Avec Trump, la politique boursière domine la politique monétaire

Publié le 5 octobre 2018 à 16h44

Jean-Paul Betbèze

«Politique boursière» ? Mais ça n’existe pas en économie ! La Bourse évolue selon une multitude de raisons et d’informations, aimantée par les profits attendus en fonction des risques. Mais le constat a changé depuis que Donald Trump a mis au cœur de sa politique la croissance américaine stimulée par l’effet richesse. Autrement dit, la Bourse : 4,2 % de croissance au deuxième trimestre 2018 et le Dow Jones à 26 500 points !

Cette histoire commence avec la décision du président Trump de réduire l’impôt sur les sociétés et de favoriser le rapatriement des profits des multinationales. Ces profits (au moins un trillion de dollars) étaient parqués en Europe, afin de ne pas les voir imposer aux Etats-Unis. Les multinationales attendaient un traitement plus «aimable», sachant qu’en bonnes patriotes (quand même) elles plaçaient ces profits en bons du Trésor américain. Barack Obama leur demandait régulièrement de faire leur devoir : rentrer au pays et payer 35 % d’impôts. Elles ont attendu Donald Trump qui les a taxées, lui, à 15,5 % si l’argent revenait avant fin 2017, et fait passer ce taux d’impôt à 21 %. Le reste va suivre.

300 milliards de dollars sont revenus au bercail en décembre 2017. Les groupes concernés ont payé l’impôt, vendant leurs bons du Trésor, puis… ont racheté les actions de leur société pour en faire monter le cours. Pas plus d’investissements : ils sont déjà élevés. Pas plus de salaires : il s’agit d’Apple ou de Facebook, dont les salariés sont à l’abri du besoin ! Ces rachats d’actions entrent dans une longue pratique américaine, mais qui s’accélère. Selon Goldman Sachs, 1 000 milliards de dollars serviraient en 2018 à racheter des titres, le double de 2017. Une analyse de la «National Employment Law Project» aux Etats-Unis s’en insurge : l’employé de McDonald’s aurait eu droit à une augmentation annuelle de salaire de 4 000 dollars si son entreprise n’avait pas utilisé 21 milliards entre 2015 et 2017 pour racheter ses actions. Le manque à gagner s’élève même à 7 000 dollars pour les collaborateurs de Starbucks et à 18 000 dollars pour ceux de Home Depot ! 60 % des profits entre 2015 et 2017 ont été ainsi recyclés. Alors, les Bourses américaines montent : + 30 % environ depuis janvier 2017 pour le Dow Jones et le S&P 500, et plus de 50 % de progression pour le Nasdaq !

Cet effet richesse est très particulier. Il soutient certes la croissance, mais les taux d’intérêt montent peu car les salaires montent peu, même en plein-emploi. En conséquence, l’inflation reste sous contrôle. Cette polarisation de la richesse réussit, jusqu’à présent, à obtenir un plein-emploi non inflationniste, donc une politique monétaire toujours accommodante, même après la hausse des taux du 26 septembre. Symétriquement, Donald Trump se lance dans des batailles de droits de douane qui inquiètent les pays émergents. Couplées parfois à des attaques qui font chuter les changes et monter l’inflation (Turquie), elles y ralentissent la croissance. La Chine, le véritable «ennemi», est en train de fléchir et sa Bourse baisse : - 10 % environ depuis janvier 2017. Donc sa politique monétaire doit être plus accommodante, même si les crédits accordés pour soutenir la croissance accroissent les risques, principalement dans le secteur public et l’immobilier.

Le jeu de Donald Trump est de pousser chez lui la Bourse, en la concentrant auprès du fameux «1 % de la population», et de creuser l’écart avec les autres Bourses, de façon à faire des Etats-Unis le lieu le plus attirant du monde. Mais cette course à la valorisation boursière, conjuguée à la diminution du nombre d’actionnaires, est doublement risquée. La Fed va continuer à monter ses taux au moment où l’économie mondiale ralentit, du fait des batailles douanières, et une nouvelle inflation va naître aux Etats-Unis, là aussi à cause de ces batailles douanières. Pour le moment, chacun continue ses jeux de hausses et de représailles. En montant, la Bourse américaine domine la politique monétaire. Mais attention au retour de bâton chinois. La Chine va faire des efforts de productivité, pour moins ressentir les taxes douanières américaines. Les producteurs informatiques chinois vont partout vendre moins cher, Huawei en tête. Apple va finir par souffrir, comme Amazon, Qualcomm, Microsoft ou Facebook.

Alors, si les vedettes de la Bourse américaine chutent, tandis que, en retard, les salaires américains montent, et l’inflation avec, que fera Jerome Powell à la Fed ? Suivra-t-il Wall Street (et le souhait de Trump) en cessant de monter les taux, ou son mandat en les montant? Sacrée «domination boursière» !

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite de l’université Panthéon Assas ,  Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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