La lettre gestion des groupes internationaux

Transition énergétique, l’heure des travaux pratiques !

Publié le 24 avril 2024 à 16h28

PwC Société d’Avocats    Temps de lecture 13 minutes

Par Fabien Radisic, avocat, associé, ESG Leader PwC Société d’Avocats et Yoann Derriennic, associé, Capital Project & Infrastructure Leader PwC France & Maghreb

Le Président de la République Emmanuel Macron l’annonçait le 16 janvier 2024 : en matière de transitions écologique et énergétique, « le temps n’est plus aux annonces. Il est à faire, sur le terrain. »

En effet, depuis le début des années 2020, la France comme l’Union européenne travaillent à instaurer un cadre règlementaire et financier afin d’encourager un modèle économique orienté vers un mode de production moins polluant, touchant tous les secteurs.

En 2019, l’Union européenne présente ainsi son Green Deal, qui doit permettre à l’Union d’atteindre la neutralité carbone à horizon 2050. Dans ce cadre, des investissements massifs sont discutés, avec notamment un objectif de consacrer 25% du cadre financier pluriannuel à des dépenses en faveur du climat. En 2021, le paquet Fit for 55 complète le Green Deal, et propose notamment de revoir à la hausse les objectifs de l’UE en matière d’énergies renouvelables (de 32 % à 40 % d’EnR dans le mix énergétique global d’ici 2030), d’efficacité énergétique (de 32,5 % à 36 % pour la consommation finale d’énergie), et de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs qui ne sont couverts ni par le système d’échange de quotas d’émission de l’UE, ni par le règlement sur l’utilisation des terres (de – 29 % à – 40 % d’ici 2030 par rapport à 2005). Le paquet propose également de rendre impossible la commercialisation sur le marché de l’UE des voitures ou camionnettes équipées d’un moteur à combustion interne d’ici 2035. En outre, le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) est décidé, visant à soumettre les produits importés dans l’Union européenne à une tarification du carbone équivalente à celle appliquée aux industriels européens fabriquant ces produits.

Depuis 2020, la France a également accéléré le déploiement de ses stratégies en faveur des transitions écologique et énergétique, en commençant par plusieurs volets dédiés au sein du plan France Relance en 2020. Plus récemment, la France a instauré en 2022 son Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) placé sous l’autorité du Premier ministre, chargé de coordonner l’élaboration des stratégies nationales en matière de climat, d’énergie, de biodiversité et d’économie circulaire. Après une année de travaux avec l’ensemble des ministères, filières économiques, représentants des collectivités locales et associations, la Première Ministre a présenté France Nation Verte à l’été 2023, un plan d’action national et global qui se structure autour de 6 thématiques (transport, logement, écosystèmes, production, alimentation, consommation) déclinées en 22 chantiers d’action à déployer, secteur par secteur, dans les territoires.

Après ces efforts d’anticipation, et dans un contexte de multi-crises climatiques, économiques et sociales, il est urgent de déployer à grande échelle les actions sur le terrain. Les objectifs fixés pour 2030 ne seront jamais atteints sans une mobilisation immédiate et coordonnée de tous les acteurs publics et privés, à toutes les échelles territoriales. De nouvelles méthodes doivent être pensées, et des moyens d’action plus efficaces doivent être mis en œuvre dès à présent.

Enjeu n°1 : un besoin d’accélérer la décarbonation des usages

La transition énergétique n’implique plus seulement l’évolution des approvisionnements, via un accroissement de la production issue des sources d’énergies renouvelables. En effet, de nombreux acteurs œuvrent à présent pour décarboner le mix énergétique et accélérer la transition vers les énergies renouvelables.

La transition énergétique nécessite désormais aussi un choc du côté de la demande en énergie, et une transformation des modes de consommation qui s’exprime via de nouveaux usages décarbonés, en particulier au sein des secteurs les plus émetteurs que sont le transport routier (29,1 % de l’empreinte carbone nationale en 2021), l’industrie (18,8 %), l’agriculture (18,4 %) et le résidentiel/tertiaire (18,1 %). Ainsi, il s’agit de passer d’une logique linéaire à un modèle circulaire, où les offres en énergies alternatives répondent aux usages qui en sont faits.

La dernière CEO Survey menée par PwC pour 2024 révèle que, si les entreprises françaises sont plus matures que dans les autres en matière de transformation écologique – avec 53 % des dirigeants français qui pensent que le changement climatique entraînera des changements dans la façon dont leur entreprise créée de la valeur dans les 3 prochaines années, contre 30 % des dirigeants en moyenne dans le monde – cette conscience n’est pas encore suffisante et systématique. Pourtant, la transformation des usages, notamment au sein des entreprises, est un prérequis pour la transition.

La coordination entre l’amont et l’aval de la chaîne d’approvisionnement de l’énergie est l’un des défis majeurs de cette transition. Elle implique une coordination des acteurs publics et privés, dans le temps et l’espace (les territoires), pour en garantir sa bonne exécution. C’est le cas par exemple quand des industriels s’associent avec des collectivités pour réutiliser la chaleur fatale qu’ils émettent et en trouver de nouveaux usages. La cohérence entre la demande et l’approvisionnement en énergie doit donc se faire à une échelle territoriale et implique de créer de nouveaux réseaux locaux.

Enjeu n°2 : un besoin de gouvernance territoriale

Les collectivités locales ont la responsabilité de rassembler et fédérer les acteurs locaux, afin de s’accorder collectivement sur une déclinaison des plans nationaux qui soit adaptée à leurs écosystèmes économiques et environnementaux. Par exemple, les objectifs et plans d’action doivent être différenciés selon que les territoires concernés sont fortement industrialisés ou davantage axés sur une économie de services. La planification écologique des territoires nécessite donc une approche participative au niveau local. La construction des trajectoires doit permettre de faire dialoguer les parties prenantes afin de créer un consensus et in fine faciliter la mise en œuvre des actions.

A titre d’exemple, PwC accompagne le commissariat général au développement durable (CGDD) dans la mise en œuvre opérationnelle des plans d’action de décarbonation et d’adaptation, au sein des services répartis à travers la France, et en collaboration avec eux. La combinaison de la vision descendante des objectifs nationaux, avec l’approche ascendante qui mobilise les acteurs locaux pour recueillir leurs besoins et considérer les spécificités locales permet de décliner des trajectoires locales en conséquence. Cette approche permet d’assurer l’opérationnalité et l’efficacité de la mise en œuvre des plans d’action, en les adaptant aux réalités de chaque service sur le terrain.

Pour faciliter l’animation territoriale, le Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des territoires a instauré les COP régionales, qui mobilisent l’ensemble des acteurs du monde économique et de la société civile. Dans toutes les régions, les COP seront menées et finalisées avant l’été 2024, pour définir au sein de chaque région les leviers d’action qui matérialisent les engagements pris dans chaque secteur et décrire une trajectoire permettant d’atteindre les objectifs régionaux à l’horizon 2030.

Toutefois, la transition est coûteuse pour les collectivités locales. L’Institute for Climate Economics (I4CE) estime en effet qu’elles devraient réaliser au moins 12 milliards d’euros d’investissements chaque année entre 2021 et 2030 pour atteindre les objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). Cela constituerait 18 % de leur budget d’investissement total actuel et représenterait plus du double de leurs investissements actuels pour le climat.

Enjeu n°3 : un besoin d’accélérer l’exécution des projets

L’accès à l’ingénierie financière, juridique et technique est cruciale pour le développement des projets et la mise en œuvre de la planification écologique. Un facteur clé de succès réside notamment dans l’existence de fortes coopérations entre les acteurs publics et privés.

Foncier. C’est le cas tout d’abord sur la question du foncier, cruciale pour le déploiement des projets. En effet, le déploiement d’énergies renouvelables implique un besoin de foncier beaucoup plus important que pour les énergies fossiles et nucléaires. En tant qu’aménageur du territoire, les pouvoirs publics, à commencer par les élus des collectivités, sont les plus à même de connaître les ressources en foncier de leur territoire et de parvenir à mobiliser les propriétaires fonciers pour se prêter à ces projets.

Procédures administratives. Par ailleurs, les pouvoirs publics peuvent influer sur la bonne réalisation des projets en raccourcissant les délais d’obtentions des autorisations et en aidant à maîtriser les risques de recours. En effet, de nombreux porteurs de projet dénoncent un goulet d’étranglement au niveau des autorisations accordées, à l’échelle locale ou nationale. Aussi, les risques de contentieux sont importants et allongent encore les délais sur ces projets. Pour accélérer les autorisations et donc la mise en œuvre des projets, la France a par exemple voté la LOI n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables.

Offres de service d’ingénierie. Le dialogue entre les mondes public et privé doit globalement permettre de mobiliser les moyens techniques, financiers et humains nécessaires pour opérer et exécuter les projets, en promouvant par exemple la montée en compétence dans certains domaines et en mettant à disposition des offres d’ingénierie techniques et financières pour favoriser la naissance des projets. A ce titre, le développement des Agences Régionales Energie Climat comme c’est le cas en Occitanie ou encore en Centre Val de Loire, offre des solutions nouvelles et constitue des leviers pour assembler les expertises et proposer des offres de service d’ingénierie, faciliter l’accès des financements et ainsi permettre de mieux accompagner de bout en bout les projets de la transition écologiques. En animant un écosystème régional, les AREC régionales doivent aussi permettre de recréer les conditions d’une concertation sociale entre professionnels et citoyens.

Financement. Depuis le plan France Relance, les investissements publics en faveur des transitions énergétiques et climatiques se sont accélérés, avec notamment en 2023 des investissements de l’Etat dans l’industrie (cimenteries, ports, aciéries) et dans les énergies (nouveaux réacteurs nucléaires, hydrogène, énergies renouvelables dont l’éolien en mer). Le plus souvent, les fonds publics complètent les fonds privés, permettant ainsi aux entreprises d’améliorer leur retour sur investissement – souvent perçu comme un blocage car trop faible dans le cadre d’investissements verts. Certains mécanismes contractuels, notamment des partenariats publics-privés, permettent aussi de rassurer les investisseurs et de les inciter à s’engager sur un temps plus long.

Dans les territoires, les fonds publics régionaux se multiplient également. C’est par exemple le cas des projets d’Agence Régional Energie et Climat (AREC) en Occitanie, en Ile de France ou Centre Val de Loire qui permettent d’apporter à la fois des capacités d’ingénierie et également accompagner les projets dans leurs recherches de financement publics et privés des projets de la transition énergétique.

L’Union européenne joue aussi un rôle, en offrant de nombreux financements pour des projets innovants au service de la transition énergétique. Par exemple, PwC accompagne un groupement de deux grands groupes industriels français et un groupe pétrolier polonais pour le montage de leur dossier de candidature au fonds européen CEF-Energy, dont l’enveloppe de 5,84 milliards d’euros pour 2021-2027 vise à subventionner des infrastructures au niveau européen. Dans ce cas précis, la subvention servira à financer la réalisation d’études pour un projet de hub portuaire qui permettrait d’exporter du CO2 en provenance de Pologne vers des puits de carbone CCS (Carbon Capture and Storage, ou captage et stockage du carbone) en mer du Nord. Grandes entreprises et startups innovantes sont aussi accompagnées par PwC dans leur candidature au Fonds européen pour l’innovation, un programme de financement de 40 milliards d’euros sur 2020-2030 pour des technologies innovantes à faible teneur en carbone. Par exemple, PwC monte le dossier de candidature d’une startup française qui souhaite construire des unités d’électrolyse pour faire de l’hydrogène et produire de l’e-méthanol pour le secteur maritime en France.

Cette multiplicité de sources de financements publics et privés implique donc un besoin de coordination aux échelles européennes, nationales et locales, afin de s’assurer de créer collectivement les conditions optimales pour la réalisation des projets.

Construire des trajectoires de transformation, entre le « possible »et le « nécessaire »

Dans un contexte encore plein de facteurs d’incertitudes – notamment sur la maturité des technologies, l’adoption des usages, ou encore l’agenda réglementaire – les acteurs s’engagent à long-terme dans des logiques de neutralité carbone. Pour autant, sur le court terme, l’attention reste concentrée sur ce qui est «possible», avec les moyens et capacités actuelles et non pas sur ce qui est « nécessaire » pour atteindre les objectifs long-terme. L’équilibre économique reste en effet une clé de décision centrale pour les acteurs privés et publics.

Or cette approche est incompatible avec la prise de recul nécessaire pour s’accorder collectivement sur les changements structurels à engager dans une société. Elle risque de mener à des réactions dans l’urgence face aux événements climatiques extrêmes. Pour éviter cela, il est essentiel au contraire de fixer des trajectoires par anticipation et en prévention des futurs scénarios climatiques.

C’est l’approche du Commissariat général au développement durable (CGDD) de définir une stratégie globale de décarbonation et d’adaptation de l’ensemble des services de l’Etat. Sur la base de trajectoires de long-terme réalisées pour s’aligner sur les objectifs de la SNBC à horizon 2050, l’objectif est maintenant de décliner un plan d’action détaillé pour chacun des services et fixer les différentes échéances. Doivent donc être mises en œuvre des actions de très court terme, faciles à déployer, à côté d’actions de moyen terme, qui nécessite un accompagnement et une sensibilisation plus importante, et enfin des actions de long-terme, reposant sur des investissements comme c’est le cas pour des actions de rénovation énergétique des bâtiments.

Somme toute, le changement de modèle énergétique implique des impacts multiples et de natures diverses. Au-delà des impacts environnementaux (émissions carbone, biodiversité, nouveaux besoins en ressources, modification des paysages), certains impacts économiques (création d’emplois, croissance, souveraineté, transformation des modèles économiques) et sociaux (besoin de compétences et formation, impact des pollutions sur la santé) sont amenés à bouleverser les fonctionnements de nos sociétés. Il ne s’agit plus d’opposer, mais de réconcilier ces enjeux environnementaux, énergétiques, économiques et sociaux. La question reste de savoir, comment embarquer l’ensemble des acteurs à la fois société civile et parties prenantes dans ce nouveau paradigme, pour en faire une réalité augmentée ? 


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