La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Entreprise en redevenir : comment acquérir une entreprise en retournement ?

Publié le 22 mars 2024 à 8h00

CMS Francis Lefebvre Avocats    Temps de lecture 7 minutes

La crise issue du contexte géopolitique dégradé, de la fin du « quoiqu’il en coûte » et des aides exceptionnelles de lutte contre les conséquences économiques de la pandémie et, plus tard, de l’explosion du coût de l’énergie, de la crise des semi-conducteurs, de l’engorgement des capacités de transport, etc. conduit à mettre en lumière une solution de retournement, peut-être moins sous les feux de la rampe ces dernières années : la reprise d’entreprises en difficulté.

Par Alexandre Bastos, avocat associé, responsable de l’activité Restructuring & Insolvency. Il intervient sur l’ensemble des problématiques liées au traitement des difficultés des entreprises, tant en conseil qu’en contentieux.alexandre.bastos@cms-fl.com Et Guillaume Bouté, avocat counsel, docteur en droit, membre de l’équipe Restructuring & Insolvency. Il intervient au support de tous les acteurs confrontés aux problématiques liées aux difficultés des entreprises.guillaume.boute@cms-fl.com

En effet, lorsque les possibilités de réaménagement, gel ou refinancement sont épuisées, lorsque l’ensemble du poste clients est mobilisé, lorsque l’actif immobilier est déjà objet d’une opération de sale & lease back, en bref que la société ne dispose plus de ressources pour financer son retournement, l’ultime chance de l’entreprise est sa cession.

A cette fin, les possibilités sont variées et le droit offre des cadres pouvant s’adapter à toutes les situations de l’entreprise en difficulté. Si le format ne se prête pas ici à une étude détaillée, tentons néanmoins de présenter les outils disponibles.

Reprendre une entreprise en redevenir dans un cadre amiable

La société qui connaît des difficultés qu’elle n’est pas en mesure de surmonter peut solliciter l’aide d’un mandataire ad hoc ou d’un conciliateur1. Ces derniers, en général administrateurs ou mandataires judiciaires, sont désignés par le Président du tribunal compétent afin d’assister les dirigeants dans la recherche de solutions de nature à assurer la pérennité de l’exploitation.

Cette solution peut-être une cession partielle ou totale de l’activité.

La cession partielle permet :

– soit de cesser d’imposer à une société en difficulté le coût d’une activité consommatrice de trésorerie (non profitable, requérant des investissements) ;

– soit à cette dernière de se séparer contre financement d’une activité profitable non essentielle à son cœur de métier dégageant une ressource en trésorerie utile pour son retournement global. Une telle cession pourra prendre la forme d’une cession de fonds de commerce si l’activité est constitutrice d’un fonds spécifique ou d’un carve-out suivi d’une cession des titres de la newco récipiendaire de l’activité détourée.

Cette amputation de l’actif de la société en difficulté peut porter atteinte au gage de ses créanciers, mais ne sera en principe pratiquée qu’avec l’accord de ceux appelés à la procédure sur la base de prévisionnels d’activité et de trésorerie de l’entité sous procédure et avec, parfois, un incentive versé à ces derniers sur la base du produit de cession.

Le cadre d’intervention conduira à conditionner l’opération à sa constatation, ou plus probablement, à son homologation2 ce qui permettra d’attester que cette opération, sur la base des données disponibles, est de nature à assurer la pérennité des activités en cause et, en cas d’homologation, de protéger les opérations contre un risque de nullité de la période suspecte.

La reprise peut également être totale. Dans ce cas, elle interviendra, en principe, par reprise des titres de l’entreprise en difficulté conditionnée à des efforts des parties prenantes et la démonstration des capacités industrielles, managériales, financières du repreneur.

De manière plus rare, la procédure amiable permettra de mettre en place une véritable recherche documentée de repreneurs des actifs et activités de l’entreprise qui trouvera son dénouement par un plan de cession mis en œuvre dans une procédure collective subséquente (i.e. prépack3).

De manière anecdotique, la cession pourrait être une cession de la totalité de l’activité et des actifs de l’entreprise permettant nécessairement un traitement de l’intégralité du passif dans une figure originale de conciliation liquidative, la pérennité de l’activité étant alors assurée par sa cession.

Reprendre une entreprise en redevenir dans un cadre judiciaire

Ici, le cadre est celui d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires, et dans certains cas spécifiques et plus rares, celui d’une sauvegarde.

Une cession totale ou partielle des actifs et activités de l’entreprise en difficulté prendra la forme d’un plan de cession4. Il s’agit alors de la fameuse « reprise à la barre » dans laquelle le repreneur détermine les actifs qu’il reprend ainsi que le nombre de postes de travail nécessaires et propose en contrepartie un prix tenant compte de l’ensemble des risques assumés et du poids de la dégradation de l’activité induite par la procédure collective. Cette cession est exorbitante du droit commun. En effet, elle peut imposer le transfert judiciaire des contrats nécessaires à l’activité reprise5, définir le périmètre social de l’offre du repreneur, en dérogation avec le transfert automatique de tous les postes attachés à l’activité reprise et sauf exception (dettes assorties d’une sureté portant sur l’actif qu’elles ont financé6 ou amélioré) le repreneur ne reprend pas de passifs. La cession est aléatoire et judiciaire : le repreneur ne dispose d’aucun recours ni garantie de passif. Certaines règlementations demeurent toutefois applicables, comme la nécessité de l’accord de la puissance publique en matière de transfert des autorisations d’occupation du domaine public ou quasi-public ou encore les règles de contrôle des concentrations, et ce malgré l’urgence de la situation, la reprise devant en effet se réaliser en quelques semaines le plus souvent.

Encore, la reprise de l’entreprise en redevenir peut être opérée par une acquisition de la totalité du capital social de la société en procédure. Un tel schéma, qui ne remet en principe pas en cause les différentes autorisations nécessaires à l’exploitation (hors impact éventuel du changement de contrôle qui devra être mesuré), a pour avantage d’offrir au repreneur les bénéfices de la procédure collective : gel du passif durant la période d’observation, vérification du passif et possibilité de conditionner l’opération de reprise à l’adoption d’un plan de redressement ou de sauvegarde intégrant des efforts significatifs des créanciers, éventuellement dans le cadre de classes de parties affectées.

Reprendre une entreprise en redevenir dans un cadre in bonis

Au troisième temps de ce panorama, nous soulignons un étonnant arrêt de la Cour de cassation qui ne doit pas inciter le repreneur et le cédant à faire fi de principes élémentaires d’une part et d’autre part nous évoquons la reprise opérée lorsque la société se trouve en plan de sauvegarde ou de redressement.

Le 1er mars 20237, la Cour a décidé qu’« il ne résulte d’aucun texte ni d’aucun principe qu’une société mère a, lorsqu’elle cède les parts qu’elle détient dans le capital social d’une filiale en état de cessation des paiements, l’obligation de s’assurer, avant la cession, que le cessionnaire dispose d’un projet de reprise garantissant la viabilité économique et financière de cette filiale ». Toutefois, le cessionnaire sera bien inspiré de conserver une prudence élémentaire qui lui permettra le cas échéant de se défendre en cas d’action en responsabilité à son égard et même à inscrire son opération dans l’un des cadres brossés ci-dessus.

Le dernier coup de projecteur sera pour rappeler que les titres d’une société en plan de sauvegarde ou de redressement peuvent être cédés. Dans ce cas, il conviendra que le repreneur implique le commissaire à l’exécution du plan et éventuellement le tribunal. Ce sera pour lui une opportunité de proposer une modification du plan8 lui permettant d’alléger le poids de la dette moratoriée ce qui permettra aux créanciers concernés de s’éviter une nouvelle procédure collective. A l’heure où les taux d’intérêts grimpent, il n’est peut-être pas de mauvaise gestion pour un créancier que d’abréger la période de moratoire sans réévaluation des taux qu’il subit.

1. Art. L.611-4s. du Code de commerce.

2. Art. L.611-8 du Code de commerce.

3. Art. L.611-7 du Code de commerce.

4. Art. L.642-1s. du Code de commerce.

5. Art. L642-7 du Code de commerce.

6. Art. L.642-12 du Code de commerce.

7. Com. 1er mars 2023, N° 21-14.787.

8. Art. L.626-26 du Code de commerce.

 


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