Les ciseaux de Margrethe Vestager

Publié le 30 mars 2018 à 14h59

Patrick Hubert

Par Patrick Hubert, avocat, associé du cabinet, Orrick Rambaud Martel

Madame Vestager, la commissaire européenne à la concurrence, affirme qu’elle écoute très bien quand elle tricote : une activité paisible mais un goût qui ne suffit pas à rassurer les entreprises qui ont affaire à elle. Que penser, alors, lorsqu’elle envisage de remplacer ses aiguilles par un outil plus contondant, la paire de ciseaux ? Interrogée le 25 mars dernier par The Telegraph, la commissaire indiquait qu’elle continuait à envisager de découper Google en morceaux. Ce n’est qu’une option ouverte (et qui l’était déjà), dont l’habileté du journal a réussi à faire un titre, mais on aurait tort de ne pas y prêter attention.

Qu’une entreprise ultra-dominante, qui refuse de créer les conditions d’une concurrence loyale avec ceux qui ont besoin d’elle, rencontre enfin une adversaire prête aux moyens les plus énergiques, qui songerait à s’en plaindre ? Et si des amendes de plus de 2 milliards d’euros ne l’amènent pas à résipiscence, découpez-la donc sous nos applaudissements, Madame Vestager !

Mais qu’applaudirions-nous exactement, si cela se produisait ?

La victoire d’une idée qui, article après article, colloque après colloque, est en train de conquérir les esprits : le droit de la concurrence, oui, ce droit connu pour ses amendes gigantesques et son contrôle des concentrations si traumatisant serait «underenforced», ce que le français traduit faiblement par «sous-appliqué». Il laisserait passer trop de concentrations, ses amendes ne seraient pas assez dissuasives. L’on évoque avec nostalgie la grande époque où la Standard Oil ou ATT étaient bien, en effet, découpés aux ciseaux.

Ces idées vont-elles amener les autorités à renforcer encore leur arsenal ? A écouter notre commissaire, il semblerait bien ; jusqu’à présent, en Europe, l’on avait encadré les entreprises dominantes par des règles, on ne les avait pas démantelées. Même aux antipodes, la peur de l’underenforcement joue : en Australie, l’autorité de concurrence va augmenter ses amendes sur la foi d’études ne les jugeant pas assez dissuasives.

Ciseaux ? Ou plutôt marton-pilon ? L’heure n’est en tout cas pas au désarmement.

Patrick Hubert

Chargement en cours...

Chargement…