire. Pour nous, la relation avec les entreprises est primordiale, et nous avons une approche par contrat dans le cadre de laquelle nous proposons un pourcentage de réduction en fonction du volume des vols effectués sur notre groupe. Ces négociations visent, du côté des entreprises, à accompagner leur volonté de maîtrise des coûts liés aux transports. Les politiques mises en œuvre dépendent alors souvent des entreprises et du contexte dans lequel elles évoluent. Aujourd’hui, nous voyons néanmoins apparaître dans ces politiques voyage un retour de la prise en compte du gain de temps, de la flexibilité, du confort voyageur. Nous constatons également que les entreprises se penchent de plus en plus sur des approches plus fines, telles que la durée ou la raison d’un voyage, pour définir certains critères de leur politique voyage. La classe en vol autorisée sera par exemple différente pour le collaborateur qui voyage sur un long-courrier pour aller voir un client important et celui qui voyage sur un court-courrier pour suivre une formation. Nous travaillons donc avec l’entreprise pour ajuster nos contrats. Nous avons des discours de plus en plus fins sur le comportement, le besoin, le retour sur investissement attendu par les entreprises. Nous proposons une approche compétitive en prenant par exemple en compte le prix et le gain de temps. Un enjeu auquel nous répondons notamment à travers la fréquence de nos vols : une trentaine de vols par jour pour Toulouse ou sept sur New York en sont des exemples concrets.

 

Stéphane de Laforcade, cofondateur et dirigeant d’HCorpo : Dans l’hôtellerie, l’enjeu est un peu différent. Nous sommes le deuxième poste de dépenses après le transport dans le budget voyage d’affaires des entreprises. Toute la différence entre les compagnies aériennes et le secteur hôtelier repose sur les capacités de négociation. Dans l’aérien, elles disposent de statistiques relativement fiables dans la mesure où les données «transports» peuvent être consolidées par les agences de voyages ou encore les cartes logées. Elles ont donc une visibilité assez fine sur les dépenses en la matière et disposent par ailleurs de plusieurs leviers d’optimisation sur, par exemple, la classe autorisée, le low cost. Ce n’est pas le cas dans l’hôtellerie. Les entreprises, avant d’optimiser leurs coûts liés à ce poste de dépenses, doivent les identifier et les connaître. Or, nous nous apercevons que la démarche est loin d’être simple, ce qui conduit les entreprises à bâtir des budgets hôtels parfois très approximatifs. Il y a donc vraiment un enjeu important de connaissance des coûts liés à l’hôtellerie. Or la démarche est complexe en raison de la multiplicité et de la disparité des sources d’approvisionnement sur ce marché. Il faut savoir que, en France, près de 70 % de l’hôtellerie est indépendante. Par ailleurs, seuls 20 % de la dépense sont sous contrôle, ce qui veut dire que 80 % de la dépense ne le sont pas. Enfin, il y a également le problème du règlement des hôtels et, à ce niveau aussi, les entreprises doivent faire face à la mixité et à la diversité des solutions proposées : cartes personnelles, cartes corporate, cartes virtuelles, avances sur frais, etc.

Face à cette complexité de gestion des frais hôteliers, nous voyons les entreprises tomber dans certains écueils. Il est donc aisé de confondre le prix et le coût. Une chambre à 120 euros peut générer derrière 30 euros supplémentaires de gestion de facture qui n’ont pas été appréhendés. Parallèlement, les programmes hôtels sont encore souvent faits de manière empirique : comme les entreprises ne connaissent pas leurs dépenses hôtelières, elles ne peuvent véritablement prendre des engagements en termes de volumes de réservation ou encore de contrôle du respect des tarifs négociés.

Notre rôle, en qualité de prestataire de ce secteur, est donc encore aujourd’hui pédagogique. Nous invitons vivement les entreprises à appliquer des règles de bon sens. Par exemple, nous attirons leur attention sur le fait que le montant d’une dépense hôtelière n’est pas équivalent à celui d’une réservation. Nous leur conseillons également, avant de s’engager dans un programme hôtelier qui souvent s’avère complexe à mettre en œuvre, voire, in fine, pas opportun, d’identifier clairement leurs dépenses hôtelières sur une année. A partir de cette première démarche d’identification, elles pourront éventuellement mettre en place un programme hôtelier cohérent, sans pour autant impacter le confort du voyageur d’affaires. Nous sommes en effet aujourd’hui capables de faire 30 à 40 % d’économies sur un programme hôtel sans changer la catégorie de l’hôtel, la proximité avec un point de destination, la facilité de réservation d’une nuitée, etc. Il ne faut pas oublier que l’hôtel est souvent considéré par le voyageur d’affaires comme une extension de son domicile. C’est la raison pour laquelle il est très pointilleux sur sa qualité. Or il existe aujourd’hui différentes solutions pour couper dans les coûts faciaux sans toucher au confort du voyageur et la grande tendance est la réduction, voire la disparition des programmes hôtels au profit d’une centrale bien adaptée.

Clothilde Lefebvre, responsable grands comptes chez MasterCard France: Les opérateurs de cartes et de moyens de paiement ont également un rôle à jouer en matière de maîtrise des coûts. Ce rôle se situe à trois niveaux : le développement de l’acceptation des cartes de paiement, la captation des flux et données cartes et le reporting de ces données. Plus le niveau d’acceptation sera important, plus il sera possible, pour les entreprises, de capter des données cartes qu’elles pourront ensuite enrichir à des fins d’analyses grâce à des outils de reporting. Une société comme MasterCard a vraiment un rôle important à jouer à ce niveau et répond à ces différents enjeux, à travers son réseau d’acceptation inégalé, sa capacité à centraliser des données enrichies et à réaliser des reportings qui s’intègrent ensuite dans les systèmes d’information des entreprises. Plus le moyen de paiement carte sera accepté, plus il sera utilisé et plus les flux pourront être intégrés dans les processus de décision de l’entreprise. Celle-ci connaîtra mieux ses dépenses et pourra mener de façon plus efficace les négociations avec les fournisseurs. Autre exemple : sachant que beaucoup de collaborateurs ne sont pas encore équipés en cartes de paiement, la carte professionnelle prépayée peut élargir le champ d’application des programmes cartes et équiper des collaborateurs temporaires ou qui ne sont pas des grands voyageurs.

Pascal Jungfer, cofondateur et président d’Areka Consulting : La finalité de la mission des professionnels du voyage consiste à proposer le meilleur service, la meilleure expérience possible pour le voyageur et ce, au meilleur coût et dans des conditions de sécurité acceptables. Par rapport à cela, il y a deux types de cas. Pour les entreprises nationales, il faut qu’elles réalisent un arbitrage coût/services qui a des conséquences, notamment sur le choix des catégories d’hôtels, de classe dans l’aérien ou le ferroviaire… Leur deuxième arbitrage porte sur la technologie : à quelle vitesse je fais rentrer la technologie dans mon programme (visioconférence, expérience mobile, les applications fournisseurs…) pour renforcer l’expérience utilisateur ? Enfin, le troisième arbitrage porte sur le niveau d’investissement à octroyer au pilotage des données. En effet, dans le secteur du voyage d’affaires, le pilotage des données reste un exercice difficile à mettre en œuvre et souvent imparfait de par la lenteur des processus, l’incohérence des données, etc. Les arbitrages des comptes internationaux se situent à un autre niveau. Ils doivent d’abord se poser la question de la centralisation de leur politique voyage d’affaires. Les entreprises doivent notamment se poser la question de ce qu’elles imposent ou non à chacune de leurs filiales. Le second point porte sur la consolidation : à quel point faut-il que l’entreprise massifie ses achats ? Le troisième arbitrage des grands comptes porte sur l’outsourcing : que faut-il qu’ils délèguent à leur agence de voyages et que faut-il qu’ils gèrent en interne ? Ces arbitrages sont autant de questions sur lesquelles il faut déplacer le curseur. En effet, dès lors qu’ils sont réglés, la stratégie voyage d’affaires se met en place naturellement.

Les nouvelles technologies : contrainte ou opportunité ?

Stéphane de Laforcade : Les nouvelles technologies sont l’essence même de notre métier. Chez nous, c’est la technologie qui assiste notre activité et non l’inverse. Néanmoins, dans notre secteur d’activité (plateforme de réservation hôtelière), proposer une application très innovante mais qui, derrière, s’appuie sur une plateforme peu efficace ne peut satisfaire personne. En la matière, l’entreprise doit se poser la question du coût de la nouvelle technologie par rapport aux bénéfices qu’elle peut en tirer. Par ailleurs, il est indispensable qu’elle vérifie que cette nouvelle technologie lui permette de satisfaire à tous ses besoins tant en termes d’usage que de traçabilité des données. 

Yan Mortreux : En effet, dans les entreprises, il y a la technologie certes, mais aussi l’adoption par les utilisateurs, les négociations avec les partenaires sociaux, les chefs de service et parfois d’autres protagonistes tels que les directeurs commerciaux ou informatiques. Par ailleurs, l’outil technologique n’aura d’intérêt que s’il se connecte à une plateforme intelligente ! Par exemple, la technologie proposée par Air France pour réaliser un embarquement depuis son smartphone apporte une vraie valeur ajoutée en termes de services. A l’inverse, recevoir par exemple une notification de l’appli d’une agence me signalant que je prends l’avion aujourd’hui n’apporte pas grand-chose. Tout l’enjeu consiste donc à réconcilier le voyageur avec l’entreprise de manière à ce qu’ils soient, l’un et l’autre, partenaires de l’application de la politique voyage. Si cette réconciliation n’existe pas, alors les jeunes générations tourneront le dos à la politique voyage de l’entreprise pour se porter davantage vers les outils de réservation qu’ils ont l’habitude d’utiliser à titre personnel. Une démarche qu’ils justifieront comme légitime auprès de leur responsable de voyages en raison des tarifs trouvés, souvent moins chers que ceux proposés dans le cadre de la politique voyage de l’entreprise.

La sécurité du voyageur, préoccupation majeure

Michel Roncka : Tous nos achats voyages d’affaires se font de manière centralisée par nos assistantes. Nous nous posons néanmoins la question de la mise en place d’un système de réservation en ligne avec un workflow de validation systématique. Nous sommes davantage en train de nous orienter vers une information systématique de la ligne managériale avec potentiellement quelques blocages au niveau du montant ou de la destination sur des demandes spécifiques. Nous procéderons néanmoins toujours de manière centralisée. Ce qui n’empêche pas à nos collaborateurs, dans un second temps, de réaliser des changements sur leur réservation à partir de leur téléphone mobile personnel, ce qui d’ailleurs ne coûte rien à l’entreprise en termes d’équipement. Néanmoins, l’usage des technologies mobiles peut soulever un problème de sécurité. Que nos agents utilisent leur mobile pour réserver un hôtel en France ne nous pose pas de problème. En revanche, cela nous dérange beaucoup plus qu’ils procèdent de cette manière pour réserver un hôtel dans un pays à risque tel que la Syrie, par exemple. D’ailleurs, ils le sentent et ne le font pas d’eux-mêmes : la sécurité est un enjeu majeur. Par ailleurs, il existe d’autres technologies. RTE est en train de se doter de systèmes de visioconférence et de téléprésence. Nous commençons à voir les fruits de cet investissement : il s’agit d’une source d’économies non négligeable.

 

Virginie Poupault : Chez Roche, à partir du moment où nos collaborateurs se déplacent, ils sont équipés d’un smartphone. Néanmoins, notre service informatique est vigilant sur les applicatifs utilisés. Nos collaborateurs sont d’ailleurs plutôt disciplinés : ils réservent leur voyage via l’outil de réservation en ligne. Nous avons d’ailleurs un très bon taux d’adoption de cet outil, de l’ordre de 85 %. En revanche, nous n’avons pas de workflow de validation mais nous comptons beaucoup sur la responsabilisation des collaborateurs. A cet effet, nous misons sur le «change management». D’ailleurs, il n’y a pas chez nous de projets achats qui se déploient sans qu’il y ait en amont un plan de communication important réalisé auprès des cibles concernées. L’hôtellerie fait néanmoins figure d’exception dans cette démarche. Nous avons en effet constaté que nos collaborateurs ne réservaient pas tous leurs hôtels via l’outil, sans doute en raison de la faiblesse de l’offre, qui est très fragmentée, en France et en Europe. Cela nous pose aussi un problème de sécurité, car nous ne savons pas toujours où se trouvent nos collaborateurs, dans quel hôtel ils sont descendus. Nous avons donc identifié avec l’hôtellerie un gisement potentiellement apporteur de solutions et de services pour nos clients internes et de contrôle et maîtrise des coûts pour l’entreprise. Nous nous orientons d’ailleurs vers la mise en place, nous aussi, d’une plateforme de réservation hôtelière avec un paiement centralisé.

 

Michel Roncka : Chez nous aussi, nous préférons employer le terme de responsabilisation du collaborateur. D’ailleurs, insistons sur le fait que la génération Y sait être responsable.

 

Virginie Poupault : La responsabilisation n’exclut d’ailleurs pas le contrôle. Un contrôle que nous effectuons régulièrement.

 

Clothilde Lefebvre : En qualité de spécialistes des moyens de paiement, nous avons parfois un rôle peu connu, notamment dans le monde professionnel, en matière de sécurité des voyageurs d’affaires. Les cartes professionnelles portent en effet une offre très large d’assurance, d’assistance et de conciergerie. Lorsque nous sommes dans le voyage professionnel, domestique ou international, les cartes incluent notamment des assistances médicales, des assurances en cas de retard d’avion ou de perte de bagages, mais aussi la couverture des dommages sur des voitures de location par exemple. Ces cartes intègrent également des services d’urgence tels que le déblocage d’espèces ou l’envoi d’une carte de dépannage en cas de besoin. Cette offre répond à la problématique de la maîtrise des coûts mais aussi à celle de la sécurité des voyageurs d’affaires. Par exemple, nous avons lancé un programme MasterCard avec un transporteur dont les chauffeurs routiers, au lieu de transporter des espèces pour couvrir les dépenses de leur déplacement, ont été équipés de cartes. Ces dernières sont paramétrées en fonction du trajet prévu, selon les catégories de marchands (péage, restauration, hôtellerie). Si le routier tombe en panne, la carte peut être paramétrée en temps réel pour couvrir ses frais de réparation sans qu’il ait d’avance de frais à réaliser. Ce programme contribue à renforcer les contrôles et la maîtrise des coûts tout en sécurisant le routier, qui ne transporte plus d’importantes sommes d’espèces.

 

Yan Mortreux : Ces cartes ne dédouanent néanmoins pas l’entreprise de sa responsabilité pénale et de son obligation de souscrire à des assurances en termes de responsabilité civile pour le voyageur.

 

Stéphane de Laforcade : Nous avons une donnée qui est assez incomplète dans le domaine du voyage d’affaires et notamment en matière d’hôtellerie. En France, 20 % de l’hôtellerie est achetée via un professionnel (TMC ou plateforme hôtelière) et 80 % auprès de fournisseurs qui ne sont pas connus du travel manager ou de l’entreprise. Or ces derniers ont, pour des raisons de sécurité du voyageur d’affaires, besoin de savoir dans quel hôtel leurs collaborateurs sont descendus. L’hôtellerie joue donc un rôle particulier en termes de sécurité du voyageur d’affaires. Il se trouve que, dans le cas des catastrophes naturelles, les antennes des portables tombent. L’hôtel est la seule façon de savoir précisément où se trouve le collaborateur. D’où l’intérêt de maîtriser les processus de réservation hôtelière. D’ailleurs, chez HCorp, lorsque nous avons développé notre application, nous avons mis en place un système permettant aux collaborateurs d’informer son employeur lorsqu’il fait son check in et son check out, ce qui facilite sa localisation en cas, par exemple, de catastrophe naturelle. Par ailleurs, nous visons, avec notre plateforme, un taux d’adoption maximum. Aujourd’hui, celui-ci est en moyenne à 75 % des voyageurs d’affaires, soit autant de collaborateurs que nous pouvons localiser… Nos outils participent donc à la sécurisation des voyageurs d’affaires.

 

Pascal Jungfer : Nous pouvons également faire le pari qu’arrivera le moment où ce seront les opérateurs télécoms qui prendront la main sur le sujet de la sécurité des voyageurs d’affaires, ce qui devrait faire bouger les lignes.

 

Michel Roncka : Nous travaillons avec des organismes, tels qu’International SOS, qui sont complémentaires des régimes d’assurances proposés par les cartes. Cela ne nous empêche pas, dans certains pays, de demander à nos collaborateurs s’ils acceptent d’être géolocalisés via leur téléphone portable.

Les innovations du secteur

Henri Hourcade : L’ensemble de l’industrie aérienne a investi depuis plus de dix ans dans la dématérialisation des billets d’avion. Il fallait également que, techniquement, il soit possible d’organiser des voyages complexes impliquant différentes compagnies, ou d’échanger des billets d’avion. Cette première étape a été bouclée en 2001/2002. Elle a été le socle de la construction de l’ensemble des services électroniques sur lesquels nous avons investi massivement, que ce soit Air France ou les autres transporteurs aériens. Ces investissements portent, à des niveaux différents selon les compagnies, sur la mise à disposition de nouveaux services autour des besoins principaux des voyageurs et des entreprises que sont la fluidité dans les aéroports, l’enregistrement, l’après-vente, les modifications. Chez Air France, nous avons également beaucoup investi sur la gestion des aléas et la mise à disposition en temps réel d’informations auprès du voyageur sur un retour, une annulation, un transfert, etc.

Les derniers investissements majeurs que nous avons réalisés en matière de nouvelles technologies portent également sur la réadaptation de l’ensemble de nos applications électroniques à l’ensemble des formats de terminaux mobiles. S’il y a cinq ans la disponibilité de nos applications sur un ou deux formats de terminaux suffisait, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il est désormais indispensable qu’elles soient accessibles depuis n’importe quel terminal mobile.

Stéphane de Laforcade : L’innovation technologique aujourd’hui est presque invisible pour l’utilisateur final. Ce dernier souhaite avant tout que les innovations technologiques proposées dans le cadre professionnel ressemblent à celles qu’il utilise à titre personnel. Les acteurs du secteur voyage d’affaires concentrent donc leurs efforts sur les interfaces de leurs applications, pour qu’elles ressemblent à celles proposées dans le b to c. Parallèlement, il faut que ces nouvelles technologies soient suffisamment intuitives et faciles d’utilisation pour éviter de devoir former les collaborateurs. En ce qui concerne le secteur de l’hôtellerie, l’innovation porte également sur notre capacité à fournir efficacement et en temps réel un maximum de choix d’hôtels avec des disponibilités qui durent le plus longtemps possible et ce, au meilleur prix. Par ailleurs, il ne faut pas occulter le fait que 80 % des voyages d’affaires français sont réalisés sur le territoire national, dans des hôtels 2 ou 3 étoiles. En termes de technologies, l’équipement de ces hôteliers indépendants se limite parfois à une Freebox. Tout le défi pour nous consiste à être ultra-connectables auprès de personnes dont le niveau d’équipement technologique est limité. Enfin, le futur, pour notre profession, consistera à connaître la disponibilité d’une chambre et son tarif sans même avoir à interroger l’hôtel.

 

Yan Mortreux : Les voyageurs d’affaires ne sont pas que des cadres dirigeants de multinationales qui voyagent en Asie. En effet, plus des trois quarts des déplacements professionnels sont domestiques, durent de deux à trois jours et se font dans des hôtels 2 étoiles. Par ailleurs, force est de constater que, de plus en plus, le voyageur d’affaires prend sa voiture pour se déplacer. Ce sont aujourd’hui nos principaux clients et lorsque nous les écoutons, nous constatons qu’ils ne disposent d’aucun outil de type SBT ou plateforme hôtelière, ni de travel manager, souvent pour des raisons de coût. Or, sans aucun outil de management, leurs dépenses voyages d’affaires atteignent parfois plusieurs centaines de milliers d’euros par an. Ils ont donc besoin de solutions plug and play, abordables, qui leur donnent accès à des outils modernes de paiement, de réservation, de reporting, etc. En matière de moyens de paiement, les entreprises peuvent mettre en place des comptes dédiés à une fonction, que ce soit du restaurant, du CESU, du cadeau et maintenant du Travel, qu’elles pourront débiter avec une carte, du paiement online, etc. La dématérialisation nous permet de gérer des comptes entreprise qu’il suffit de recharger. Maintenant, la technologie est complètement maîtrisée.

Prenons l’exemple d’Edenred Ticket Travel Pro. Il s’agit d’un compte préfinancé par l’entreprise à partir duquel nous allons recharger une carte. Grâce à notre partenariat avec MasterCard, nous pouvons appliquer des règles de gestion à cette carte. Elle peut ainsi n’être utilisable que du lundi au vendredi, sur une typologie de dépenses particulières (hôtellerie, restauration, transport aérien, etc.), avec des maximums de transactions ou des plafonds… Cela permet, par rapport à une politique de l’entreprise, de lui procurer le moyen de paiement parfaitement adapté à ses besoins. La souplesse de cette solution permet une gestion a priori avec un plafond contraint, offre un moyen de paiement très souple ainsi qu’un accès à des services associés auprès de partenaires de références tels que HCorpo pour l’hôtellerie, Go Voyages pour l’aérien, Capitaine Train pour le ferroviaire ou encore à une plateforme de gestion des notes de frais dématérialisées et préremplies… Nous proposons ainsi aux PME françaises autant de services qui, mis bout à bout, n’auraient pas été à leur portée d’un point de vue financier. Il faut savoir qu’en France, 8 millions de personnes font des avances de frais avec leurs propres moyens de paiement, ce qui, pour les entreprises, peut s’avérer très lourd à gérer. Par ailleurs, 30 milliards de dépenses professionnelles sont chaque année réalisées dans les entreprises françaises, dont 10 milliards ne sont pas managées. Notre proposition de valeur consiste donc à proposer une solution clés en main aux entreprises pour manager ces 10 milliards d’euros de dépenses.

Vers une centralisation des paiements

Virginie Poupault : Nous sommes convaincus que le paiement centralisé est un véritable confort pour les utilisateurs dès lors que les problèmes de dématérialisation sont bien réglés. La mise en place d’un paiement centralisé (de type carte logée) nécessite de convaincre le directeur financier, le directeur comptable, le contrôle de gestion, voire la direction informatique, et faire en sorte que tout cela fonctionne bien. Aujourd’hui, dans notre entreprise, les collaborateurs qui voyagent peuvent être équipés d’une carte affaires, ce qui leur apporte un premier niveau de confort. Nous avons également une carte logée dans notre agence pour les réservations aériennes et hôtelières, ce qui renforce le niveau de confort du voyageur, qui n’a plus d’avance de frais à réaliser ni de notes de frais à remplir. L’avantage du paiement centralisé, c’est qu’il permet également à l’entreprise de disposer de data de meilleure qualité que celles issues des notes de frais, et donc de réaliser des reportings efficaces. Il faut néanmoins bien cadrer les processus en amont car nous avons régulièrement des audits, et devons être en mesure de présenter toutes nos factures fournisseurs et de justifier l’ensemble de nos dépenses.

Michel Roncka : Nous incitons aussi nos collaborateurs à utiliser le paiement centralisé car, en termes de reporting, c’est la solution la plus efficace. Pour autant, la démarche n’est pas si simple à mettre en œuvre car elle nécessite en effet de travailler en étroite collaboration avec différentes directions de l’entreprise. Pour les frais incontournables ne pouvant être centralisés, nous mettons aussi à leur disposition des cartes bancaires corporate leur permettant en plus de déclarer leurs notes de frais et de se les faire rembourser.

Pascal Jungfer : Nous voyons apparaître de nombreux nouveaux entrants qui se positionnent sur le secteur du déplacement professionnel. Par exemple, nous pouvons imaginer que Airbnb capturera une partie du volume voyage d’affaires. Nous assistons au retour du prépayé sur ce secteur alors que, jusqu’à présent, les entreprises s’appuyaient beaucoup sur les comptes logés, etc. Parallèlement, la migration vers les systèmes de paiement centralisés est inéluctable. Pour autant, voyager demeure une véritable aventure. Ce n’est par exemple pas parce que nous avons des systèmes de paiement innovants et performants que cela atténuera le stress des collaborateurs en déplacement. D’ailleurs nous pouvons nous étonner que les systèmes de visioconférence n’aient pas pris plus d’ampleur. Certes, il existe de nombreux moyens de communication interpersonnels, des outils collaboratifs, ou encore de nouveaux environnements informatiques qui contribuent à améliorer la productivité des voyages d’affaires. Pour autant, le voyage reste un investissement important en argent, en temps, en stress et en énergie.

Le end-to-end est-il la solution ?

Pascal Jungfer : Parallèlement, il faut bien comprendre que, à ce jour, l’unité d’œuvre «voyage» n’existe pas. Il n’est pour le moment pas possible de réaliser des reportings parfaits dans le voyage d’affaires. Donc, il demeure difficile pour les entreprises d’avoir une vision globale de poste de dépenses. Certes, il existe des solutions technologiques qui proposent la réservation puis le paiement et des acteurs tels que KDS qui réfléchissent à des solutions «door-to-door» prenant en compte l’ensemble des dépenses. Cependant, cela reste balbutiant à l’heure actuelle et ces nouvelles technologies amènent une solution mais aussi un challenge autour du stress du collaborateur qui se déplace.

 

Stéphane de Laforcade : En qualité d’hôtelier, nous sommes intégrés dans les plateformes end-to-end. Pour autant, cette technologie en est encore à ses débuts et nous n’avons pas du tout de recul pour le moment. En effet, si ces solutions séduisent, en revanche, elles sont encore peu utilisées. D’autant qu’elles ne résolvent pas tous les enjeux liés à la connaissance des dépenses hôtelières ou à la gestion des voyages complexes. Par ailleurs, il ne faut pas oublier les vrais prérequis à une bonne politique voyage, à savoir, sa définition intelligente, la sélection des bons hôtels, la visibilité sur les dépenses engagées, etc. Les éditeurs de solutions end-to-end, et en particulier KDS, s’ingénient pour essayer de connecter l’ensemble des processus de réservation et de paiement de manière fluide. Mais si sophistiquées que soient ces solutions, il faut quand même avoir choisi sa source (hôtelière) correctement.

Henri Hourcade : Sur le door-to-door, nous en sommes en effet aux balbutiements. Tout le challenge pour nous, en qualité de prestataire de services, porte, d’une part, sur les applicatifs qui sont notre contact direct avec nos clients et, d’autre part, sur ceux qui sont intégrés dans les systèmes de réservation des agences de voyages. Pour nous intégrer dans les solutions door-to-door et continuer à être présentés et distribués de manière correcte, nous devons nous adapter à partir de ce socle établi. Nous avons donc une équipe, des professionnels des SBT qui travaillent avec nos différents partenaires voyages sur des interfaces entre nos applicatifs et toutes les nouvelles technologies de notre marché et, en particulier, les outils door-to-door.

 

Stéphane de Laforcade : Le règlement dans l’aérien n’est aujourd’hui plus un problème, notamment grâce aux cartes logées. C’est donc tout un pan de la problématique qui est déjà abattu dans ce secteur, alors que, dans l’hôtellerie, les acteurs acceptant ces moyens de paiement, tel HCorpo, sont très rares.

 

Pascal Jungfer : Et ce d’autant plus que l’hôtellerie ne dispose pas de la typologie des tarifs et des niveaux de services qui existent à ce jour dans l’aérien.

 

Clothilde Lefebvre : De notre côté, nous travaillons à renforcer nos solutions cartes logées et cartes virtuelles pour suivre un voyage de bout en bout. Nous entendons ainsi permettre une réconciliation beaucoup plus importante entre les réservations et le paiement a posteriori. Parallèlement, nous voulons étendre le champ d’usage de la carte logée ou du paiement centralisé à des domaines sur lesquels ils ne sont pas utilisés aujourd’hui tels que, par exemple, la location de voitures. Nous proposons également des services tels que l’accès à des salons privés dans les aéroports, le sans contact dans les aéroports ou les transports publics, etc. Autant de services qui facilitent la vie des voyageurs tout en optimisant le budget de l’entreprise.

La difficile consolidation de toutes les données voyages

Virginie Poupault : Chez Roche, nous n’avons pas fait le choix d’une solution end-to-end. Aujourd’hui, nous récupérons donc nos données voyages essentiellement auprès de notre agence. Demain, nous pourrons également récupérer des données auprès de la plateforme de réservation hôtelière et du nouvel outil de gestion des notes de frais que nous allons déployer. Néanmoins, il faut savoir que, à l’heure actuelle, certains éditeurs de gestion de notes de frais ne travaillent pas avec certaines agences de voyages, ce qui rend difficile la consolidation des données… Une fois que nous aurons fait l’ensemble de ces démarches, nous aurons balayé presque toute la chaîne de valeur voyage et disposerons d’une visibilité sur la totalité des dépenses engagées, à quelques exceptions près, type dépenses de restauration ou de taxi.

 

Michel Roncka : J’ajouterai que l’outil notes de frais semble, pour l’avenir, incontournable. Cela ira de pair avec le déploiement de cartes bancaires qui permettront de fluidifier l’enrichissement des données dans l’outil de notes de frais. Enfin, dès lors que nous aurons une visibilité sur l’ensemble de la dépense voyage, il ne restera plus qu’à en calculer le retour sur investissement.

 

Yan Mortreux : La complémentarité des outils de gestion a priori des budgets avec un compte préfinancé, la flexibilité de la réservation avec différents opérateurs performants et enfin le contrôle a posteriori des dépenses voyages avec une plateforme de notes de frais permettent aujourd’hui de couvrir toute la chaîne de valeur des voyages, notamment pour les entreprises françaises qui se déplacent sur le territoire national.

 

Pascal Jungfer : Il ne faut cependant pas oublier d’intégrer les télécoms dans les frais de voyages, qui représentent l’un des enjeux à venir des responsables de voyages.

 

Yan Mortreux : Les dépenses carburant et la gestion de la flotte automobile entrent également de plus en plus dans le champ d’action des responsables de voyages. La tendance aujourd’hui consiste en effet à faire évoluer la fonction du travel manager vers une fonction de mobility management.

 

Virginie Poupault : Et une fois que nous aurons fait tout cela sur le voyage d’affaires, nous pourrons également le faire sur le MICE, qui reste pour l’entreprise une seule et unique dépense auprès souvent des mêmes prestataires. 

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