Neutralisation fiscale des réévaluations libres d’actifs : un champ d’application trop limité ?

Publié le 16 juillet 2021 à 17h04

Franck Fabro, président du groupe fiscalité de la DFCG et avocat associé chez Ha

Nos entreprises manquent de fonds propres, particulièrement dans le contexte post-Covid. Or, il est regrettable qu’elles ne puissent pas en montrer la valeur réelle, surtout si elle est sous-estimée dans les comptes. On sait les difficultés entourant les réévaluations d’actifs et surtout leur coût fiscal. Il faut donc se féliciter d’une mesure[1] permettant aux entreprises de réévaluer librement leur bilan sans fiscalisation immédiate. Cependant, cette disposition ne concerne en l’état que les actifs corporels et financiers.

La réévaluation libre des actifs permet aux entreprises d’offrir une image plus fidèle de leur patrimoine en actualisant la valeur comptable historique des éléments d’actifs immobilisés. L’opération permet ainsi de renforcer les capitaux propres et contribue à crédibiliser la solidité financière de l’entreprise.

Normalement, les opérations de réévaluation d’actifs sont susceptibles de générer une imposition immédiate de l’écart de valeur constaté, les plus-values latentes ainsi matérialisées constituant un produit imposable. Dans le contexte de la crise sanitaire, le gouvernement a souhaité déroger temporairement à cette règle afin de faciliter la réalisation de telles opérations. Un nouveau dispositif [2] récemment commenté au BOFiP[3] a donc vu le jour.

Cette mesure de neutralisation, optionnelle et temporaire, prend la forme d’un étalement de la fiscalité pour les actifs amortissables (sur 5 ou 15 ans selon la nature du bien) et d’un sursis jusqu’à la cession des biens pour les actifs non amortissables.

Conformément aux dispositions du régime classique des réévaluations libres[4], cette mesure de neutralisation ne concerne que les immobilisations corporelles et financières et ne peut donc pas s’appliquer aux actifs incorporels de l’entreprise, tels que, par exemple, une marque, un fonds de commerce, un brevet…

En pratique, le dispositif actuel permet donc uniquement la réévaluation d’immeubles ou de titres (principaux actifs corporels et financiers dont la valeur est susceptible de différer de la valeur comptable au bilan) et ne vise donc de fait que certaines sociétés et secteurs d’activité : foncières immobilières, banque/assurance, holdings… Or, les sociétés les plus touchées par la crise ne disposent le plus souvent pas de tels actifs et sont pourtant celles pour lesquelles le besoin de restaurer les fonds propres est le plus prégnant : il s’agit notamment des entreprises concernées, directement ou non, par les mesures de fermeture administrative et plus généralement des PME et ETI.

Pour ces entreprises, les actifs incorporels sont bien souvent les seuls qu’elles seraient susceptibles de réévaluer, en particulier lorsqu’ils ont été créés par elle. En effet, les marques ou les fonds de commerce ne sont en général pas valorisés au bilan alors que ces actifs ont potentiellement une valeur réelle positive, même dans un contexte dégradé par la crise sanitaire. Leur réévaluation entraînerait une amélioration corrélative des capitaux propres de ces entreprises favorisant ainsi l’accès à l’endettement ou le maintien des financements.

Il est vrai qu’il est déjà possible de réévaluer les actifs incorporels lorsque ceux-ci sont détenus par l’intermédiaire d’une société dont les titres entrent dans le champ d’application du dispositif de réévaluation existant. En effet, dans ce cas, les actifs incorporels sous-jacents viennent augmenter la valeur des titres ainsi réévalués. Cela n’est en revanche possible qu’au prix d’une certaine structuration et est donc réservé à des groupes d’une certaine taille qui, pour la plupart, tiennent une comptabilité consolidée permettant déjà de refléter au moins partiellement la juste valeur des actifs incorporels en particulier à l’occasion d’une acquisition[5].

Avec quelques précautions sur les critères de réévaluation des incorporels, comme la sélection des actifs éligibles et l’encadrement de leur évaluation, une telle extension de la mesure pourrait avoir un intérêt pour les PME/ETI pour lesquels les comptes sociaux constituent souvent la principale information à l’égard des tiers (créanciers, banques).

En raison de la crise sanitaire, l’Italie a également mis en place un régime temporaire de taxation réduite de l’écart de réévaluation des actifs qui offre la possibilité d’inclure les actifs incorporels. Une initiative similaire de la France ne serait donc pas isolée au sein de l’UE.

Un tel élargissement supposerait des modifications législatives mais n’entraînerait vraisemblablement aucune perte de recettes pour le Trésor.

[1] Issue de la loi de finances pour 2021.

[2] Art. 238 bis JB du Code général des impôts.

[3] BOI-BIC-PVMV-40-10-60-30 du 09/06/21.

[4] Art. L. 123-18 du Code de commerce (depuis 1984).

[5] Via la constatation d’un goodwill.

Franck Fabro, président du groupe fiscalité de la DFCG et avocat associé chez Ha

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