Le risque social et politique au plus haut, en France et ailleurs

Publié le 31 mars 2023 à 18h42

Ruben Nizard    Temps de lecture 4 minutes

Alors qu’au cœur de l’hiver, l’ampleur du mouvement social contre la réforme des retraites avait déjà atteint des proportions inédites dans la période contemporaine, le recours du gouvernement à l’article 49.3 de la Constitution pour la faire adopter a donné un nouvel élan à la mobilisation et promet un printemps social agité en France. Si les circonstances de l’agitation autour de la réforme depuis le début de l’année sont particulières, elle est également révélatrice d’un mouvement de fond qui s’étend au-delà des frontières françaises : la montée des troubles sociaux et de l’instabilité politique.

Cette tendance n’est pas nouvelle et puise ses sources depuis le milieu des années 1970. Si l’on considère simplement la décennie précédente, de nombreux événements ont illustré un mécontentement populaire grandissant. Une croissance économique sans éclat et des marges de manœuvre budgétaires réduites au lendemain de la Grande Récession (2008-2009) ont largement participé à révéler et amplifier les inégalités. Ces facteurs ont également entretenu la perception de la stagnation, voire de l’érosion, des niveaux de vie et de la protection sociale. Dès 2011, cela a contribué à l’émergence de mouvements sociaux inédits tels que ceux des « Indignés » en Espagne ou de « Occupy Wall Street » aux Etats-Unis. Simultanément, ces facteurs ont aussi contribué au déclin des partis de pouvoir dans les démocraties libérales, participant à une polarisation croissante de l’environnement politique, qui a permis la (ré)émergence de mouvements disruptifs, extrémistes, populistes ou nationalistes.

La décennie actuelle semble ouvrir un nouveau chapitre pour les risques sociaux et politiques et dessine déjà des perspectives préoccupantes. La crise économique et sanitaire associée à la Covid-19 a épuisé le corps social en même temps qu’elle a créé et amplifié les lignes de divisions politiques. Cette crise à peine finie, le retour de l’inflation à des niveaux inédits depuis quatre décennies dans les économies avancées et des hausses de salaires qui peinent à suivre mettent sous pression le pouvoir d’achat des ménages. Ce contexte est alors générateur de demandes sociales plus importantes. Les nombreuses grèves et manifestations portant sur les conditions de travail et de rémunération dans divers secteurs au Royaume-Uni occasionnent les comparaisons avec les années Thatcher et constituent un exemple emblématique de cette demande sociale plus forte.

Or, l’environnement économique actuel offre un cocktail qui devrait limiter la capacité des autorités publiques à y répondre. Une croissance lente, un lourd fardeau de dette publique hérité de la réponse à la Covid-19 et la hausse des coûts d’emprunts associée aux resserrements monétaires limiteront en effet les marges de manœuvre budgétaires. A ce titre, le mécontentement pourrait être d’autant plus important que la baisse de la participation électorale et la polarisation de l’espace politique dans de nombreuses démocraties libérales suggèrent une légitimité des représentants, et donc de leur décision, en déclin. Pour les pays où les structures institutionnelles sont plus fragiles, particulièrement en Afrique ou au Moyen-Orient, les risques s’annoncent également plus élevés.

L’interaction de facteurs économiques globaux avec les circonstances particulières (politiques ou sociales) à chaque pays sera source d’instabilité  dans les mois à venir. C’est ce que signale l’indicateur Coface de risque politique, qui s’appuie notamment sur des indicateurs socio-économiques pour prendre le pouls de ces risques dans 160 pays : pour les deux tiers d’entre eux, les scores pour 2023 indiquent des niveaux de risque supérieurs à ceux d’avant la Covid-19. Parmi les économies avancées, c’est le cas de la France donc, mais aussi des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la Suède ou de l’Espagne. Pour les émergents, la Turquie, l’Egypte, le Pakistan, le Nigeria et le Brésil sont, par exemple, dans cette situation.

Ces risques accrus pourraient avoir des répercussions pour les entreprises. Si les impacts dépendent de la forme et de la durée des mobilisations, ils peuvent occasionner des perturbations de l’activité des entreprises, ralentir la consommation, freiner l’investissement, générer de la volatilité pour les flux de capitaux ou encore affecter la perception de l’environnement des affaires. Alors que le régime actuel de croissance faible et d’inflation élevée pourrait perdurer, le printemps social et politique pourrait se prolonger au-delà de juin 2023 et obligera les acteurs économiques à s’adapter. 

Ruben Nizard Économiste ,  Coface

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