Interdiction des pratiques fiscales abusives au sein de l’UE : le regrettable désaveu de M. Poiares Maduro

Publié le 22 mars 2019 à 15h57

Laurent Olléon

En 2006, dans son célèbre arrêt Halifax1, la CJUE avait jugé que le principe général qui interdit aux justiciables de se prévaloir abusivement du droit de l’Union européenne s’applique bien entendu à la matière fiscale, en l’occurrence le système commun de TVA. Et la Cour avait appliqué sa définition de la pratique abusive, qui suppose que deux critères soient remplis. Premièrement, un contribuable ne peut revendiquer un avantage prévu par le droit de l’Union lorsque les conditions pour en bénéficier ne sont que formellement remplies, mais que la réalité de l’opération est contraire aux finalités de cet avantage.

S’agissant du second critère, l’avocat général Miguel Poiares Maduro avait, dans de brillantes conclusions auxquelles l’arrêt se réfère, affirmé que l’acte écarté sur le terrain du principe général doit avoir un but exclusivement fiscal. Tout en rappelant que l’Union européenne et les Etats membres peuvent adopter des législations autorisant la remise en cause, par l’administration, d’actes à visée essentiellement fiscale, il soulignait que la possibilité reconnue au fisc de contester de tels actes sur le fondement d’un principe non écrit octroierait au fisc un pouvoir d’appréciation beaucoup trop vaste pour déterminer quel est l’objectif prédominant d’une opération.

Par la suite, des nuages sombres s’étaient accumulés lorsque la CJUE avait semblé s’écarter de cette ligne claire pour faire entrer dans le champ du principe général d’interdiction les actes à but essentiellement fiscal. Ces arrêts ayant été suivis ou précédés de décisions qui réaffirmaient l’exigence d’un but exclusivement fiscal, la sécurité juridique semblait préservée.

Par un arrêt rendu en grande chambre le 26 février dernier2, la CJUE a douché ces espoirs, en jugeant que le principe général s’applique tant aux opérations à but exclusivement fiscal que lorsque la recherche d’un avantage fiscal en constitue le but essentiel. Elle a également rappelé qu’il incombe aux Etats membres d’appliquer ce principe, même en l’absence, dans leur droit, de tout texte général ou spécifique autorisant la répression des pratiques fiscales abusives.

En s’écartant des sages préconisations de M. Poiares Maduro sans indiquer comment il convient – en dehors de l’hypothèse bien connue des montages artificiels – d’apprécier l’existence d’une opération à but essentiellement fiscal, la CJUE a pris un risque : celui de porter atteinte à la sécurité juridique, élément clé de l’attractivité économique de l’Union européenne.

1 . CJUE 21 février 2006, aff. C-255/02, Halifax e.a.

2 . CJUE 26 février 2019, aff. C-116/16 et C-117/16, Skatteministeriet c/T Danmark et Y Denmark Aps.

Laurent Olléon

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