Chine/Etats-Unis : deux dettes et deux monnaies en guerre

Publié le 30 mars 2018 à 11h03    Mis à jour le 30 mars 2018 à 15h43

Jean-Paul Betbeze, Deloitte

Les taux longs vont-ils monter et le dollar baisser ? C’est ainsi que peut s’écrire l’histoire qui vient, en fonction des mouvements politiques, économiques et financiers des plaques tectoniques mondiales, sauf si la politique bouscule plus les choses !

Les Etats-Unis ont décidé de s’endetter plus, les ménages un peu, la puissance publique surtout (dépenses militaires, baisses d’impôts et grands travaux), pour augmenter leur croissance potentielle. Il s’agit de la faire passer de 1,8 % à 2,5 %, soit de pousser la croissance courante actuellement à 2,7 %, vers 3,2 % ou 3,5 %, avec un «nouveau plein emploi». Cela dépendra du taux de chômage qui pourrait aller vers 3,5 %, mais avec plus d’heures de travail et surtout d’un taux d’emploi supérieur.

Il faudra en effet plus d’Américains (et d’Américaines) qui travaillent plus et plus longtemps, même si la productivité augmente peu au début. C’est la «bonne façon» de Make America Great Again et de faire accepter, entre-temps, un déficit public supérieur : 800 milliards en 2018 et 1 100 en 2019, contre 700 en 2017. Les taux monteront peu, si l’inflation reste sous contrôle, avec plus de salariés. Mais, avant que la production interne ne reparte suffisamment, le soutien budgétaire fera augmenter la demande, donc les importations. Déficit budgétaire en hausse, les taux longs montent ; double déficit, budgétaire et extérieur, le dollar baisse.

Mais la Chine aussi veut s’endetter, mais mieux. Elle entend maintenir sa croissance (officielle) à 6,5 %, en se fondant plus sur la demande interne que sur l’exportation. Elle veut en outre assainir la dette des collectivités et des entreprises publiques, ainsi que surveiller la montée de celle des ménages et des entreprises privées. La Chine lit en effet les messages permanents du FMI et de la BRI sur la bulle de ses crédits et sur leur mauvaise qualité ! Elle entend donc croître au moins autant, politique oblige, mais avec assez de marge pour traiter ses crédits compromis (au moins 10 % du PIB pour les seules entreprises publiques).

Il faudra donc plus de Chinois et de Chinoises au travail, et plus qui migrent des entreprises exportatrices (acier et charbon, dont beaucoup fermeront) vers celles destinées à satisfaire la demande interne. Et aussi plus de crédit pour assurer la transition, ceci permettant de digérer les mauvais crédits mis à jour.

Néanmoins, la politique américaine de taxation des importations et surtout de surveillance des droits de propriété va réduire les exportations chinoises et, partout, les mouvements de biens et de services. Donc les excédents chinois recyclables en bons du Trésor américain vont se réduire, les taux longs américains monter.

Il n’est pas sûr que la Chine accepte une montée du yuan par rapport au dollar, qui ne l’arrange pas, suscitant un nouveau frein à sa croissance.

La Chine peut alors dire qu’elle veut améliorer la qualité de sa dette interne (une de ses trois «batailles décisives»)… et s’inquiéter en regard de la dette américaine. Elle pourrait laisser entendre qu’elle réduira un peu ses achats, ce qui fera monter les taux longs américains et chuter la Bourse. Mais ce serait trop !

Bien sûr, le jeu américain n’est pas coopératif, en revanche les marchés financiers regardent surtout, dans chaque pays et surtout aux Etats-Unis, les salaires et les prix, en supposant que la Fed, avec Jerome Powell, calmera le jeu. Pour le financement du déficit américain, ils pensent que rien ne vaut le dollar, en particulier avec ce qui se passe en Europe et en écoutant les bruits de bottes.

Le jeu chinois ne peut être frontal. Un ralentissement chinois mettrait en évidence les dettes compromises dans les banques et le shadow banking. Une recapitalisation pomperait les réserves de change, renforçant les tensions sur le dollar. Et 6,5 % sont promis !

Quelles confusions ! La Chine sait bien que la guerre mondiale des dettes et des changes est lancée, mais elle a intérêt à ralentir la «montée aux extrêmes». Xi Jinping est élu, Trump doit faire peur. Et il ne peut, lui, qu’accélérer, élections de novembre oblige. Mais quand même : avoir plus de croissance avec moins d’immigrés, et plus d’Américains dans des services peu qualifiés à qui l’on fait miroiter la hausse de la Bourse, ce n’est pas évident ! La «solution» serait que l’Europe laisse monter l’euro. Malheur aux moins gros !

Jean-Paul Betbeze, Deloitte

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