Le modèle occidental est-il à l’ouest ?

Publié le 17 février 2021 à 16h51    Mis à jour le 18 février 2021 à 12h05

Bertrand Rocher

La mondialisation, souhaitée et défendue par les Etats-Unis qui aujourd’hui tolèrent moins ses effets délétères, va-t-elle laisser place à une scission en deux pôles : l’un sous domination chinoise, l’autre sous domination nord-américaine ? Rien ne permet à ce jour de le savoir, tant des forces contraires s’ingénieront à éviter ce scénario.

La guerre commerciale sino-américaine est morte, vive le conflit commercial sino-américain !

Les élections du président des Etats-Unis ont surpris quelques observateurs n’ayant pas bien compris le verdict de 2016 : le président sortant a en effet fort bien résisté. M. Biden ne peut qu’en tenir compte, car les 74,2 millions d’électeurs de M. Trump n’ont pas disparu le jour où ce dernier a quitté le bureau ovale et il va bien falloir que son successeur s’attelle à satisfaire celles de leurs demandes implicites qui paraissent légitimes. Ils représentent près de la moitié du pays et il entre dans le mandat de tout président de veiller aussi à ceux qui ne l’ont pas soutenu.

Cela expliquerait-il les premières déclarations de M. Biden et la fermeté dont il ferait preuve vis-à-vis des pratiques commerciales de la République Populaire de Chine ? Sans doute. Du reste, la guerre commerciale que M. Trump est supposé avoir lancée contre l’empire du Milieu avait en réalité débuté, de manière certes plus policée, dès le second mandat de M. Obama. Les hôtes de la Maison Blanche passent, les intérêts supérieurs de la nation restent...

A conflit économique, conflit politique et demi

Les élites américaines ont longtemps vu dans la Chine, outre un marché immense et un allié de circonstance face à l’URSS, rôle que la réhabilitation de Deng Xiaoping avait accru, une sorte de terre de conquête aux valeurs occidentales. Certains échafaudaient même des scénarios selon lesquels le pays pourrait, à mesure que son marché s’ouvrirait, s’engager sur un chemin menant pacifiquement à la démocratie. L’arrivée au pouvoir du sympathique et pragmatique Deng Xiaoping mentionné ci-dessus, quelques années après, avait encore renforcé cette impression. Aujourd’hui, ceux-ci se trouvent déçus : les dirigeants chinois n’ont bien entendu jamais eu l’intention de suivre une telle voie, qu’ils jugent dangereuse pour le parti communiste, mais aussi pour l’équilibre de leur nation. Non seulement la Chine devient un rival économique et géostratégique au potentiel que même l’URSS n’a pas longtemps représenté (capacités militaires exclues), mais en plus se propose-t-elle d’offrir un contre-modèle politique d’autant plus menaçant qu’il a désormais quelques succès probants à faire-valoir, notamment en matière de gestion de la crise de la Covid-19.

L’ESG : gage de restauration de l’attractivité occidentale ?

L’URSS a dû renoncer à son empire parce que les Etats-Unis avaient su orchestrer l’assèchement de ses ressources en devises, mais aussi, voire surtout, parce qu’elle n’avait pas su vendre son modèle de société. Après les décennies 1950 et 1960, celui-ci a commencé à perdre de son aura auprès des prolétariats occidentaux tandis que de nombreux citoyens soviétiques enviaient, à tort ou à raison, la prospérité et la liberté supposées bien supérieures dans les pays n’appliquant pas le socialisme.

Si les Etats-Unis et leurs alliés veulent contenir l’attrait que le contre-modèle chinois exerce de plus en plus, ce même sur des démocraties paraît-il illibérales, sans doute leur faudra-t-il une fois encore faire en sorte que leur propre modèle apparaisse, sinon le meilleur, du moins le plus séduisant face à celui que propose leur compétiteur. Or, cela ne semblera pas envisageable tant que la dégradation de l’environnement de vie, les inégalités sociales et la crise démocratique mineront l’Occident de l’intérieur.

L’URSS, encore elle, avait en un sens forcé les pays capitalistes à prendre soin de leurs « classes laborieuses », en introduisant des systèmes de couverture sociale ou médicale, parmi bien d’autres droits. Les entreprises y avaient pris leur part, même aux Etats-Unis. Il conviendra de renouer avec cela : les états doivent rejouer leur rôle, et les entreprises aussi. S’attacher à respecter les principes de l’ESG (Respecter l’environnement de travail et de vie des populations, veiller à l’égalité sociale des collaborateurs, rétribuer leurs actionnaires sans mettre en péril le capital économique de l’entreprise, …) offre une piste. Parmi d’autres, mais une piste.

Voilà qui deviendra incontournable pour restaurer l’attractivité du modèle occidental, chahuté aussi parce qu’il a eu ses torts. Il n’y a pas de domination d’un modèle de société sans capacité de séduction : l’American way of life [1] l’a-t-elle encore ?

[1] Mode de vie américain

Bertrand Rocher

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