Royaume-Uni 2015 : les vents du large ?

Publié le 20 mars 2015 à 14h42

Michel Foucher

« Chaque fois qu’il nous faudra choisir entre l’Europe et le grand large, nous choisirons toujours le grand large ». Le « grand large » de Churchill, c’était alors l’alliance américaine et le Commonwealth. Sept décennies plus tard, il est ironique que la question d’une sortie de l’Union européenne soit envisagée comme une option crédible, si le résultat des élections du 7 mai 2015 imposait un référendum sur le maintien du pays dans l’UE.

Ce scénario, appelé « Brixit », puis « Brexit », nom forgé d’après le « Grexit » déjà en usage, avait déjà été annoncé parmi les dix « macro-surprises de 2013 » identifiées par Morgan Stanley. Et  plusieurs banques de Wall Street avaient dressé des plans de relocalisation de leurs activités européennes à Dublin, Francfort ou Paris, promues places « onshore » face à Londres, réduite au statut de centre « offshore ». La prévision est une école de modestie mais elle incite à la libre construction de scénarii alternatifs.

Qu’est-ce que le « grand large » aujourd’hui, pour le Royaume-Uni ? La relation spéciale entre Londres et Washington n’a plus la même profondeur. Au plan stratégique, Paris, capable d’efforts diplomatiques et militaires, a évincé son allié européen. Et David Cameron se voit reprocher un déclassement géopolitique aggravé par les perspectives de réduction du déficit budgétaire. Au plan financier, New York concurrence Londres autant qu’il s’en sert de plateforme. Et le choix britannique récent de participer à la banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, sise à Shanghai et financée d’abord par Pékin, a suscité l’ire de Washington, qui met tout en œuvre pour tuer dans l’œuf une structure rivale de la Banque mondiale et de la Banque asiatique de développement. Mais le soutien de Paris et Berlin est acquis. Le grand large, est-ce le monde global qui serait l’horizon unique de la City, des think tanks, des collèges d’excellence universitaire et de l’anglosphère ? Ou bien n’est-ce pas d’abord le grand marché européen qui représente 30 à 60% des exportations du Royaume-Uni selon les grands secteurs d’activité : 35% pour l’automobile, 42% pour les services financiers (avec une balance excédentaire de 20 Mds £), 45% pour l’aéronautique, 57% pour la chimie, selon un rapport récent du centre Open Europe ?

Avec des arguments déjà rodés lors de la campagne pour le référendum en Ecosse, les milieux d’affaires se mobiliseront en faveur du statu quo si la question d’une sortie britannique était posée vers 2017, selon l’engagement de David Cameron, en délicatesse avec les eurosceptiques de son propre parti et l’audience croissante de l‘UKIP (parti de l’indépendance du Royaume Uni). L’opinion publique évolue, avec un chiffre de 45% en faveur de la poursuite de l’adhésion en février dernier, chiffre le plus élevé depuis mai 2012 (28%), contre 35% prônant la sortie.

Enfin, les sondages électoraux les plus fiables, tels ceux de The New Statesman, complétés de ceux de Lord Ashcroft[1], ancien vice-président du parti conservateur reconverti dans les sondages et réputé pour la justesse de ses prévisions dans une centaine de circonscriptions où se joue le résultat final, indiquent qu’aucun parti n’obtiendra la majorité de 326 sièges à la Chambre des Communes. A la baisse modérée des conservateurs et très nette des libéraux-démocrates (actuelle coalition au pouvoir) s’opposerait la hausse relative des travaillistes et très nette des nationalistes écossais (+ 49 sièges pour le SNP, parti national écossais). L’UKIP, avec 15% des voix, se contenterait de 6 sièges. Faute d’un nouveau gouvernement de coalition formelle, le SNP pourrait appuyer tacitement, au cas par cas (selon le mode « confidence and supply »), un gouvernement minoritaire d’Ed Miliband. Ce qui exclurait tout référendum sur l’Union européenne, tant les électeurs écossais y sont attachés, comme ils l’ont montré en 2014.

Tout nouveau gouvernement devra œuvrer à la réduction des déficits publics et, faute de pouvoir toucher ceux liés à la santé et aux retraites, c’est le secteur de la défense qui sera la variable d’ajustement (avec un budget en baisse de 36% entre 2015 et 2020), ce qui diminuera d’autant les capacités de projection extérieure, donc d’agir seul au grand large. Il ne restera alors que la coopération européenne comme levier d’influence britannique. Et parmi les chantiers de la Commission Juncker, un dossier prioritaire méritera l’expertise britannique, celui de la mise en œuvre d’ici 2019 d’une union des marchés financiers décrite dans le très récent Livre vert[2]. Le maintien de nos amis et alliés britanniques dans l’Union est un intérêt commun, dans tous les domaines.

[1] may2015.com/category/seat-calculator/ et lordashcroftpolls.com

[2] Green Paper, Building a Capital Markets Union, COM (2015) 63 final

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Michel Foucher Conseiller du président ,  Compagnie financière Jacques Coeur

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