La lettre de l'immobilier

Lettre de l'immobilier Novembre 2023

Immobilier responsable & fiscalité

Publié le 27 novembre 2023 à 8h30

CMS Francis Lefebvre

L’immobilier responsable est synonyme d’investissements, dont le poids n’est toutefois pas compensé par des mesures fiscales incitatives, hormis dans le secteur du logement (I). Par ailleurs, les contraintes de verdissement de l’immobilier impactent sensiblement la valorisation des actifs, sujet de discussion qui connaît un regain en matière fiscale (II).

Par Anne-Sophie Rostaing, avocat associé en fiscalité, Alexis Bussac, avocat counsel en fiscalité, et Gaëtan Berger-Picq, avocat associé en fiscalité

I – Le logement favorisé, au détriment de l’immobilier tertiaire

Force est de constater que les mesures fiscales en vigueur en faveur de l’immobilier « responsable » (entendu sous l’angle social et environnemental) se concentrent quasi exclusivement sur le logement.

En matière d’impôts directs

– Pour les sociétés, le dispositif de l’article 210 F du Code général des impôts (CGI) permet de bénéficier d’un taux réduit d’imposition (19 %) lors de la cession de locaux professionnels destinés à être transformés en logements. Cet avantage fiscal, réservé aux opérations réalisées en zones tendues, n’est toutefois conditionné ni à la création de logements sociaux, ni à l’atteinte de critères environnementaux. 

– Pour les particuliers, un dispositif similaire est prévu à l’article 150 U, II, 7° du CGI : il consiste en une exonération des plus-values de cession d’immeubles réalisées au profit d’organismes chargés du logement social ou de tout autre acquéreur qui s’engage à réaliser des logements sociaux ou objet d’un bail réel et solidaire. Cet avantage fiscal n’est pas soumis à l’atteinte de critères environnementaux, ni zoné, mais devrait être élargi aux logements du secteur intermédiaire dans les zones tendues dans le cadre du PLF 2024.

– Les diverses mesures qui se sont succédé pour soutenir l’investissement locatif (dispositifs Périssol, Besson, Robien, Scellier, Duflot, Pinel, Denormandie, etc. ), en octroyant une réduction d’impôt aux particuliers faisant l’acquisition d’un bien neuf ou à réhabiliter pour l’offrir en location longue moyennant un loyer encadré, ont en revanche été progressivement recentrées et verdies. Ainsi, le dispositif « Pinel+ », qui maintient après 2022 le taux des réductions d’impôt de 12 ou 18 % prévues par le dispositif Pinel d’origine (article 199 novovicies du CGI), est désormais réservé aux logements situés dans un quartier prioritaire de la politique de la ville, ou à ceux répondant à des critères renforcés de performance énergétique et environnementale et de confort minimal.

NB : les dispositifs mentionnés ci-dessus, censés prendre fin au 31 décembre 2023, devraient être prorogés par le PLF 2024.

Dans le secteur de l’immobilier industriel ou tertiaire, la multiplication des contraintes juridiques et normes environnementales (zéro artificialisation nette, verdissement des nouvelles constructions) ne s’est traduite a contrario par aucune mesure d’accompagnement fiscal ad hoc.

Tout au plus peut-on souligner une volonté d’inciter fiscalement à l’implantation d’entreprises dans certaines zones (territoires ruraux ou en reconversion, politique de la ville) par le biais d’allègements temporaires d’impôt sur les sociétés, mais qui n’encouragent pas spécifiquement l’immobilier et qui ne sont pas « éco-conditionnés ».

Une lueur d’éclaircie cependant : le crédit d’impôt pour les investissements en faveur de l’industrie verte, mesure phare du PLF 2024, pourra être revendiqué pour les dépenses d’acquisition d’actifs immobiliers réalisées dans les secteurs visés par la nouvelle mesure (installations destinées à la production de batteries, de panneaux solaires, de turbines éoliennes et de pompes à chaleur).

En matière d’impôts locaux

Le constat est identique : les principales mesures sont centrées sur les particuliers et le secteur du logement, au détriment des locaux industriels ou tertiaires.

Pour inciter les propriétaires de logements anciens et neufs à investir dans l’efficacité énergétique, les articles 1383-0 B et 1383-0 B bis du CGI permettent aux communes d’accorder une exonération de taxe foncière (« TF ») de 50 % ou 100 %. Pour les logements anciens achevés avant le 1er janvier 1989, les dépenses admissibles englobent notamment des équipements favorisant les économies d’énergie (isolation thermique ...). L’exonération s’étend sur 3 ans à partir de l’année suivant le paiement des dépenses. Pour les logements neufs achevés après le 1er janvier 1989, les dépenses doivent correspondre au label BBC 2005. L’exonération prend effet l’année suivant l’achèvement de la construction et s’étend sur la période de 2024 à 2028, avec une durée minimale de 5 ans. 

En complément, le PLF 2024 prévoit d’instaurer un régime d’exonération de TF pour les logements sociaux ayant subi des travaux de rénovation lourde. Cette exonération durerait en principe 15 ans (prolongeable à 25 ans). Les critères incluent l’ancienneté des logements, l’obtention d’un prêt réglementé ou d’une convention de logement social depuis quarante ans et un niveau initial de performance énergétique (classes F ou G). Une décision d’agrément est nécessaire, autorisant des travaux respectant des critères stricts.

La fiscalité locale des locaux professionnels a perdu de vue toute considération écologique.

Pour les locaux industriels, les bases imposables à la TF et à la CFE (cotisation foncière des entreprises) sont calculées en appliquant un coefficient au prix de revient de leurs immobilisations foncières : les investissements fonciers en faveur des installations antipollution augmentent donc les bases imposables. Pour atténuer cet impact, l’article 1518 A du CGI prévoit une réduction de 50 % à 100 % des valeurs locatives pour les installations antipollution, subordonnée à leur éligibilité à l’amortissement exceptionnel prévu aux articles 39 AB ou 39 quinquies DA du CGI ; or, les installations visées par l’article 1518 A n’y sont plus éligibles depuis le 1er janvier 2011, de sorte que les nouvelles installations antipollution ne bénéficient plus d’aucun abattement depuis cette date. 

Pour les locaux commerciaux, les bases imposables à la TF et à la CFE sont calculées selon une méthode tarifaire, consistant à appliquer des tarifs issus d’une grille départementale aux surfaces pondérées des locaux. Ces tarifs sont établis sur la base des loyers moyens pour chacune des 38 catégories légales d’activité. Toutefois, cette grille se base uniquement sur l’utilisation des locaux et les loyers moyens, et ne prend pas en compte les qualités environnementales des constructions.

En matière de TVA

Là encore, les principales mesures destinées à inciter à l’adoption de comportements respectueux de l’environnement concernent les logements et se traduisent souvent par le bénéfice d’un taux réduit, bien que plusieurs études récentes permettent de douter de leur efficacité.

Ainsi, les travaux d’amélioration de la qualité énergétique des locaux à usage d’habitation achevés depuis plus de 2 ans bénéficient, sous certaines conditions, du taux réduit de 5,5 %. Il s’agit des travaux portant sur la pose, l’installation et l’entretien des matériaux et équipements mentionnés à l’article 200 quater, 1 du CGI, lorsqu’ils respectent des caractéristiques techniques et des critères de performance minimale fixés par l’article 18 bis de l’annexe IV au CGI. Bénéficient également de ce taux les travaux induits, indissociablement liés aux travaux de pose, d’installation ou d’entretien des matériaux et équipements susvisés. En revanche, sont exclus du taux réduit et doivent être soumis au taux normal les travaux réalisés sur une période de 2 ans ou plus, qui concourent à la production d’un immeuble neuf ou augmentant la surface de plancher des locaux existants de plus de 10 %.

Le PLF 2024 tend par ailleurs à favoriser la réhabilitation lourde du parc locatif social ancien au lieu d’une démolition-reconstruction, plus consommatrice en carbone. Elle envisage pour cela de taxer à 5,5 % les livraisons à soi-même des travaux immobiliers qui répondent à plusieurs conditions cumulatives tenant notamment à un achèvement des logements depuis plus de quarante ans, appartenant à un organisme d’habitations à loyer modéré ou étant géré par un tel organisme, sous réserve d’avoir été construits, améliorés, acquis ou améliorés avec le concours financier de l’Etat. Seuls sont éligibles les travaux conduisant à transformer des logements très peu performants ou extrêmement peu performants en logements extrêmement performants ou très performants.

L’immobilier tertiaire est, pour sa part, souvent indifférent aux questions de taux de TVA car il est généralement affecté à la réalisation d’opérations ouvrant droit à déduction de cette taxe. Le coût final des dépenses le concernant est alors le montant HT, quel que soit le taux de la TVA.

Difficile d’identifier la moindre règle de TVA susceptible de favoriser la conservation des éléments existants lors de la réalisation de travaux. La mise au rebut est dispensée de toute régularisation de la taxe antérieurement déduite et il n’est pas pénalisant (ni avantageux) de démolir plutôt que de conserver. Même constat pour le choix des nouveaux matériaux, dont la charge de TVA est identique qu’ils soient issus du recyclage ou non.

La réalisation de travaux importants n’est pas neutre, car elle peut conduire à la réalisation d’un immeuble neuf au regard de la TVA, avec un régime de droits de mutation plus favorable que celui d’un immeuble ancien. Les opérateurs procédant à une restructuration prennent donc généralement en compte ce critère, qui peut les inciter à alourdir le programme de travaux pour atteindre la qualification d’immeuble neuf. La TVA peut alors jouer un rôle contraire aux intérêts environnementaux en poussant à la consommation. Son importance doit néanmoins être relativisée, car les critères de qualification sont spécifiques et certains d’entre eux permettent de produire un immeuble neuf en réalisant des travaux relativement limités, notamment sur les seuls éléments de second-œuvre.

II - Normes RSE et valorisation des actifs : de la « prime verte » à la « décote brune »

De nombreuses études ont récemment cherché à quantifier le phénomène de « prime verte / décote brune », terminologie qui illustre le fait que les bâtiments « verts » (ceux qui atteignent ou dépassent les exigences d’éco-responsabilité) peuvent en général prétendre à une rentabilité supérieure à celle du marché, que l’on se place sur le terrain des loyers ou celui du prix de vente des actifs et sont plus liquides ; alors que les bâtiment «  bruns » (ceux présentant de mauvaises performances énergétiques ou n’affichant pas certaines certifications environnementales) se heurtent à des difficultés de location et de commercialisation et perdent de la valeur. 

Une étude de l’OID parue en février 2022, a décomposé l’impact de ce phénomène en fonction des réglementations, en vigueur ou à venir, au regard des principaux éléments de valorisation des actifs (niveau de loyers, niveau de prix de vente, liquidité financière, transactionnelle et locative).

Si la prime verte est une tendance qui devrait s’estomper avec le temps (le bâtiment vert devenant la nouvelle norme), la décote brune devrait devenir plus marquée pour les actifs ne respectant pas la norme, qu’elle soit obligatoire ou simplement représentative de standards attendus par le marché.

Or, le terrain de la dépréciation des actifs immobiliers recèle un fort potentiel de discussion avec l’administration fiscale. La tendance actuelle des contrôles fait en effet apparaître que les services vérificateurs rejettent de plus en plus souvent les provisions pour dépréciation d’actifs immobiliers que les contribuables déterminent en utilisant les méthodes classiques de valorisation des immeubles de placement (méthode par actualisation des flux futurs -DCF- ou par capitalisation).

L’un des principaux motifs avancés par l’administration tient à ce que l’utilisation de ces méthodes reviendrait à provisionner une baisse de revenus futurs, plutôt qu’une réelle dépréciation de l’actif. 

Une telle position procède d’une méconnaissance des méthodes de valorisation des actifs immobiliers tertiaires, qui sont utilisées systématiquement, sinon de manière exclusive, pour fixer le prix des actifs dans le cadre de transactions entre tiers. Elle laisse en outre le débat sans solution à l’égard de ces actifs pour lesquels la méthode par comparaison est inutilisable, faute de comparables pertinents.

Les méthodes DCF ou par capitalisation intègrent à l’inverse un grand nombre de critères (loyers en vigueur et anticipés, loyers de relocation, vacance et risque de relocation, avantages accordés aux locataires, pourcentage d’impayés et de charges refacturées aux locataires, dépenses d’exploitation et travaux, accessibilité de l’actif, qualité du mix locataires, etc.) qui garantissent leur fiabilité et font qu’elles resteront, sans nul doute, les mieux adaptées pour matérialiser la dépréciation des actifs qui ne s’inscriraient pas dans la trajectoire de « l’immobilier responsable ».

Retrouvez tous les trimestres la Lettre de l'Immobilier avec notre partenaire, CMS Francis Lefebvre.
CMS Francis Lefebvre est l’un des principaux cabinets d’avocats d’affaires français, dont l'enracinement local, le positionnement unique et l'expertise reconnue lui permettent de fournir des solutions innovantes et à haute valeur ajoutée en droit fiscal, en droit des sociétés et en droit du travail. 

 

Au sommaire de la lettre


La lettre de l'immobilier

Financer l’immobilier durable, à la poursuite d’un standard harmonisé

CMS Francis Lefebvre

Si l’adoption de la taxonomie européenne propose une première piste unifiée pour appréhender l’aspect durable sur le plan environnemental de certaines activités économiques au regard de leur finalité, les initiatives d’établissement de labels et autres classifications, qu’elles soient nationales ou européennes, ne manquent pas. Au-delà de l’obtention du qualificatif « durable » ou « vert » de ces activités, l’enjeu est de flécher les capitaux et le financement vers ces secteurs.

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