La neutralité carbone et le coût du capital

Publié le 26 novembre 2021 à 16h59

Ryan Williams    Temps de lecture 4 minutes

La récente conclusion de la COP 26 a mis en évidence à la fois des stratégies et des difficultés pour mettre en œuvre des politiques réalistes visant à atteindre la neutralité carbone. Les changements dans le secteur de l’énergie, en particulier, sont censés produire des réductions importantes des émissions de carbone. Compte tenu des défis de mise en œuvre suscités par l’incertitude des nouvelles technologies vertes, comment peut-on inciter au changement suffisamment rapidement pour faire la différence dans la lutte contre le réchauffement climatique ?

Le secteur de l’énergie en Europe est très réglementé et on peut utiliser ce cadre réglementaire pour jouer sur les incitations des entreprises du secteur de l’énergie afin de lutter contre le réchauffement climatique.

1. L’objectif du régulateur

Philosophiquement, l’objectif du régulateur est de fixer les prix de l’énergie à un niveau où les investisseurs de l’entreprise reçoivent une rentabilité égale à celle qu’ils auraient reçue dans une situation de concurrence pure et parfaite. La rentabilité exigée par les investisseurs, qui correspond au coût du capital, est traditionnellement calculée pour les sociétés cotées en utilisant des données historiques de marché. Ce mécanisme lie le risque d’un investissement à la rentabilité exigée par l’investisseur : plus le risque est élevé, plus la rentabilité attendue par un investisseur pour réaliser l’investissement sera élevée.

Le tableau ci-dessous illustre le problème réglementaire classique pour une période de cinq ans :

Coût du capital : 5 %

Valeur de l’investissement aujourd’hui : 1 000 €

Bénéfices annuels pour les cinq prochaines années ?

En considérant que la valeur de l’investissement aujourd’hui est la valeur actualisée au taux de 5 % des bénéfices sur la période réglementaire de cinq ans, le régulateur devrait fixer les prix à un niveau dégageant un profit de 231 € par an. Les investisseurs réaliseront exactement la bonne rentabilité de 5 %. Cette solution, en théorie, aligne les intérêts des entreprises du secteur de l’énergie, de leurs investisseurs, et des consommateurs.

2. Le problème avec la méthode traditionnelle

Dans la course à la neutralité carbone, le régulateur utilise traditionnellement des données historiques pour calculer le coût du capital. Celui-ci se fonde donc sur le risque associé à l’infrastructure énergétique historique utilisant des sources d’énergie éprouvées telles que le charbon, le gaz, le pétrole et le nucléaire. L’infrastructure requise pour atteindre les objectifs de neutralité carbone est très différente. Etant donné qu’une grande partie de cette technologie est nouvelle et non éprouvée, elle est également généralement plus risquée. Par conséquent, l’approche réglementaire traditionnelle est susceptible de sous-estimer le risque associé aux investissements verts et ainsi d’insuffisamment rémunérer les investisseurs pour ce risque.

Considérons le cas hypothétique où l’énergie verte est deux fois plus risquée pour les investisseurs que l’infrastructure traditionnelle. Le problème du régulateur devrait donc être :

Coût du capital : 10 %

Valeur de l’investissement aujourd’hui : 1 000 €

Bénéfices annuels pour les cinq prochaines années ?

La solution serait que le régulateur fixe un bénéfice annuel de 264 €. Il s’agirait d’une augmentation de prix de 14 %. Cette rentabilité accrue rémunérerait les investisseurs de telle façon qu’ils seraient disposés à prendre le risque supplémentaire nécessaire pour investir dans les nouvelles technologies vertes.

Par conséquent, si le régulateur utilisait la méthode traditionnelle d’évaluation du risque à l’aide de données historiques, il sous-estimerait la véritable rentabilité requise par les investisseurs. Les investisseurs réagiront généralement de deux manières :

a. ils sous-investiront dans les dépenses annuelles telles que l’entretien de l’infrastructure existante, ce qui entraînera des inefficacités et des coûts encore plus élevés à l’avenir, et/ou

b. ils n’investiront que dans des projets « sûrs » et éviteront les projets les plus risqués. Pourtant, les projets les plus risqués sont les technologies vertes dans lesquelles ces entreprises devraient investir.

Compte tenu de ces écueils, les régulateurs doivent tenir compte du risque des nouvelles technologies vertes. Ils peuvent le faire en ajustant le coût réglementaire du capital, ce qui incitera les entreprises à entreprendre des investissements plus risqués.

3. Conclusion

Les êtres humains réagissent aux incitations. Plutôt que d’utiliser la contrainte pour forcer les entreprises du secteur de l’énergie à investir dans des technologies vertes, les régulateurs peuvent inciter à ce comportement par des mécanismes de marché tels que la politique de contrôle des prix. Une compréhension et une mise en œuvre correctes du coût du capital d’une entreprise sont cruciales pour atteindre cet objectif.

Ryan Williams Professeur associé ,  Université Paris-Dauphine

Ryan Williams est professeur associé à l’Université Paris-Dauphine

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