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Séisme en matière de livraison d’immeubles : le régime prévu par l’article 257 bis du CGI ne s’applique pas aux cessions d’immeubles anciens

Publié le 23 septembre 2022 à 15h03

CMS Francis Lefebvre    Temps de lecture 5 minutes

Par Armelle Abadie, avocat associé en fiscalité. armelle.abadie@cms-fl.com

Le régime de neutralisation de la TVA prévu par l’article 257 bis du Code général des impôts (CGI) vient d’être sérieusement restreint par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 31 mai 2022 (n°451379, SA Anciens établissements Georges Schiever et fils). Ce dernier a en effet jugé qu’une cession d’immeuble achevé depuis plus de cinq ans, qui est une opération exonérée de TVA depuis le 11 mars 2010 (et hors du champ d’application de cette taxe précédemment), ne peut pas être regardée comme une transmission d’universalité de biens dispensée de TVA en application de l’article 257 bis du CGI dans la mesure où une telle dispense ne peut bénéficier qu’à une opération taxable à la TVA. 

Une terminologie différente dans le texte français et le texte communautaire…

Pour justifier cette analyse, le Conseil d’Etat, éclairé par les conclusions de son rapporteur public, considère que l’article 5 §8 de la sixième directive (devenu l’article 19 de la Directive 2006/112/CE) a été transposé de manière restrictive en droit français. Le texte communautaire précité prévoit que les Etats membres peuvent considérer qu’en cas de transmission à titre onéreux ou à titre gratuit […] d’une universalité totale ou partielle de biens, « aucune livraison de biens n’est intervenue ». L’article 257 bis du CGI emploie le terme « dispense de TVA », ce qui permet au Conseil d’Etat de limiter l’application de ce texte aux seules ventes taxables, à l’exclusion des ventes exonérées de TVA entraînant en principe des régularisations de TVA antérieurement déduite (dont le vendeur est pourtant dispensé conformément à l’article 207-III-4-1° de l’annexe II au CGI lorsque les conditions d’application de l’article 257 bis du CGI sont réunies). 

L’on ne peut que regretter l’interprétation retenue par le Conseil d’Etat. Outre qu’elle va à l’encontre de l’intention du législateur qui faisait expressément référence à la non-imposition des opérations lors des débats parlementaires (la lecture du rapport au Sénat de M. Philippe Marini déposé le 14 décembre 2005 ne laisse aucun doute), elle ne procède pas à une interprétation conforme à la Directive de l’article 257 bis du CGI (contrairement au principe d’interprétation conforme dégagé par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans les affaires C-80/86 du 8 octobre 1987 et C-152/84 du 26 février 1986, et repris par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 22 décembre 1989 « Cercle militaire mixte de la Caserne Mortier ».) Il résulte de ce principe qu’une juridiction nationale est tenue de prendre en considération l’ensemble des règles du droit national et de les interpréter, à la lumière du texte ainsi que de la finalité de la Directive, pour aboutir à une solution conforme à l’objectif poursuivi par celle-ci. A défaut, pour le Conseil d’Etat, d’avoir fait application de ce principe, l’on ne peut que constater l’incompatibilité de l’article 257 bis du CGI avec la Directive TVA. 

… dont le constat n’était pas nécessaire pour rejeter les prétentions de la requérante

Nul n’était cependant besoin de recourir à cette substitution de motifs pour rejeter le pourvoi de la requérante. En effet, la société SA Anciens établissements Georges Schiever et fils avait cédé un ensemble immobilier à une société marchand de biens, revendant le jour-même les biens à un opérateur qui allait poursuivre l’activité précédemment réalisée en TVA. Les modalités de cette cession ne respectaient pas les conditions d’application de l’article 257 bis du CGI, comme l’avait relevé la cour administrative d’appel de Lyon (4 février 2021, n°18LY04564), puisque la société marchand de biens n’entendait pas exploiter elle-même l’universalité transmise. Le Conseil d’Etat aurait donc logiquement pu se limiter à confirmer l’analyse de l’Administration sur ce point dès lors que la CJUE a défini la notion de transmission d’universalité dès le 27 novembre 2003 (aff. 497/01, Zita Modes) pour considérer que la finalité du régime de neutralisation implique que les transferts visés soient ceux dont « le bénéficiaire a pour intention d’exploiter le fonds de commerce ou la partie d’entreprise transmis et non simplement de liquider immédiatement l’activité concernée ainsi que le cas échéant de vendre le stock ». La solution aurait été différente si le cessionnaire n’avait pas été marchand de biens, ce dernier pouvant alternativement se prévaloir soit de l’article 19 de la Directive TVA soit, sur le fondement de l’article L 80 A du LPF, de la doctrine administrative (BOI TVA IMM-10-1010-40 n°40) prévoyant expressément l’application de la dispense prévue par l’article 257 bis du CGI aux cessions d’immeubles anciens. 

Une modification du texte est toutefois attendue dans le cadre de la prochaine loi de finances, ce qui permettra de mettre un terme à l’insécurité juridique à laquelle font face les opérateurs immobiliers lors de la passation des actes de vente. 


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