La lettre gestion des groupes internationaux

Juin 2017

Une nouvelle directive anti-abus sur le point d’être adoptée

Publié le 2 juin 2017 à 11h24    Mis à jour le 2 juin 2017 à 12h27

Emmanuel Raingeard, avocat associé, PwC Société d’Avocats

Le 12 juillet 2016, l’Union européenne se dotait de la directive établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur. Cette «boîte à outils» de l’UE contenait cinq mesures. L’une d’elles, la règle anti-hybride, devait être complétée rapidement en vue d’élargir son champ d’application (matériel et territorial) aux situations impliquant des pays tiers. Quelques mois plus tard, le 21 février 2017, après d’âpres négociations, le Conseil Ecofin est parvenu à un accord politique.

Par Emmanuel Raingeard, avocat associé, PwC Société d’Avocats

L’article 9 de la directive de 2016 prévoyait des règles permettant de lutter contre les dispositifs hybrides, c’est-à-dire les structures exploitant les différences de qualification juridique d’une entité ou d’un instrument financier entre les Etats membres. L’exemple typique est la différence de qualification d’un instrument financier qui serait, dans un Etat, qualifié de dette dont la rémunération, l’intérêt, serait déductible du résultat fiscal du payeur alors que, dans un autre Etat membre, il serait qualifié de capital dont la rémunération, le dividende, serait exonérée d’impôt. Au sein de l’UE, la directive étant obligatoire pour les Etats membres, il suffisait de prévoir une seule règle permettant de mettre un terme à l’asymétrie. Dans notre exemple, il suffisait ainsi de prévoir la non-déduction des «intérêts» dans l’Etat membre du payeur.

Néanmoins, ces mécanismes sont aussi présents dans des situations transfrontalières avec des Etats tiers. Une règle permettant de lutter efficacement contre ces dispositifs dans ces situations était donc nécessaire. Les directives, par hypothèse, n’ayant pas de force contraignante pour les Etats tiers, il fallait prévoir d’autres règles. En effet, étendre la règle déjà adoptée au sein de l’UE aux situations impliquant des contribuables d’Etats tiers ne permettait pas d’aboutir au résultat recherché. Ainsi, dans notre exemple, le principe de non-déduction des «intérêts» n’a pas de force contraignante si le payeur se trouve dans un Etat tiers. Il était donc nécessaire de prévoir une seconde règle, «défensive», obligeant l’Etat membre du récipiendaire du revenu, le «dividende», à l’imposer lorsque le paiement était déductible dans l’autre Etat. Si dans cet exemple, la solution est simple, dans certains cas la règle défensive est plus difficile à mettre en œuvre.

A côté de l’extension de ce champ d’application territorial, le champ matériel a été modifié. Déjà, les structures visées à l’origine par la directive ont été redéfinies. Ensuite, de nouvelles structures ont été identifiées et des règles pour y mettre un terme, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’UE, sont sur le point d’être adoptées. Sont donc désormais ciblés les dispositifs utilisant des établissements stables hybrides, les transferts hybrides, les dispositifs hybrides «importés», les hybrides inversés et les dispositifs utilisant des entités à double résidence.

Les dispositions de la directive qui devrait être formellement adoptée en mai (ou juin) 2017, seraient applicables à compter du 1er janvier 2020 (2022 pour l’un des dispositifs).

L’ensemble de ces mécanismes anti-abus s’inspire très largement des travaux de l’OCDE dans le cadre du projet «BEPS» visant à lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Les contribuables doivent bien en comprendre la portée : il ne sera plus possible de déterminer le traitement fiscal d’une transaction dans un Etat membre sans connaître le régime applicable dans l’Etat de la contrepartie ! Si à première vue sont visées les transactions financières, l’incidence est beaucoup plus large, puisque seront visés aussi les paiements de redevances ou plus largement tout paiement réalisé au profit d’une entité établie dans un autre Etat. Et encore… la règle visant les hybrides «importés» va plus loin ! Si à un endroit quelconque d’une chaîne de transactions, il existe une double non-imposition – engendrée par un dispositif hybride dans des pays tiers – non annihilée par une règle anti-abus similaire, cela peut, dans certaines circonstances, avoir pour conséquence la non-déductibilité du paiement dans l’Etat membre. Les entreprises devront donc avoir une vue globale des transactions réalisées par les sociétés du groupe (essentiellement) et ayant un lien plus ou moins direct avec la transaction originaire pour déterminer le traitement fiscal de la transaction à leur niveau.


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