La lettre des fusions-acquisition et du private equity

La lettre des fusions-acquisitions et du private equity - Juin 2020

Analyse des impacts de la pandémie de Covid-19 sur le marché du M&A

Publié le 12 juin 2020 à 11h44

Christophe Blondeau, Laurent Hepp et Louis-Nicolas Ricard

Le printemps épidémique aura chassé tristement l’hiver lucide sur le marché du M&A qui, déjà à la fin de l’année 2019, se préparait à une année moins dynamique en raison des incertitudes liées au contexte international et d’un léger ralentissement de l’économie. Ces perspectives ont été radicalement aggravées par la survenance de la pandémie de Covid-19 et ses conséquences ayant conduit au confinement de plusieurs économies.

Par Christophe Blondeau, avocat associé en corporate/fusions et acquisitions, couvrant l’ensemble des questions relatives aux opérations transactionnelles christophe.blondeau@cms-fl.com / Laurent Hepp, avocat associé en fiscalité et membre de l’Executive Committee de CMS. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity. laurent.hepp@cms-fl.com / et Louis-Nicolas Ricard, Professional Support Lawyer en corporate/fusions et acquisitions. louis-nicolas.ricard@cms-fl.com

Hier, le marché des fusions-acquisitions était en proie au choc économique de la pandémie avec une baisse considérable du volume des transactions. Le rythme de l’activité s’en est trouvé directement affecté, avec un grand nombre de négociations interrompues ou suspendues et des opérations en phase de closing sujettes à une variété de configurations impliquant des révisions financières. 

Ainsi, après une augmentation constante sur une dizaine d’années, le marché mondial du M&A a baissé de 39,1 % en valeur au premier trimestre 2020 par rapport à la même période en 2019, avec environ 563,7 milliards de dollars de deals, selon les données de Mergermarket. Dans ce contexte, l’étude fait état des possibilités offertes par le private equity où les fonds d’investissement disposent toujours d’importants montants de liquidités disponibles et d’un niveau de confiance qui ne devrait pas chuter comme en 2008, la crise actuelle affectant en première ligne les entreprises. Les valorisations des sociétés cibles de fusion ou d’acquisition sont néanmoins déjà en déclin. Leur niveau correspond aujourd’hui au niveau médian de 2014, soit 10,7 fois le résultat d’exploitation (Ebitda), contre un multiple de 11,3 fois l’an dernier. Ce recul est plus marqué en Europe (8,8 fois) qu’aux Etats-Unis (10,5 fois). Mêmes causes, mêmes effets sur le segment des PME pour lequel l’indice de référence Argos Wityu est passé en un trimestre de 10,3 fois l’Ebitda à 9,3 fois. Sur le marché européen, les mesures sanitaires mises en place en mars 2020 pour contrôler la propagation du Covid-19 ont entraîné le plus faible volume trimestriel de rachat dans la région, avec 203 transactions évaluées à 48,9 milliards d’euros, depuis le 1er trimestre 2006 (173 transactions, 11,2 milliards d’euros), toujours d’après Mergermarket. Tirant la comparaison avec le prisme de la crise de 2008, qui avait vu une baisse d’activité de près de 70 % en 2009, les analystes estiment qu’une chute similaire ne peut être exclue dans les prochains mois, confirmant ainsi le pronostic d’un inévitable ralentissement. 

Aujourd’hui, la réouverture des économies est toutefois susceptible d’offrir un vivier d’opportunités stratégiques variées aux investisseurs. En pratique, on constate en effet de fortes disparités de situations selon les secteurs affectés et les aides mises en place. Les industries agroalimentaires, de la distribution et de la santé ont semblé bien résister, contrairement à l’aérien ou la restauration collective. Les industries des technologies, media et télécommunications devraient quant à elles focaliser l’attention des futures opérations. En réaction, les acteurs économiques font déjà preuve d’efforts d’adaptation à la réalité de la crise mondiale dans leurs projections futures, le scénario de reprise s’orientant désormais vers une forte baisse suivie d’un rétablissement douloureusement lent1. Selon la Banque de France, alors qu’en mars 2020, lors des deux premières semaines de confinement, la production française (PIB) avait reculé de 32 %, cette baisse a été limitée à 27 % en avril et ce chiffre pourrait, fin mai 2020, regagner encore une dizaine de points d’activité selon certaines prévisions. 

En France, au terme d’une période de confinement d’un peu moins de deux mois (du 17 mars au 11 mai 2020), le marché du M&A semble en définitive s’ouvrir à la faveur d’un nouveau cycle. Avec l’émergence d’opérations de distressed M&A, impliquant des entreprises en procédures collectives confrontées à des difficultés de trésorerie, et une probable évolution du marché vers une tendance plus favorable aux acheteurs, marquée par une recrudescence de mécanismes d’ajustement de prix sur des critères objectifs et chiffrés et une attention minutieuse à la prise en compte des circonstances exceptionnelles dans les négociations, les pratiques transactionnelles semblent elles aussi être appelées à s’adapter aux ricochets de cette crise exceptionnelle, qui rebat fortement les cartes. En matière de distressed M&A, il conviendra d’appréhender correctement la complexité des enjeux juridiques de responsabilité pour le vendeur et l’acquéreur et de prendre les précautions nécessaires sur le plan juridique. A cet égard, l’actualisation du guide expert multi-juridictionnel CMS à destination des dirigeants et mandataires sociaux fait état de la nécessité, pour ces derniers, de répondre spécifiquement aux défis posés par les difficultés de trésorerie, de responsabilité ou de gestion de la logistique et de tenir compte, le cas échéant, du large éventail de mesures d’aides mises à disposition par le Gouvernement (délais de paiement, remises d’impôts directs, maintien de l’emploi dans les entreprises par le dispositif de chômage partiel simplifié et renforcé, fonds de solidarité, prêts garantis par l’Etat – PGE –,  etc.)2. En matière de clause de prix, le marché jusqu’alors fortement pro-vendeurs devrait se rééquilibrer assez nettement en faveur des acheteurs. Les premières victimes de ce rééquilibrage devraient être les clauses de locked-box qui vont sans doute assez largement laisser leur place aux divers mécanismes d’ajustement de prix et d’earn-out. Si cette évolution se confirme, elle marquera un contraste net avec les chiffres publiés à l’occasion de l’édition 2020 de l’étude CMS sur les fusions-acquisitions en Europe, qui a observé en 2019 une baisse continue des clauses d’ajustement de prix, avec un ratio à 45 % sur l’ensemble des opérations, soit un pour cent de plus que l’année précédente, mais significativement en dessous du niveau moyen des trois dernières années3. L’autre challenge des négociations à venir sera la gestion de l’incertitude dans un monde qui a montré que tout peut se retourner très vite. D’âpres discussions seront à prévoir sur le terrain sensible des clauses de Material Adverse Change (MAC), de période intercalaire et des conditions suspensives de financement qui avaient quasiment disparu des accords ces derniers temps. De même, la question des garanties contractuelles se posera au gré de l’évolution du rapport de force entre acheteurs et vendeurs, que ce soit au stade des déclarations et garanties entre signing et closing, des mécanismes de sécurisation de paiement du garant, ou encore de la possible adaptation de l’offre de police d’assurance de garantie de passif.

L’autre surprise de cette crise réside dans l’accélération de la digitalisation des processus transactionnels, déjà identifiée parmi les tendances à la hausse dans un nombre important d’opérations recensées dans le cadre de l’étude CMS sur les fusions-acquisitions en Europe précitée. En particulier, parce qu’elle offre la même force probante que l’écrit sur support papier, sous réserve de remplir les deux conditions cumulatives prévues par le Code civil (identification du signataire et stockage du support électronique dans des conditions garantissant son intégrité), la signature électronique et ses trois différents niveaux de sécurité (règlement eIDAS, n° 910/2014, 23 juillet 2014) se sont installés comme un standard durable de place de même que les outils de conférence permettant le partage et le travail en direct à distance de documents. 

1. Why the Economic Recovery Will Be More of a ‘Swoosh’ Than V-Shaped, Wall Street Journal,

11 May 2020.2. CMS Expert Guide for Directors of Companies, 12 mai 2020. – V. égal. CMS Expert Guide to Stabilisation and Restructuring Initiative, 11 mai 2020.3. CMS European M&A Study 2020, mars 2020.


La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Covid-19 : impacts sur les opérations de M&A

Bruno Dondero

Qui imaginait, quelques semaines avant la mise en place du confinement, que notre pays tout entier serait placé quasiment sans préavis en état de stase économique et sociale ? Les professionnels du M&A sont certes habitués à l’inhabituel, au sens où leur métier les conduit à négocier couramment des clauses envisageant le sort de l’opération en cas de survenance d’un événement imprévu. Lorsque leur pratique est internationale, ces professionnels ont croisé leur lot de mesures d’embargo, de guerres civiles ou de guerres tout court, ou bien encore, déjà, d’épidémies.Mais il est tout de même difficile d’accueillir de manière impassible une crise sanitaire mondiale imbriquée dans une crise économique de même calibre.

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