Franchir la frontière technologique de la robotique en cinq étapes
Alors que l’Europe a longtemps été à la pointe de l’innovation en robotique, elle se trouve aujourd’hui à un tournant majeur. Face aux investissements massifs et aux politiques industrielles ambitieuses de la Chine et des Etats-Unis, l’Europe est en passe de se retrouver à la traîne. En quelques années, la Chine est devenue le plus grand consommateur mondial de robots, pesant à elle seule plus de la moitié des installations annuelles de robots industriels.
Pourtant, la robotique représente une triple opportunité pour l’Europe : accroître sa productivité, répondre à la baisse de la démographie, et renforcer sa souveraineté industrielle. Si l’Europe veut assurer l’avenir de son industrie, elle doit agir maintenant et avec détermination. Voici un plan d’action en cinq étapes pour installer la robotique au centre de nos chaînes de production.
«L’Europe doit impérativement concentrer ses efforts là où elle peut faire la différence, plutôt que de se disperser dans des domaines où elle est déjà en retard, comme les humanoïdes ou les véhicules autonomes.»
D’abord, il faut élaborer et mettre en œuvre une feuille de route européenne pour la robotique. L’Europe a besoin d’un plan stratégique et d’une vision opérationnelle claire pour développer son secteur de la robotique. Il ne s’agit pas seulement de développer des technologies avancées, mais de créer des champions robotiques qui serviront en premier lieu les secteurs domestiques, peu robotisés. Ces secteurs, comme le transport, la construction, la logistique, la santé, ou encore l’aérospatiale, sont confrontés à des problèmes de productivité ou à des pénuries de main-d’œuvre récurrentes, et sont difficiles à délocaliser, car stratégiques. L’Europe doit impérativement concentrer ses efforts là où elle peut faire la différence, plutôt que de se disperser dans des domaines où elle est déjà en retard, comme les humanoïdes ou les véhicules autonomes.
Deuxièmement, il faut améliorer l’accès au capital pour les start-up spécialisées dans la robotique. Le développement d’un cadre juridique et commercial incitatif est essentiel afin d’augmenter la taille critique du marché du venture capital, dont les capacités de financement sont complémentaires aux efforts publics et privés. L’Europe ne peut se permettre de négliger le financement privé, surtout lorsque les Etats-Unis attirent aujourd’hui sept fois plus d’investissements en capital-risque dans l’IA.
Troisièmement, parier sur l’innovation, de la recherche à la commercialisation, est essentiel. La fragmentation de la recherche en Europe reste un obstacle majeur. Promouvoir davantage la collaboration entre les écoles d’ingénieurs et le secteur privé afin de créer des champions régionaux pourrait enfin permettre à l’Europe de construire des écosystèmes innovants sur certains sujets précis.
Quatrièmement, la montée en compétences des Européens par la formation doit devenir une priorité politique. Les entreprises européennes peinent à trouver des employés qualifiés pour mettre en œuvre les technologies numériques, y compris dans la robotique. Cette pénurie est particulièrement grave dans les secteurs industriels où le manque de techniciens et opérateurs spécialisés freine le déploiement des technologies de pointe dans les usines. Un programme complet de formation et de mise à niveau des compétences est indispensable pour préparer les travailleurs aux exigences de la robotique moderne. Cela inclut la formation des opérateurs techniques, des techniciens en robotique et des ingénieurs capables de planifier des flux de travail automatisés.
Dernièrement, adapter la réglementation afin de soutenir l’adoption des nouvelles technologies est clé. L’UE doit trouver un équilibre entre son leadership réglementaire et la liberté nécessaire à l’éclosion des nouvelles technologies. Cela est particulièrement vrai dans le domaine de la robotique, car la loi sur l’IA en vigueur depuis 2024 risque malencontreusement de freiner certains investissements en recherche et développement. L’UE doit créer un environnement réglementaire propice à l’essor des nouvelles technologies qui s’adapte à chaque secteur.
L’Europe a les moyens de franchir les barrières technologiques de la robotique, mais cela nécessite une vision stratégique audacieuse qui coordonne la recherche, les investissements, la formation, et la réglementation pour se donner les moyens de réussir. L’Europe peut rattraper son retard, et même devenir un leader mondial dans le domaine de la robotique.
Guillaume Dejean et Maria Latorre