Faut-il rester minoritaire après une acquisition ?

Publié le 22 mai 2020 à 14h32    Mis à jour le 22 mai 2020 à 15h35

Hubert de La Bruslerie

Les acquisitions visent à prendre le contrôle d’une entreprise cible sans pour autant racheter la totalité des capitaux propres. La question est donc celle de la présence ou non de minoritaires après l’opération d’acquisition. Cette question n’est pas niaise. La décision des actionnaires, qui étaient souvent des anciens contrôlants dans le cas de PME ou de groupes familiaux et qui deviennent des minoritaires associés avec un nouveau contrôlant, est complexe et doit être analysée en cas d’acquisition. La raison en est que la restructuration d’un actionnariat se déroule dans le contexte d’une création de valeur future liée au nouveau projet économique mis en œuvre par le nouvel arrivant. C’est là le premier élément clé. Le second élément à considérer est la question d’un nouvel équilibre actionnarial entre majoritaire et éventuels minoritaires. 

Les actionnaires de la société cible apparaissent démunis devant ce choix. La solution la plus simple est le repli total en évitant de partager le risque économique avec un acquéreur qui poursuit des objectifs propres. Le vendeur réclame alors un paiement cash pour la totalité des titres. Rester dans l’entreprise en tant qu’actionnaires minoritaires est un choix risqué, car la position du majoritaire lui permet de réaffecter le cash-flow de la cible acquise au sein de son groupe. 

Il faut déterminer les conditions par lesquelles s’établit un équilibre entre le majoritaire et les minoritaires qui acceptent de rester actionnaires en se sachant exposés à un risque de gouvernance. Cependant la réponse ne doit pas être naïve. Il faut reconnaître que le contrôlant effectue un travail spécifique : la mise en œuvre d’un projet stratégique potentiellement créateur de valeur économique. Pour définir une situation équilibrée entre les deux parties, il faut limiter l’appropriation excessive de bénéfices privés. C’est à ce niveau qu’intervient l’endettement, qui va faire peser sur les actionnaires, et tout particulièrement sur le nouveau contrôlant majoritaire, une pression pour révéler et capturer effectivement un potentiel de création de valeur. 

Le rôle de la dette est trop souvent ignoré, alors que les créanciers historiques de la société acquise sont les premiers bénéficiaires de la mise en place d’un process de création de valeur. L’objectif commun de limiter le transfert de valeur vers les créanciers est mis en œuvre dans le cadre de choix de ré-endettement (ou «releveraging»). Cette décision est cruciale car le ré-endettement se traduit par une diminution relative des capitaux propres, et donc par un flux au profit des actionnaires par le biais de dividendes exceptionnels, de rachats d’actions ou de remboursements de capital.

Une simulation montre que les minoritaires doivent rejeter des «packages» incitatifs supérieurs à 10 % du capital en cas de perspectives de création de valeur future faible. Au-delà, ils sont dilués, et cela favorise un transfert de richesse au profit du majoritaire. En revanche, avec des perspectives de création de valeurs élevées, le maintien d’une participation minoritaire de 10 à 30 % est possible, sous réserve que la société cible se réendette avec des leviers de x 1,5, voire de x 2. Le surcroît de dette est un outil régulateur et incitatif à destination du majoritaire, qui fera le maximum pour éviter le défaut et la perte de son investissement. Le majoritaire qui accepte ce schéma émet un signal positif quant à sa capacité à supporter le poids de la dette et le risque de faillite.

Les mécanismes contractuels qui permettent une convergence entre majoritaire et minoritaires sont d’abord la négociation d’un paquet incitatif au profit du nouveau majoritaire qui lui permette de capturer une part plus que proportionnelle de la création de valeur. En l’absence de mécanismes de rémunération spécifiques, le contrôlant n’est absolument pas intéressé à ouvrir le capital et à cohabiter avec des minoritaires. 

Le second mécanisme régulateur est le rehaussement de la contrainte d’endettement pour qu’un risque financier plus pesant constitue une limite à la fois disciplinaire et incitative au niveau du contrôlant. Un défaut d’acceptation d’une politique financière plus endettée signale un projet d’acquisition insuffisamment créateur de valeur. Le ré-endettement permet aussi à l’actionnaire minoritaire de percevoir un transfert de richesse qui vient compenser l’accord de bénéfices incitatifs.

La réponse à la question posée de savoir si le vendeur peut rester minoritaire en cas d’acquisition est donc double : elle ne sera positive que si le nouveau contrôlant crée de la valeur (ce qui est évident, mais difficile à mesurer ex ante) et accepte de s’endetter (ce qui est moins évident, mais plus facile à mettre en œuvre). 

Hubert de La Bruslerie

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