La lettre de l'immobilier

Mai 2017

Protection de la forme du bâtiment par le droit des marques

Publié le 26 mai 2017 à 15h05    Mis à jour le 26 mai 2017 à 18h10

José Monteiro

La protection de la forme d’un bâtiment par le droit de marques est peu traitée par la doctrine et la pratique, probablement en raison de l’accueil très négatif réservé par la jurisprudence au premier contentieux relatif à ce type de marque.

Par José Monteiro, Of counsel en droit de la propriété intellectuelle. Il intervient notamment dans les domaines du droit des marques et de la propriété industrielle. jose.monteiro@cms-bfl.com

Dans cette affaire portant sur la forme arrondie des restaurants Courte-Paille et leur toit en chaume, la Cour de cassation a jugé dès 1972 que «…la forme extérieure d’un bâtiment, revendiquée en elle-même et non pas seulement dans sa reproduction [à titre de marque], n’est pas un signe matériel susceptible de constituer une marque valable pour désigner les services d’une entreprise».

Pourtant, la protection de la forme extérieure ou de l’agencement de l’espace intérieur reçoivent un traitement différent.

La protection de la forme extérieure du bâtiment

Deux dispositions de la législation sur les marques sont susceptibles de faire obstacle à l’enregistrement comme marque de la forme d’un bâtiment : l’exigence générale de distinctivité des marques (art. L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle – CPI), mais aussi une exigence propre aux marques tridimensionnelles dont la forme ne peut pas conférer au produit sa valeur substantielle (art. L. 711-2 c) du CPI).

Ainsi, la tour en verre dans laquelle la société Smart expose ses véhicules ne peut, faute de caractère distinctif, être déposée comme marque de l’Union européenne «bien que les bâtiments d’entreprise de toutes sortes puissent, grâce à leur design, véhiculer des idées telles que la solidité, la richesse, le dynamisme et la fonctionnalité, ou simplement refléter l’esprit supposé des temps, un style particulier ou un goût particulier» (EUIPO ch. recours, 7 juillet 2004, R 1/2003-4).

S’agissant des circonstances dans lesquelles la forme extérieure d’un bâtiment peut donner au produit sa valeur substantielle, la Cour de justice a fait une interprétation extensive de la notion en indiquant qu’elle «ne saurait être uniquement limitée à la forme de produits ayant exclusivement une valeur artistique ou ornementale» (CJUE, 18 septembre 2014, C-205/13). Dans cette affaire, l’avocat général avait proposé d’intégrer «tous les autres produits utilitaires dont le design constitue l’un des éléments essentiels décidant de leur attractivité, et donc de leur succès sur le marché».

Cette interprétation particulièrement extensive des textes est extrêmement pénalisante, pour les créateurs, et paradoxale : plus la forme du bâtiment est créative et s’éloigne des formes habituelles, plus elle est susceptible de tomber sous le coup de l’article L. 711-2, c) du CPI.

La protection de l’aménagement intérieur du bâtiment

L’aménagement intérieur des locaux commerciaux fait incontestablement partie des identifiants d’une entreprise.

C’est pourquoi Apple – entre autres – a procédé à des dépôts de marque dans différents pays d’Europe dont l’Allemagne, d’un dessin en couleurs représentant l’espace de vente de ses boutiques. La Cour de justice, saisie à titre préjudiciel, consacre le caractère enregistrable d’un tel signe en indiquant qu’une représentation de «l’aménagement d’un espace de vente au moyen d’un ensemble continu de lignes, de contours et de formes, peut constituer une marque à condition qu’elle soit propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises. Il en est ainsi lorsque l’aménagement visualisé diverge de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur économique concerné» (CJUE, 10 juillet 2014, C-421/13).

La Cour de cassation a précisé cette analyse à propos de l’agencement des magasins Sephora, en jugeant que «les éléments complexes et imprécis de la marque déposée par la société Sephora n’avaient aucun caractère distinctif», les éléments du magasin étant très nombreux, «sans que l’on puisse déterminer lesquels […] seraient distinctifs pour désigner des services de conseils [en] parfumerie» (Cass. com., 11 janvier 2000, n° 97-19605).

En conclusion, si la forme extérieure d’un bâtiment semble difficilement enregistrable comme marque, il est tout à fait possible de protéger les aménagements intérieurs à ce titre.

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Au sommaire de la lettre


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