La lettre de l'immobilier

Novembre 2018

Restructuration d’un immeuble et changement de son mode d’utilisation : impacts financiers et juridiques

Publié le 23 novembre 2018 à 14h50    Mis à jour le 23 novembre 2018 à 16h56

Florence Chérel, Céline Cloché-Dubois et Géraldine Machinet

Lors de la restructuration d’un immeuble existant afin d’y accueillir un nouveau projet et notamment un nouveau mode d’utilisation, le propriétaire sera confronté à de multiples contraintes et à la nécessité d’obtenir plusieurs autorisations. Ces contraintes et autorisations peuvent impacter négativement la valorisation de l’immeuble.

Par Florence Chérel, avocat associé en droit immobilier et droit public. Elle accompagne les entreprises (investisseurs, promoteurs, aménageurs) dans le cadre de projets de développement notamment en matière de maîtrise foncière, de montages contractuels, de suivi des procédures d’aménagement, de l’intégration des contraintes environnementales ou de l’obtention des autorisations administratives préalables. florence.cherel@cms-fl.com  ; Céline Cloché-Dubois, avocat counsel en droit de l’urbanisme et de l’environnement. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux auprès d’opérateurs publics et privés (investisseurs, promoteurs, aménageurs) dans le cadre de projets de développement et d’aménagement. celine.cloche-dubois@cms-fl.com et Géraldine Machinet, avocat counsel en droit immobilier. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux, notamment en matière de baux commerciaux. geraldine.machinet@cms-fl.com

Règles de destination et autorisations d’urbanisme

La restructuration d’un immeuble, qu’elle soit à destination constante ou non, exige de s’enquérir des règles d’urbanisme régissant la destination de l’immeuble et de vérifier si une autorisation d’urbanisme est nécessaire compte tenu du changement de destination (ou sous-destination) envisagé.

Lorsque le projet de restructuration s’accompagne d’une modification du mode d’utilisation de l’immeuble, il apparaît évident de s’assurer que les prescriptions du plan local d’urbanisme (PLU) relatives aux modes d’utilisation interdits ou soumis à conditions ne s’opposent pas à la transformation projetée. Ce sera le cas des règles qui interdisent telle ou telle destination dans la zone ou des règles qui imposent le maintien de la destination existante de l’immeuble en tout ou partie. C’est ainsi que la transformation d’un immeuble de commerce en bureau peut s’avérer impossible ou que le maintien de la destination d’habitation existante s’imposera.

Néanmoins, le PLU peut également comporter des prescriptions imposant à toute opération de réhabilitation ou de restructuration une destination autre que la destination existante dont le maintien est pourtant souhaité par le propriétaire.

Le PLU peut par exemple imposer la réalisation de logements locatifs ou de logements locatifs sociaux ou encore de surface de plancher à destination commerciale le long de certaines voies (en ce sens, articles UG 2.2.2 et 2.2.3 du PLU de Paris) dès lors qu’une opération de construction neuve, de restructuration lourde ou de changement de destination est prévue sur l’immeuble.

L’ensemble de ces prescriptions a pour effet, au mieux, de contraindre l’opération de restructuration et, au pire, de rendre économiquement ou juridiquement impossible cette opération alors même que l’état de l’immeuble l’exigerait. Ces contraintes s’avèrent bien susceptibles d’obérer significativement la valeur de l’actif.

Autorisation de changement d’usage

L’usage qui est fait d’un immeuble peut également impacter le projet envisagé - non seulement d’un point de vue administratif mais également financier - dès lors que la transformation de tout ou partie d’un immeuble à usage d’habitation est envisagée1.

En effet, une autorisation administrative doit être sollicitée afin d’affecter de tels locaux à un autre usage à Paris, Lyon et Marseille, notamment, ainsi que dans les communes des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne (article L.631-7 du Code de la construction et de l’habitation).

Cette autorisation peut être subordonnée à une compensation2. La compensation suppose que le demandeur d’un changement d’usage :

- propose en compensation des locaux à autre usage que l’habitation dont il est propriétaire et qu’il va transformer en logements ; ou

- achète un titre de compensation (ou commercialité) auprès d’un tiers, propriétaire de locaux affectés à un autre usage que l’habitation (bureaux, commerces, etc.) qu’il va transformer en logements.

La compensation consiste ainsi en un transfert de la commercialité d’un local à autre usage que l’habitation vers un local d’habitation, permettant à ce dernier d’obtenir un changement d’usage à caractère réel, c’est-à-dire définitif.

Ce type de transformation, aucunement neutre financièrement, peut ainsi faire obstacle à des projets de transformation dès lors qu’ils affectent des immeubles d’habitation.

Taxe pour création de bureaux, locaux commerciaux et de stockage (TCBCE)

La restructuration d’un immeuble peut également être assujettie au paiement d’une taxe spécifique, en région Ile-de-France, dès lors qu’elle s’accompagne d’un changement d’affectation au sens de l’article L.520-2 du Code de l’urbanisme.

Ainsi, à titre d’illustration, dès lors que des locaux d’habitation sont transformés en bureaux ou en commerces ou que des commerces sont transformés en bureaux, la taxe est due.

Le montant de cette taxe n’est pas neutre non plus, son montant en 2018 étant de 407,64 euros/m² pour les bureaux, 131,46 euros/m² pour les locaux commerciaux, 14,28 euros/m² pour les locaux de stockage à Paris et dans les Hauts-de-Seine. Chaque mètre carré transformé, sauf exception, est assujetti. Il n’existe pas de seuil, contrairement à la taxe annuelle, en-deçà duquel la taxe n’est pas due.

Cette transformation est habituellement déclarée à l’occasion d’une demande d’autorisation d’urbanisme (permis de construire ou déclaration préalable).

Eviction des locataires présents dans l’immeuble

Le redéveloppement d’un immeuble nécessite au préalable l’éviction des locataires, phase qui peut prendre un certain temps et qui doit être prise en compte financièrement.

En effet, le propriétaire ne peut mettre fin à un bail commercial, pour son terme ou pendant la période de tacite prolongation, qu’en signifiant un congé avec refus de renouvellement et offre d’indemnité d’éviction, ce qui implique d’adapter le projet de reconstruction aux échéances des baux. La délivrance de ce congé ouvrira la période de négociation avec le locataire ainsi que le démarrage du calendrier judiciaire de cette procédure d’éviction qui s’étire généralement sur trois à quatre ans avant d’avoir une décision définitive fixant le montant de l’indemnité. Cette durée est due à la nécessité de recourir à une procédure d’expertise judiciaire pour fixer le montant de l’indemnité d’éviction et au fait que l’exécution provisoire n’est jamais ordonnée par le Tribunal de grande instance puisque le bailleur a toujours la possibilité de revenir sur sa décision et d’offrir le renouvellement du bail en exerçant son droit de repentir (article L.145-58 du Code de commerce). 

S’agissant du coût de l’indemnité d’éviction, si celle-ci s’avère généralement peu élevée pour les baux à usage exclusif de bureaux, les indemnités d’éviction des boutiques constituent un poste financier particulièrement important d’une opération de restructuration. En effet, l’éviction entraîne soit la perte du fonds de commerce (indemnité de remplacement), soit un simple déplacement du fonds de commerce sans perte de clientèle (indemnité de déplacement).

L’indemnité d’éviction principale sera calculée en fonction de la valeur du droit au bail en cas de déplacement du fonds de commerce et en cas de perte de fonds de commerce si la valeur du fonds est inférieure à la valeur du droit au bail. Cette valeur du droit au bail, qui se calcule à l’aide de la méthode du différentiel de loyer (soit la différence entre la valeur locative de marché et le loyer théorique de renouvellement), est particulièrement importante, notamment à Paris, où les valeurs locatives de marché sont élevées. Le bailleur n’arrivera à diminuer la valeur du droit au bail qu’en incluant dans les baux commerciaux une clause de fixation du loyer de renouvellement à la valeur locative de marché. L’emplacement de la boutique aura également des conséquences sur la valeur du droit au bail puisqu’un coefficient de 3 à 12 est appliqué à celle-ci.

1. Les locaux d’habitation s’entendent de tous les locaux d’habitation ainsi que leurs annexes quels que soient les parcs dont ils relèvent, privé ou public, et leur date de construction. Cela inclut notamment les résidences pour personnes âgées et les résidences étudiantes. Les résidences de tourisme ne sont en revanche pas considérées comme des locaux à usage d’habitation.

2. A Paris, par exemple, les autorisations délivrées à titre personnel pour les locaux suivants ne font pas l’objet de compensation : locaux occupés par une association, une fondation ou une profession libérale dans certains cas, pour l’exercice d’une mission d’intérêt général notamment.


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