L'analyse de la DFCG

Taux négatifs : couvrir ou pas ?

Publié le 10 mai 2019 à 15h21    Mis à jour le 10 décembre 2020 à 18h04

Sébastien Rouzaire

Alors que tous les signaux étaient au vert il y a 12-18 mois pour anticiper une remontée rapide des taux d’intérêt euro à l’instar des taux américains, la situation est aujourd’hui bien différente. Revenue à ce que l’on connaissait il y a plusieurs années, elle mène certains à penser que les taux ne remonteront pas avant longtemps.

Toutefois, il faut garder en tête que toute anticipation peut s’inverser rapidement. Le cas américain est un bon exemple. De plus, pour surveiller une remontée des taux, il faut distinguer les indicateurs. Premièrement, l’Euribor, indicateur des «taux courts» qui s’applique au calcul des intérêts des emprunts à taux variables. Il est proche des taux administrés par la BCE. Deuxièmement, le taux de swap à cinq ans, référence pour les entreprises car souvent proche de la duration des dettes. Il permet de calculer le prix des couvertures d’une maturité similaire, swaps ou caps.

Autant l’Euribor 3 mois est stable (entre – 0,33 % et – 0,30 % depuis fin 2016) car plus étroitement piloté par la BCE, autant le taux à cinq ans est volatil (allers-retours entre 0,48 % et – 0,34 % depuis 2015) car lié à l’offre et à la demande au gré des anticipations d’activité et d’inflation, et au quantitative easing actuellement. Autrement dit, sauf inversion brutale de la courbe des taux (scénario de «stagflation»), le taux à cinq ans sera probablement remonté avant que les Euribor ne redeviennent positifs, entraînant le coût des couvertures dans leur sillage.

En termes de stratégie de couverture, nous voyons deux tendances. Ceux qui pensent que les couvertures sont inutiles, utilisant leurs anticipations comme critère de couverture ; et ceux qui se couvrent en logique d’assurance, pour protéger les frais financiers et la trésorerie de l’entreprise contre les scénarios défavorables.

Dans ce but d’assurance, il faut toutefois choisir une stratégie : (i) non pénalisante si les taux montent fortement ou restent négatifs (attention aux swaps en période d’Euribor négatif lorsque les financements incluent un plancher sur l’Euribor !), (ii) dimensionnée correctement sur chaque année du financement en fonction de la cible de frais financiers et (iii) «portable» en cas de refinancement anticipé.

Certaines stratégies personnalisées de cap (couverture permettant de plafonner la hausse des taux) sont très adaptées à ce contexte. A titre purement illustratif, un cap avec plafond à 0,30 % et une échéance à quatre ans vaut actuellement 0,08 %/an. Ce coût (prime lissée du cap) s’ajoute aux frais financiers en contrepartie d’un plafonnement de ces mêmes frais financiers si l’Euribor dépasse 0,30 % d’ici quatre ans. A titre de comparaison, le même cap coûtait respectivement 0,16 % et 0,19 % par an fin 2018 et fin 2017.

A contrario, la stratégie de ne pas se couvrir créera probablement un dilemme lorsque les Euribor seront revenus autour de 0 % : le directeur financier devra choisir entre rester à taux variable en risquant de voir l’Euribor monter en zone dangereuse, ou couvrir avec un coût probablement bien supérieur à 0,08 % à ajouter à un taux déjà renchéri lui aussi. Le «timing» de mise en place d’une couverture est donc primordial, idéalement juste avant la remontée des Euribor projetés (et non pas du seul Euribor 3 mois). Mais comme il est impossible d’anticiper les marchés à coup sûr, la logique d’assurance présente de nombreux avantages.

L’option de recourir à un financement à taux fixe est parfois demandée par les directeurs financiers dans un but de simplicité. Toutefois, si un taux fixe est en théorie identique à un taux variable couvert, les clauses de débouclement anticipé d’un emprunt bancaire à taux fixe (en cas de refinancement) sont souvent défavorables par rapport à celles d’une dette à taux variable swappée ou capée.

A noter : il est possible de couvrir des dettes futures hautement probables avec des couvertures à départ décalé. Le reporting sera important pour justifier aux auditeurs l’efficacité anticipée de la couverture.

Autre point d’attention : il est courant de confondre la probabilité d’occurrence d’un événement défavorable et le fait de ne pas y croire. Il faut identifier les signaux qui indiquent la probabilité réelle ou croissante d’un risque, par exemple un sondage proche de 50 % avant une élection type Brexit ou présidentielles américaines, ou l’augmentation du prix des options de change et les taux d’intérêts négatifs quelques semaines avant la crise du franc suisse en janvier 2015. En logique d’assurance, une stratégie de couverture s’impose quand la conséquence d’un événement présente un risque majeur pour l’entreprise.

Sébastien Rouzaire

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