La lettre de l'immobilier

Dossier : L’implantation d’infrastructures sur sol d’autrui

L’exemple des bornes de recharge de véhicules électriques, enjeux juridiques et fiscaux

Publié le 23 septembre 2022 à 15h23

CMS Francis Lefebvre    Temps de lecture 8 minutes

Le déploiement des infrastructures de recharge de véhicules électriques (IRVE), notamment les bornes de recharge, est un bon exemple d’implantation d’infrastructures sur sol d’autrui. 

Par Armelle Abadie, avocat associé en fiscalité.  armelle.abadie@cms-fl.com / Aurore-Emmanuelle Rubio, avocat counsel en droit de l’énergie. Elle accompagne les opérateurs économiques (industriels, établissements bancaires et financiers, opérateurs publics) dans leurs projets dans le secteur de l’énergie (conseil règlementaire, négociation contractuelle, contentieux). aurore-emmanuelle.rubio@cms-fl.com

Ces IRVE ont vocation à se déployer partout où il est nécessaire de recharger un véhicule : domicile ou lieu de travail sur un temps long, lieux de stationnement comme les parkings de centres commerciaux sur un temps plus court ou autres lieux d’arrêt ponctuel et bref (moins de 30 mn) comme les aires d’autoroutes, et donc sol d’autrui. 

Ce développement ne préjuge pas de la nature des infrastructures quant à leur caractère ouvert ou non ouvert au public. En effet, les bornes développées sur le sol d’autrui peuvent être indifféremment des bornes dites « ouvertes au public » ou non. Le décret n° 2017-26 du 12 janvier 2017 relatif aux infrastructures de recharge pour véhicules électriques précise qu’une borne de recharge est dite « ouverte au public » lorsque les utilisateurs y ont accès de façon non discriminatoire, que la borne soit exploitée par un opérateur public ou privé et qu’elle soit sur un terrain public ou privé. L’accès non discriminatoire n’interdit pas d’imposer certaines conditions en termes d’autorisation, d’authentification, d’utilisation et de paiement. Est notamment considérée comme une borne ouverte au public une borne dont l’emplacement de stationnement est physiquement accessible au public (par exemple un parking de centre commercial), y compris moyennant une autorisation ou le paiement d’un droit d’accès. A contrario, n’est pas considérée comme une borne de recharge ouverte au public une borne installée dans un bâtiment d’habitation privé ou dans une dépendance d’un bâtiment d’habitation privé et exclusivement réservé aux résidents.

Les différents modèles d’affaires

Si plusieurs modèles d’affaires coexistent, il est désormais courant que le déploiement de ces bornes passe par la mise à disposition du foncier à un opérateur « pure player » qui implantera et exploitera directement la borne, en tant qu’opérateur d’IRVE. Le financement des bornes sera alors à la charge de cet opérateur d’IRVE. Lorsque l‘implantation intervient sur le domaine public, une permission de voirie délivrée par le gestionnaire du domaine est nécessaire. Le pétitionnaire sollicitant dans ce cas une autorisation d’occupation domaniale en vue d’y exercer une activité économique, la procédure d’octroi devra se conformer aux prescriptions de l’article L.2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, notamment en ce qui concerne la procédure de sélection de l’occupant, sous réserve des exceptions posées à l’article L.2122-1-2 du même code. Mais il aussi est fréquent que l’installation des bornes se fasse à la suite d’une manifestation d’intérêt spontanée d’un opérateur : dans cette hypothèse une publicité suffisante doit être organisée afin de s’assurer de l’absence de manifestation d’intérêt concurrente (article L.2122-1-4 du Code général de la propriété des personnes publiques). Cela étant, l’analyse des modèles d’affaires portés par les collectivités locales lors de la mise en œuvre de leur compétence IRVE laisse apparaître une grande hétérogénéité dans le choix des montages contractuels (convention d’occupation domaniale, marché public, concession (1)). De même, lorsque le foncier appartient à un propriétaire privé, ce dernier met une partie de son terrain à disposition de l’opérateur qui y installera les bornes de charge et les exploitera, sans pour autant devenir propriétaire de la borne de recharge ni, en principe, bénéficier des revenus tirés de la charge des véhicules. En contrepartie de cette mise à disposition, le propriétaire foncier percevra un loyer. L’utilisateur final paiera directement l’opérateur « pure player » (ou un opérateur de mobilité qui se serait interfacé). 

Un autre modèle coexiste, qui est celui du financement direct de la borne par le propriétaire du foncier. Dans ce cas, l’intéressé acquiert la propriété des bornes et supporte le coût de leur installation, de leur entretien et de leur exploitation, en passant éventuellement par un opérateur privé pour cette exploitation. Il peut alors tirer des revenus de l’utilisation de la borne. Lorsque ce sont des personnes publiques qui souhaitent directement installer, entretenir et exploiter des bornes de recharge, elles doivent démontrer l’inexistence, l’insuffisance ou l’inadéquation de l’offre privée sur leur territoire conformément aux dispositions de l’article L.2224-37 du code général des collectivités territoriales. Par ailleurs, le législateur a ouvert, avec la loi n° 2014-877 facilitant le déploiement d’un réseau d’infrastructures de recharge de véhicules électriques sur l’espace public, la possibilité à l’Etat ou à tout opérateur de  créer, entretenir et exploiter sur le domaine public de l’Etat, des collectivités territoriales ou de leurs groupements un réseau d’infrastructures nécessaires à la recharge de véhicules électriques sans être tenu au paiement d’une redevance, si l’opération s’inscrit dans un projet de dimension nationale. Les conditions du bénéfice de l’exonération de la redevance ont été précisées par le décret n°2014-1313 du 31 octobre 2014. 

La problématique des raccordements

En termes de raccordement au réseau électrique, le fait d’être sur le sol d’autrui ne pose pas de difficulté particulière, les bornes pouvant, depuis la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités dite « loi LOM » codifiée à l’article L.353-8 du Code de l’énergie, être raccordées directement ou indirectement au réseau public d’électricité lorsque le point de soutirage du demandeur au raccordement n’est pas sur le réseau de distribution publique d’électricité mais sur une installation privative. Dans ce cas, l’opérateur de l’IRVE aura toute latitude pour choisir le fournisseur d’électricité de son choix, et un dispositif de décompte sera installé par le gestionnaire de réseau en application de l’article L.353-9 du Code de l’énergie. 

Du point de vue fiscal, le taux de TVA applicable à l’implantation de bornes de recharge pour les véhicules électriques n’a, à ce jour, pas été clarifié par le législateur, malgré une tentative du Sénat de confirmer l’application du taux réduit aux « travaux de pose, d’installation et d’entretien d’infrastructures de recharge pour véhicules électriques dans les locaux d’habitation » (2). 

Zoom sur les enjeux de TVA

La question se pose donc de savoir si ces prestations peuvent bénéficier du taux de 5,5 % prévu à l’article 278-0 bis A du CGI pour les travaux d’amélioration de la qualité énergétique des locaux à usage d’habitation achevés depuis plus de deux ans, ainsi que les travaux induits qui leur sont indissociablement liés. Ce texte renvoie à l’article 200 quater 1,i) du CGI, dans sa rédaction antérieure à celle résultant de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, et à l’annexe 18 bis de l’annexe IV au CGI, qui visent les matériaux et équipements respectant des caractéristiques techniques et des critères de performance minimale fixés par arrêté du ministre chargé du budget. C’est donc par renvoi aux textes régissant le crédit d’impôt pour la transition énergétique que le taux de TVA applicable aux bornes de recharge électrique est défini. 

La doctrine administrative commentant ces textes précise, quant à elle, que les systèmes de charge visés pour l’application de ce crédit d’impôt doivent s’entendre comme « des bornes de recharge pour véhicules électriques installées à perpétuelle demeure »3 . En revanche, les bornes de recharge pour véhicules électriques ne sont pas expressément visées par la doctrine administrative relative à la TVA (à jour au 25 février 2014). C’était l’objectif de l’amendement sénatorial, présenté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, de venir définir sur le plan juridique, dans une optique de simplification et de clarification, un champ autonome du périmètre du taux réduit de la TVA, affranchi des références au CITE. On ne peut que regretter, pour la sécurité juridique des acteurs du secteur, que cet amendement n’ait pas été adopté. 

1. Voir François Tenailleau, Déploiement de l’infrastructure de charge publique et modèle concession, article paru dans la revue de l’Institut de gestion déléguée (IGD) de juin 2021. 

2. Amendement n°I-1229 adopté par le Sénat déclaré irrecevable – Projet de loi de finances pour 2021.

3. BOI-IR-RICI-280-10-30 n°630-21/06/2019


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