La lettre gestion du patrimoine

Mars 2016

Anticipation des risques liés aux accidents de la vie pouvant affecter les dirigeants de sociétés 

Publié le 11 mars 2016 à 16h53

Anne-Christine Warnet, PwC Société d’Avocats

En cas d’empêchement d’un dirigeant de société résultant d’un «accident de la vie» (maladie, incapacité, accident ou décès), l’activité de l’entreprise peut rapidement se trouver menacée, au risque d’aboutir à une paralysie des opérations quotidiennes et, plus généralement, de la gestion de l’entreprise.

Par Anne-Christine Warnet, avocat, PwC Société d’Avocats

Cette situation peut survenir notamment dans les PME ou les TPE, dont l’activité repose en grande partie sur le dirigeant, qui est parfois aussi le fondateur de l’entreprise. Lorsque le dirigeant cumule son mandat social avec la qualité d’associé, les décisions collectives peuvent également subir le contrecoup de cette situation. Il en est de même pour la gestion des titres que le dirigeant détient dans le capital de la société.

D’où l’intérêt pour le dirigeant qui est aussi associé de chercher à protéger de sa propre vulnérabilité, d’une part, la société elle-même, et, d’autre part, la gestion de son propre patrimoine incluant les titres qu’il détient dans la société.

Les mesures d’anticipation de la vulnérabilité du dirigeant sont essentiellement d’ordre contractuel. En l’absence d’anticipation, les mesures curatives qui pourront être envisagées auront une nature plus judiciaire.

Les mesures statutaires d’anticipation de la gestion de l’entreprise

Afin d’anticiper une carence dans la gestion de l’entreprise, en cas d’empêchement du dirigeant pour quelque cause que ce soit, une première mesure consiste à prévoir dans les statuts, lorsque la forme juridique de la société le permet, un dirigeant de substitution.

Aucune difficulté particulière ne semble se poser lorsque les associés peuvent déterminer librement dans les statuts le mode de gouvernance ou le nombre de dirigeants, de même que l’étendue et la durée des pouvoirs des dirigeants. Cette souplesse existe dans les sociétés civiles, les SARL, et plus encore dans les SAS.

La nomination d’un ou de plusieurs cogérants dans les sociétés civiles et les SARL, ou la mise en place d’un directeur général dans la SAS ayant les mêmes pouvoirs que le président, assureront la continuité de la gouvernance de la société en cas de décès ou d’empêchement de l’un des dirigeants. Il conviendra de trouver une personne de confiance et suffisamment compétente pour être à même de codiriger l’entreprise.

Par ailleurs, et à titre de mesure complémentaire, ou alternative lorsque la première solution est impossible à mettre en œuvre ou n’est pas souhaitée par le dirigeant ou les associés, il est possible de prévoir dans les statuts un ou plusieurs dirigeants suppléants. Le principe de la nomination dans les statuts d’un tel dirigeant a d’abord été admis au sein des sociétés civiles familiales. Le gérant suppléant n’entre en fonction et n’exerce la direction et la représentation de la société qu’en cas de cessation du mandat du gérant titulaire. Rien n’interdit d’appliquer une telle solution aux SARL ou aux SAS, bien qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne fasse état d’une telle possibilité.

Il est à noter qu’une attention toute particulière devra être portée à la rédaction de la clause à introduire dans les statuts, notamment si l’événement retenu pour l’entrée en fonction du dirigeant suppléant est «l’empêchement» du dirigeant en titre. Cette clause devra alors définir cette notion de façon précise, en énumérant au besoin les cas dans lesquels le dirigeant titulaire «empêché» sera remplacé par le dirigeant suppléant, ce qui, en général, n’est pas une tâche aisée.

Parallèlement à la protection de la gestion de l’entreprise, le dirigeant également associé devra prendre soin de protéger son propre patrimoine à travers la gestion de ses titres.

Les mesures contractuelles d’anticipation de la gestion patrimoniale des titres sociaux

En matière de gestion patrimoniale des titres du dirigeant touché par un accident de la vie, notamment en matière de droits de vote et de droits aux dividendes, la loi ne semble pas être d’un grand secours. En effet, les régimes de protection instaurés par le Code civil, comme la tutelle et la curatelle, ne concernent pas les actes de l’entreprise.

Le conjoint ou les héritiers, lorsque les règles statutaires ne les ont pas écartés, ou lorsque leur intervention a été autorisée par un juge, ne présentent pas toujours la compétence et la connaissance de l’entreprise et de la vie économique nécessaires pour prendre des décisions pertinentes en matière de vote aux assemblées générales ou, plus largement, de gestion des titres du dirigeant empêché.

De nouvelles techniques se sont développées permettant au dirigeant d’anticiper la gestion patrimoniale de ses titres en cas d’empêchement.

• Le mandat de protection future

Entré en vigueur le 1er janvier 2009, le mandat de protection future peut apporter une alternative conventionnelle aux mesures judiciaires traditionnelles de protection des personnes vulnérables que sont la tutelle, la curatelle ou la sauvegarde de justice.

Ce dispositif, régi par les articles 477 à 494 du Code civil, offre la possibilité à toute personne, et donc à tout dirigeant qui souhaite pouvoir anticiper les conséquences d’une incapacité éventuelle, la possibilité de désigner d’ores et déjà un ou plusieurs mandataires afin de le représenter le jour où il ne pourrait plus pourvoir seul à ses intérêts en raison d’une altération médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles, de nature à empêcher l’expression de sa volonté.

Le choix du mandataire devra revêtir une attention particulière eu égard notamment à l’objet du mandat qui sera plus ou moins étendu selon la volonté du mandant : il peut viser à la fois la protection de sa personne et de ses intérêts patrimoniaux, ou bien l’une de ces missions seulement.

Ce mandat permet notamment aux dirigeants d’organiser à l’avance la protection de leurs droits politiques (droits de vote attachés aux titres de sociétés détenus) et droits patrimoniaux (droits aux dividendes, décisions à prendre en matière de cessions de titres, etc.).

Le mandat prend effet lorsqu’il est établi, par un certificat médical émanant d’un médecin inscrit sur une liste arrêtée par le procureur de la République, que le dirigeant n’est plus en état de pourvoir seul à ses intérêts. Le mandataire doit alors produire auprès du greffe du tribunal d’instance à la fois le mandat et le certificat médical.

Le dirigeant est libre de déterminer l’objet et l’étendue des pouvoirs qu’il souhaite conférer au mandataire. Il faut distinguer selon que le mandat est notarié ou sous seing privé.

La forme notariée permet d’accroître les pouvoirs du mandataire, qui pourra alors accomplir sur les biens du dirigeant non seulement des actes d’administration (vote aux assemblées générales), mais aussi des actes de disposition (cessions de titres), à l’exception toutefois des actes qui requièrent l’autorisation du juge des tutelles (donations ou legs). Le mandataire rend compte au notaire qui a établi le mandat en lui adressant ses comptes et toutes pièces justificatives. Le notaire peut saisir le juge des tutelles de tout mouvement de fonds ou de tout acte non justifiés ou n’apparaissant pas conformes aux stipulations du mandat.

Le mandataire de protection future «sous seing privé» ne pourra effectuer quant à lui que des actes d’administration (actes conservatoires ou de gestion courante), à l’exclusion donc des actes de disposition qui requerront systématiquement l’accord du juge des tutelles.

Il faut par ailleurs souligner que, une fois que le mandat a pris effet, il ne peut plus être révoqué par le mandant. Il ne pourra y être mis fin que dans les cas visés par le Code civil (décès du mandant ou du mandataire, rétablissement des facultés personnelles du mandant, déconfiture du mandataire…).

• Le mandat à effet posthume.

Entré en vigueur le 1er janvier 2007, le mandat à effet posthume a un champ d’application plus ciblé que le mandat de protection future, car il est mis en place dans l’intérêt d’un ou de plusieurs héritiers. Il peut ainsi permettre de répondre à l’inquiétude des parents quant à la gestion ultérieure de leur patrimoine par leurs héritiers, en désignant à l’avance une personne présentant a priori les compétences techniques ou professionnelles requises pour gérer l’entreprise familiale.

Le mandat à effet posthume permet en effet à toute personne de désigner de son vivant un ou plusieurs mandataires (personnes physiques ou morales) à l’effet d’administrer ou de gérer tout ou partie de sa succession, pour le compte et dans l’intérêt d’un ou de plusieurs héritiers identifiés.

Ce mandat, régi par les articles 812 à 812-7 du Code civil, est néanmoins encadré assez strictement dans son objet et ses conditions pour éviter les éventuels abus à l’égard des enfants qui se trouvent de ce fait privés temporairement du droit d’administrer et de gérer librement les biens constituant leur réserve.

Les pouvoirs du mandataire se limitent aux actes conservatoires et d’administration sur les biens de la succession, à l’exception donc des actes de disposition. Chaque année, et en fin de mandat, le mandataire doit rendre compte aux héritiers au nom et pour le compte desquels le mandat a été donné, et les informer des actes qu’il a accomplis.

Lorsque la succession comprend une entreprise sous forme sociale, seuls les droits sociaux du dirigeant associé et mandant entrent dans sa succession et peuvent donc faire l’objet du mandat, à l’exclusion de la gestion proprement dite de la société, qui continuera à relever de la compétence exclusive des organes de direction définis par la loi et les statuts.

Il reste que le mandataire à effet posthume exercera les droits de vote attachés aux titres inclus dans son mandat, ce qui peut lui donner des pouvoirs considérables en cas de participation majoritaire dans la société, dont il détiendra alors le contrôle «politique».

Les mesures curatives

En l’absence de mesures d’anticipation, des mesures curatives peuvent être envisagées au cas par cas selon le type de société en cause et selon les circonstances.

Par exemple, en cas d’empêchement ou de décès du dirigeant et en l’absence d’un autre dirigeant, il sera possible de solliciter auprès du tribunal de commerce la nomination d’un mandataire ad hoc ou d’un administrateur provisoire. La distinction s’opérera alors selon la nature et l’étendue de la mission qui sera conférée.

Le mandataire ad hoc sera chargé d’une mission limitativement définie, destinée à l’accomplissement d’un acte déterminé : par exemple, convoquer l’assemblée générale en vue de désigner un nouveau dirigeant s’il découle de la forme juridique de la société ou des statuts que seul un dirigeant peut convoquer une assemblée générale, ou encore exercer le droit de vote attaché à des titres en succession sur un ordre du jour précis, comme l’approbation des comptes annuels.

La mission qui sera dévolue au mandataire ad hoc impliquera nécessairement un dessaisissement partiel du gérant empêché. Celui-ci perdra la prérogative qui a été confiée au mandataire, mais il conservera par ailleurs l’ensemble des autres fonctions.

La désignation d’un administrateur provisoire implique que les missions imparties emportent dessaisissement, total ou partiel, d’un ou de plusieurs organes sociaux. L’administrateur provisoire est en effet défini comme le tiers nommé par décision de justice et chargé de se substituer aux organes sociaux en assurant la gestion des affaires sociales. Ce sera le cas par exemple si, au moment de l’empêchement du dirigeant, aucun candidat ne s’est manifesté pour reprendre la direction de la société.

Il a donc une mission provisoire de gestion et d’administration courante de la société, mais sans pour autant être investi de l’ensemble des attributions d’un organe normal de gestion.

Il pourra ainsi accomplir tous les actes relevant des obligations légales ou contractuelles courantes d’un chef d’entreprise, ceux nécessaires à la réalisation de l’objet social, ainsi que ceux exceptionnels justifiés par l’urgence. En revanche, il ne saurait accomplir tout acte qui engagerait l’avenir de la société de façon irréversible ou qui supposerait un choix politique.

Dans les deux cas, la demande pourra être formulée par tout intéressé justifiant d’un intérêt légitime, dans la mesure où il ne s’agit pas d’une action légalement réservée. A ce titre, la jurisprudence admet que l’action puisse émaner d’un créancier, d’un salarié ou d’un CAC, et même d’un préfet, de l’AMF ou du Ministère public.

Ces mesures permettent de trouver des solutions d’attente principalement en matière de gestion de la société, mais elles n’intègrent pas, ou très ponctuellement, les aspects patrimoniaux.

Il est donc prudent, pour les dirigeants, lorsque cela est possible, d’anticiper les difficultés liées aux accidents de la vie et de mettre en place les mesures de prévention décrites ci-dessus.


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