Quatre concepts financiers qui nous sauveront
Cela n’a jamais été un secret : la finance est ce qui divise le plus les politiques français, pour ne pas dire le corps social, et ceci depuis des lustres, en bonne part par méconnaissance. Ce désamour s’explique par la haine du profit, ce célèbre vol du « travail gratuit » chez Marx. N’empêche, la finance essaie de théoriser, pour les accroître durablement, les résultats des efforts et des idées des salariés et des entreprises. Cette finance touche donc au profit, ce qui l’expose aux critiques, pour ne pas dire à l’incompréhension, antichambre à l’opposition frontale. Or les temps que nous vivons montrent un creusement des écarts de patrimoines entre « jeunes » et « vieux », qui cristallisent les écarts de profit. A nous donc de comprendre les quatre mots à la source de ces tensions, pour les réduire et bénéficier ainsi d’un monde plus calme et efficace, pourquoi pas ?
1. Impôt en baisse : un soutien à longue portée
L’entreprise dépend des risques qu’elle prend, puis de ses succès, alias de ses profits diminués des impôts. Ce profit net devient la base de sa croissance, notamment par comparaison avec les pays concurrents, avec en sus sa prévisibilité. Rien n’est possible en effet sans vision stable sur l’avenir pour calculer les résultats d’une société. De là découleront ses embauches, ses salaires et ses investissements. L’imprévisibilité se paie par une prime de risque supérieure (au moins psychologique), avec moins de prise de recherche, d’investissements et d’embauches, donc de profit futur. Il n’y a pas d’autre secret pour comprendre ce qui se passe dans les pays concurrents qui réussissent. Autrement, ceci pèse sur le déficit budgétaire, fait monter les taux à long terme de l’emprunteur le plus sûr de la nation, puisqu’il peut taxer. Sa crédibilité est la base de la confiance de tous. Pour sortir du piège de la dette, l’impôt doit donc être égal à celui des principaux concurrents et mieux encore, orienté à la baisse. Pas de compétitivité, donc pas de croissance, autrement.
«De plus en plus, avec la révolution technologique en cours, il est à prévoir que les dividendes perdront de leur attrait, car c’est la montée des titres qui rémunère le risque.»
2. Dividendes : pas un cadeau, mais un signal pour investir plus
Les dividendes sont la part des résultats de l’entreprise qu’elle remet à ses actionnaires. C’est sans doute la notion la plus déformée. Il ne s’agit pas d’un « vol », pas davantage d’une « rémunération » des actionnaires et des risques pris, puisque le vrai enrichissement des actionnaires, et aussi des salariés, passe par la montée de la valeur des titres, celle de la firme. Elle permet seule la conquête de marchés rentables par l’investissement, grâce à l’accumulation de résultats, base de la croissance interne : c’est l’opposé de la distribution de dividendes ! Distribuer des dividendes, c’est en effet appauvrir l’entreprise du montant exact de cette sortie de liquidités.
Mais alors, pourquoi le faire ? Pour montrer à ses actionnaires que l’entreprise ne les oublie pas, qu’ils pourront avec ces dividendes acheter davantage de ses titres. Surtout, ils sont, au-delà d’une prime de fidélité, un signe : l’engagement de l’entreprise à continuer sur sa lancée, un signal. Le dividende d’aujourd’hui est le profit de demain.
Pour être plus clair, il faut dire qu’il s’agit ici d’entreprises âgées, importantes et cotées, pas de celles qui se lancent. Les start-up ne distribuent pas de dividendes et misent sur leur succès, autrement dit sur la montée de leurs cours. Elles récoltent des fonds qui se savent risqués et qui parient sur le succès des innovations qu’ils financent. La valorisation des titres prouvera leur flair.
De plus en plus, avec la révolution technologique en cours, il est à prévoir que les dividendes perdront de leur attrait, pour en revenir au sens même du capitalisme à ses débuts : c’est la montée des titres qui rémunère le risque. Elle permet l’enrichissement vrai de l’actionnaire, non pas une sorte de rente. C’est ce qu’il faut encourager, en soutenant l’innovation. C’est notre vraie solution.
3. Rachat d’actions : une protection à expliquer
Les rachats d’actions sont la source de critiques croissantes. On dit ne pas comprendre pourquoi l’entreprise brûlerait ses titres en les échangeant contre sa trésorerie : elle s’affaiblirait. On entend alors, pour le défendre, que ce rachat signifie que l’entreprise juge qu’elle a trop de capital et qu’il vaut mieux le rendre aux actionnaires. Eux sauront, librement, quoi en faire. D’autres ajouteront surtout que soutenir ainsi le titre est une façon de protéger l’entreprise d’un achat hostile, pour défendre son autonomie, la renforcer, à moins que ceci ne permette de faire une acquisition, par échange de titres ! Le rachat d’actions se fait alors stratégique. On comprend d’autant moins ces critiques du rachat que l’on voit le rôle décisif des fonds de pension pour équilibrer notre système de retraite par répartition, face à une démographie en berne.
4. Concurrence monopolistique en intelligence artificielle : notre nouveau monde
Qui dit concurrence dit plusieurs entreprises, mais en situation monopolistique, une seule gagnera. Contradictoire, mais de plus en plus vrai en intelligence artificielle : il faut pouvoir investir des milliards en recherche pour réussir. Ils seront perdus en cas d’échec certes, mais en donneront bien plus en cas de succès, et ainsi de suite.
Ce nouveau monde s’étend, parce que c’est celui de coûts marginaux qui augmentent très peu, voire n’augmentent pas. Moralité : ceux qui peuvent prendre le risque d’innover en profitent très largement, bien au-delà de leurs échecs éventuels. Ils rachèteront les licornes qui promettent, attireront des talents. Ils concentreront profits et innovations, en Chine ou surtout aux Etats-Unis, sans que vienne frapper la sanction des monopoles « anciens » : la baisse des profits. Nvidia passe ainsi de 25 $ l’action en 2022 à 173 $ : la Bourse a bien compris que les lois économiques ont changé et que les profits vont surtout à ceux qui innovent, pour qu’ils continuent. La concurrence fait donc naître des monopoles : ce sont les troupes de la révolution technologique en cours. Inutile de les sanctionner par la loi ou l’impôt, si on veut qu’ils se mondialisent.
On comprend l’importance et le sens de ces concepts financiers : ils permettent seuls de réussir aujourd’hui. A nous de nous méfier des vieux et des fakes !
Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Il est membre du Cercle des économistes.
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