L'analyse de Philippe Brossard

Crise du Covid-19 : qui va payer ?

Publié le 24 avril 2020 à 18h28

Philippe Brossard

Les mesures de confinement face au coronavirus ont déclenché une chute économique inouïe : en France, l’Insee estime la perte d’activité à 30 % et le chômage partiel à 9 millions de personnes (un taux de chômage de l’ordre de 40 % !). Aux Etats-Unis, les chiffres hebdomadaires indiquent à mi-avril un taux de chômage de 10 %. Le FMI prévoit un recul du PIB mondial de 3 % cette année. Ce serait 6 % de croissance perdue par rapport à l’année précédente : l’équivalent de la crise de 2009. La réaction des gouvernements et des banques centrales a été cependant plus importante et rapide qu’en 2009, laissant espérer un rebond sans délai. Les banques centrales ont annoncé d’énormes plans d’achats d’actifs – un tabou en 2009. Les Etats-Unis ont avancé un plan budgétaire de 7 % du PIB, l’Allemagne et le Japon de 5 %, la France de 4 % ; sans compter les garanties des emprunts privés. Pourtant, avant cette crise, l’endettement public était réputé insupportable et la réduction des déficits semblait la priorité en Europe : comment sera financé ce sauvetage ? Par l’épargne et la création monétaire.

Tout d’abord, notons qu’avant la crise les taux des emprunts d’Etat en zone euro étaient déjà négatifs. C’était le signe d’un excédent d’épargne par rapport aux besoins de financement, phénomène mondial selon Ben Bernanke. La chute actuelle de la consommation semble plus rapide que celle des revenus, grâce à la subvention publique du chômage partiel (France, Allemagne) ou du chômage effectif (Etats-Unis). L’excédent d’épargne est donc en train de s’accroître.

Surtout, les Etats disposent, auprès de leur banque centrale respective, d’un compte centralisé, et fonctionnent de ce fait comme des banques, avec un pouvoir de création monétaire ex nihilo. En payant les chômeurs partiels, ils augmentent les comptes bancaires de ces derniers. En l’absence de sortie de billets de banque ou de fuite de capitaux vers une autre monnaie, cette augmentation des comptes à vue des individus se traduit par un excès de liquidités des banques commerciales, qui n’ont d’autre solution que de les déposer auprès de la banque centrale sous forme de réserves excédentaires, pénalisées par un taux de - 0,50 % en zone euro. Elles préfèrent alors les convertir en bons du Trésor. La boucle est bouclée : la sortie d’argent effectuée par le Trésor public a réduit ses avoirs auprès de la banque centrale ; mais ceux-ci sont regonflés par une émission de bons du Trésor qui absorbe l’excédent de liquidité bancaire. Le circuit est encore plus direct quand l’Etat détient tout ou partie du système bancaire – l’étape de l’émission de bons du Trésor devient inutile. Et si les banques refusaient de convertir leurs réserves excédentaires en bons du Trésor ? La banque centrale pourrait pénaliser davantage les réserves excédentaires. Ou suivre la Banque d’Angleterre, qui veut désormais acheter directement des bons du Trésor pour assurer un circuit fluide de financement public.

Quelles sont les limites à cette création monétaire par les Etats ? Une première limite serait une perte de confiance non pas seulement concernant les financements nouveaux, mais aussi le stock des dettes publiques. C’est là qu’intervient la politique dite «quantitative» des banques centrales : elles créent un mouvement régulier d’achats d’emprunts d’Etat sur le marché secondaire, qui entretient la confiance et la négociabilité des titres sur le marché. Ce faisant, elles créditent les réserves excédentaires des banques commerciales (qui forment le passif de la banque centrale) et gonflent leur portefeuille obligataire (qui forme l’actif de la banque centrale) selon leur bon vouloir. Une deuxième limite serait une fuite des capitaux, ou le retrait massif de billets. A cela, deux remèdes : le contrôle des capitaux – qui prévalait avant 1980 ; ou bien la simultanéité de ces politiques monétaires dans le monde, qui fait qu’il n’y a pas d’échappatoire – qui prévaut aujourd’hui. Cela nécessite une forte cohésion politique internationale, surtout au sein de la zone euro. Une troisième limite, économique, serait un financement de la demande publique et privée au-delà des capacités de l’offre de biens et services, se soldant par une poussée d’inflation. Mais depuis la crise de 2009, l’inflation n’est jamais revenue aux 2 % souhaités, malgré ces politiques monétaires : avant même la crise, la demande était déjà insuffisante. Le risque d’inflation s’est encore éloigné, tant l’offre est excédentaire : en témoigne la récente chute des prix du pétrole… en dessous de zéro !

Philippe Brossard Chef économiste ,  AG2R

Philippe Brossard est le chef économiste d'AG2R La Mondiale.

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