Faire du budget de l’Etat une meilleure arme contracyclique

Publié le 15 mars 2019 à 17h33

François Meunier

S’il devait advenir aujourd’hui une récession marquée, les autorités monétaires apparaîtraient singulièrement désarmées, particulièrement en zone euro : les taux sont déjà proches de zéro, le bilan de la BCE déjà bien ballonné, et, à moins d’une inventivité nouvelle, on voit mal quels nouveaux instruments monétaires pourraient rendre vigueur à l’économie.

C’est d’ailleurs le message répété des banquiers centraux qui renvoient les gouvernements à leur responsabilité : ce sera à vous cette fois, disent-ils, de faire le travail contracyclique, via la politique budgétaire.

Mais l’expérience montre une limite fréquente à l’action par les dépenses ou les recettes publiques. Toute mesure budgétaire prend du temps à jouer sur l’économie, un temps qui n’est pas celui du cycle conjoncturel. Une récession prend entre deux et quatre trimestres à se développer, ce qui est un temps terriblement plus court que la mise en œuvre d’un projet d’investissement public. Les gouvernements sont alors devant le dilemme de faire de la «bonne» dépense publique, typiquement des projets d’investissement ou d’infrastructure, mais qui demandent un temps long d’études techniques et de compromis politiques avant la mise en œuvre ; ou de la «mauvaise» dépense publique, typiquement les classiques crédits d’impôt, mais uniquement parce qu’elle est censée agir plus vite. Et même le plus vite ne suffit pas toujours : les délais d’action sur la demande de l’instrument fiscal sont passablement longs et risquent de n’agir pleinement qu’au moment où l’économie est déjà repartie. Non seulement une telle dépense publique ne stabilise pas, mais elle peut accroître l’intensité du cycle.

Y aurait-il un moyen institutionnel de combiner de tels bons projets de dépense publique avec l’agilité requise pour en faire un instrument de réglage conjoncturel ?

Une solution pourrait être de séparer clairement le temps des décisions et études techniques du temps de la réalisation physique. Autrement dit, l’Etat et peut-être certaines collectivités locales, lanceraient concrètement les études de faisabilité des projets, aplaniraient les contraintes financières et juridiques, les classeraient par ordre de priorité, pour ensuite… les garder sous le coude. On estime en général à 5 à 7 % les coûts préparatoires à un projet d’infrastructure, avant d’actionner toute pelleteuse. Ces projets seraient en quelque sorte prêts à la pelleteuse, pour reprendre en français le terme de shovel-ready utilisé en anglais.

L’idée n’est pas neuve. On en trouve des premières expressions aux Etats-Unis dans un discours du président Coolidge en 1927. Le très important programme autoroutier américain sous la présidence d’Eisenhower a duré 13 ans et, avec ses près de 70 000 km, restera pendant longtemps le plus grand projet d’infrastructure de l’histoire du pays. On y avait introduit dès l’origine l’idée d’un cadencement selon les besoins contracycliques de l’économie, inconnus évidemment au moment de la décision. On peut citer aussi un discours où le président Obama évoque le sujet, en liant d’ailleurs cette notion à un projet de grande banque publique d’investissement, analogue à la BEI européenne, qui n’a pas vu le jour.

La difficulté est évidemment institutionnelle. Décider que l’heure est à une dégradation conjoncturelle et justifie un coup de pouce public est appréciatif et peut difficilement être objectivé dans un texte de loi. On ne peut non plus confier cette appréciation à un comité d’experts, répliquant pour la politique budgétaire ce qui est le fonctionnement désormais de la politique monétaire, entre les mains d’une banque centrale indépendante. Le budget et l’impôt restent au cœur de la démocratie.

Plus modestement, on pourrait proposer que l’exécutif tienne constamment à jour une liste des grands travaux à venir, au-dessus d’une certaine taille, avec études de faisabilité complétées, ceci dans le cadre normal des budgets pluriannuels. Mais vote budgétaire ne voudrait pas dire mise en œuvre à la discrétion du gouvernement. Pour tout lancement, que ce soit pour un motif d’urgence ou selon le principe du cadencement conjoncturel, il devrait revenir devant le parlement. Voici une mesure qui, pour rester encore loin d’être parfaite, sensibiliserait l’opinion et les pouvoirs publics à cette indispensable cohérence temporelle entre la cible de long terme et les objectifs de gestion conjoncturelle.

François Meunier Co-président du comité éditorial ,  Vox-Fi (DFCG)

François Meunier est co-président du comité éditorial de Vox-Fi (DFCG)

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