Dans quelle mesure la dette souveraine est-elle soutenable ?

Publié le 12 juillet 2019 à 16h44

Fabrice Collard

La dette publique française, qui avoisine les 100 % du produit intérieur brut, est-elle soutenable sur le long terme ?

Dans l’article intitulé Sovereign Debt Sustainability in Advanced Economies 1, co-lauréat du Prix Maurice Allais de science économique 2019, ainsi que dans l’article intitulé Is Public Debt Sustainable in the Eurozone ? 2 qui lui fait suite, nous essayons de calculer le niveau maximal de dette publique que peut maintenir un pays développé sur le long terme.

Les fonds nécessaires au remboursement de la dette et au paiement d’intérêt proviennent de deux sources principales : (i) l’excédent, s’il y en a, des recettes fiscales sur les dépenses publiques (ces dernières excluant les paiements d’intérêt, puisqu’il s’agit justement de calculer les fonds qui peuvent être alloués au service de la dette) ; (ii) les recettes obtenues par l’émission de nouvelles dettes, destinées en grande partie à rembourser la dette existante. Cette seconde source de fonds équivalant à un report de remboursement, c’est la première source, l’excédent des recettes sur les dépenses, qui constitue le déterminant principal du niveau maximal de dette soutenable.

Nous cherchons à estimer l’excédent maximal des recettes sur les dépenses, c’est-à-dire l’excédent qui pourrait être obtenu par un Etat qui maximiserait les recettes fiscales et minimiserait les dépenses, réduisant ces dernières à celles qui sont véritablement indispensables. Pour ce faire, nous nous fondons sur les taux d’emprunt, d’endettement, et de croissance des Etats. Plus le taux d’emprunt requis par les prêteurs est élevé pour un taux d’endettement et un taux de croissance donnés, moins les prêteurs sont d’avis qu’un pays a la capacité de rembourser sa dette, et par conséquent plus l’excédent maximal estimé par les prêteurs est bas.

Pour la France, étant donné les taux d’emprunts et d’endettement actuels ainsi que la distribution du taux de croissance ces dernières décennies, les prêteurs semblent estimer l’excédent maximal comme étant de l’ordre de 6 à 8 % du PIB 3. En d’autres termes, l’Etat pourrait sur le long terme allouer de 6 à 8 % du PIB au remboursement de la dette. L’excédent constituant la source des revenus qui permettront le remboursement de la dette, un excédent maximal de 6 à 8 % correspond à un niveau maximal de dette soutenable de 100 % du PIB. A ce niveau, la probabilité que le taux de croissance se révèle trop bas pour permettre à l’Etat d’obtenir les revenus nécessaires au service de la dette est de 3,8 %. Ce chiffre représente donc la probabilité de défaillance de la France si le niveau maximal de dette soutenable devait être atteint.

La dette publique française représentait 98,4 % du produit intérieur brut au quatrième trimestre 2018 ; la probabilité de défaillance correspondante s’élevait alors à 0,86 %. Le contraste entre la très faible différence entre les niveaux de dette (98,4 % et 100 %) et celle nettement plus importante entre les probabilités de défaillance (0,86 % et 3,8 %) révèle un aspect central de notre analyse, l’augmentation très rapide de la probabilité de défaillance lorsque la dette se rapproche de son niveau maximal.

Des travaux récents semblent remettre en cause le concept même de dette maximale. Le taux d’endettement étant exprimé en pourcentage du PIB, un taux de croissance du PIB supérieur au taux d’intérêt implique que, à moins d’une succession quasi ininterrompue de déficits budgétaires très élevés, le numérateur du taux d’endettement croît moins vite que le dénominateur, et même un taux d’endettement extrêmement élevé serait acceptable, dans la mesure où la croissance du PIB ramènerait ce taux à un niveau raisonnable au bout d’un certain nombre d’années.

Nous remarquons que ce raisonnement néglige un aspect central du financement par endettement, à savoir la possibilité de défaillance. Celle-ci constitue une limite bien réelle au taux d’endettement dans la mesure où elle met un terme, ou du moins complique considérablement le refinancement de la dette existante par l’émission de nouvelle dette. Il est par conséquent quelque peu risqué de s’en remettre exclusivement à la croissance pour résorber les difficultés qui pourraient être posées par un taux d’endettement élevé.

1 - Fabrice Collard, Michel Habib et Jean-Charles Rochet, Journal of the European Economic Association, 2015.

2 - Fabrice Collard, Michel Habib, Ugo Panizza et Jean-Charles Rochet, recherche en cours.

3 - Cette estimation et celles qui suivent sont préliminaires, nos recherches étant en cours.

Fabrice Collard

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