Tout est-il vraiment au mieux dans le meilleur des mondes possibles ?

Publié le 27 janvier 2023 à 16h50

Jean-Christophe Caffet    Temps de lecture 4 minutes

Provocante, voire déplacée, cette question n’en demeure pas moins légitime. Alors que le premier mois de l’année vient de s’écouler, force est de constater qu’un certain optimisme est de retour, en particulier sur les marchés financiers où les investisseurs, sinon de candeur, font sans doute preuve d’une certaine forme d’ingénuité. Il faut remonter à 2015 pour trouver un début d’année marqué par un tel appétit pour le risque, en particulier sur le marché européen : actions, obligataire, crédit… tout trouve désormais grâce aux yeux des investisseurs, à juste titre rassurés par l’éloignement, pour un temps, du scénario du pire. Les craintes d’un rationnement d’énergie plongeant le Vieux Continent dans la nuit, au sens propre comme au sens figuré, appartiennent en effet au passé, tandis que l’activité a jusqu’ici bien résisté et que l’inflation continue de reculer. Tout va donc pour le mieux, les Cassandre avaient tort, et ce d’autant que le moteur chinois, en panne sèche depuis plus de neuf mois, est sur le point de redémarrer.

Si, pour l’essentiel, nous acquiesçons, il ne faudrait cependant pas que le soulagement qui prévaut actuellement ne débouche sur un excès de naïveté, ou de complaisance. Les défis auxquels était confrontée l’économie mondiale l’an dernier restent d’actualité et la crise que nous traversons, multidimensionnelle, n’est pas près de se refermer : fragmentation géopolitique, crise énergétique, changement climatique, risques épidémiques, vieillissement démographique, etc. la transformation du monde s’accélère et sécrète des risques, parfois extrêmes, susceptibles de faire dérailler les scénarios et les narratifs les mieux huilés. Souvenons-nous, d’ailleurs, que Cassandre avait raison : Troie fut finalement saccagé.

Aussi, à très court terme, les arguments régulièrement invoqués pour justifier le regain d’optimisme actuel nous semblent-ils parfois entrer en contradiction les uns avec les autres. Il en va ainsi de l’hypothèse d’un fort rebond de l’économie chinoise au second semestre 2023 et de l’espoir d’une baisse concomitante, continue, de l’inflation. Ce serait oublier deux choses : la première, c’est l’influence de la Chine sur les marchés de matières premières, en particulier de l’énergie (pétrole et gaz naturel liquéfié). La seconde, c’est que l’inflation européenne ne baisse aujourd’hui qu’à la faveur de la forte baisse des prix de ladite énergie – justement permise par le très fort ralentissement chinois. L’inflation sous-jacente européenne s’inscrit en effet toujours en hausse et ne montre pas le moindre signe de stabilisation, alors que planent de possibles effets de second tour sur les salaires négociés en fin d’année. Dans ces conditions, et à moins que ne se répète le scénario pas si rassurant d’anomalies climatiques dépassant l’entendement (avec des températures supérieures de plus de 8 °C aux normales saisonnières en France métropolitaine le 31 décembre dernier !), il peut paraître pour le moins hasardeux de miser sur la réalisation conjointe des deux hypothèses évoquées.

Le scénario pour l’Europe qui paraît le plus vraisemblable semble donc être celui d’une croissance atone, en particulier au premier semestre au cours duquel l’inflation totale devrait passer sous l’inflation sous-jacente, avant de rebondir assez nettement en fin d’année. Quelle sera alors l’attitude de la BCE ? Remontera-t-elle vigoureusement ses taux, après la pause que d’aucuns jugent probable au plus tard au tournant de l’été ? Ou jugera-t-elle qu’il est encore trop tôt pour observer les effets retardés du tour de vis monétaire déjà réalisé ? Les dernières déclarations de Christine Lagarde ne laissent à vrai dire planer que peu de doutes sur les intentions d’une institution qui, arc-boutée sur son mandat et les objectifs du passé, semble se résigner à une victoire à la Pyrrhus contre l’inflation. « Il n’y a pas d’effet sans cause », disait aussi Pangloss. Il serait bien que la dimension structurelle de ce nouveau régime d’inflation plus élevé, que la BCE ne peut ignorer, soit prise en compte avant que la politique monétaire ne cause de nouveaux effets

Jean-Christophe Caffet Chef économiste ,  Coface

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