L'analyse de Jean-Paul Betbèze

Fed, BCE : politique monétaire ou politique tout court ?

Publié le 28 juin 2019 à 11h31    Mis à jour le 28 juin 2019 à 17h21

Jean-Paul Betbèze

Voyons : la question ne se pose pas ! Mais avec Trump et la succession de Mario Draghi, oui ! Normalement, les cloisons sont étanches : les banques centrales sont indépendantes de la politique pour accomplir leurs objectifs, objectifs à plus long terme que les cycles électoraux. Et leurs responsables sont certes choisis par les politiques, mais avec des majorités qui se veulent larges, pour de longs mandats. Hors faute majeure, les expulser est impossible.

Et la Fed fait carton plein sur ses objectifs ; pourtant, le président Trump la critique en permanence, notamment son Président, Jerome Powell, qu’il a nommé ! Stabilité des prix, vers 2 % à moyen terme et plein emploi sont au menu de la Fed, ce à quoi on peut ajouter que ces 2 % sont «symétriques» : nous sommes à 1,8 %, après 2 %. Chômage au plus bas : nous sommes en plein emploi, avec un taux de chômage à 3,6 %. Et les taux à long terme doivent rester aussi bas que possible : ils sont à 2 % !

Pourquoi donc critiquer la Fed ? Parce que les crédits seraient trop faciles, le marché obligataire en bulle, les actions trop hautes ? Non, et pourtant on pourrait ! C’est géopolitique, disent les marchés financiers, parce que l’inquiétude est très forte : les taux longs sont inférieurs aux taux courts. Ce n’est pas une question «prudentielle» ajoutent-ils, ce qui impliquerait plus de régulation : surtout pas ! Les taux doivent baisser, c’est tout ! C’est contre moi (et le pays), assène Donald Trump. Les taux trop élevés de la Fed et sa réduction du quantitative easing (aujourd’hui stoppée) freinent la croissance et soutiennent indûment le dollar, donc brident ma politique de rapports de force. Les taux doivent baisser ! Impossible à la Fed de répondre que pousser la croissance au-delà du potentiel n’est pas son objectif, et surtout raviverait l’inflation au-delà de 2,5 %. Dire que le dollar dépend du Trésor non de la Fed n’est pas admis non plus, et pourtant ! La séquence d’objectifs du système monétaire américain : tenir la croissance à moyen terme, c’est tenir la finance et la banque, donc les entreprises et l’emploi, donc le dollar et la société, se renverse avec Trump. Pour lui, le dollar étant ce qu’il y a de mieux au monde, on peut sans risque le faire baisser et demander aux autres monnaies de monter, pour augmenter ici la croissance potentielle en freinant les leurs!

Et la BCE n’arrive toujours pas à obtenir 2 % d’inflation : 1,2 %. Même si les anticipations officielles (politiques ?) suivent gentiment les siennes, avec une inflation qui remonterait doucement, mais vers 1,6 % en 2021 (!), les anticipations privées décrochent. La BCE répète qu’elle ne manque pas d’outils pour arriver à ce 2 % avec ses taux super-bas, l’emploi et les salaires qui remontent peu. Le magistère de Mario Draghi est tel que les banques n’osent guère se plaindre de sa politique de réserves négatives, pour les pousser à prêter. Mais quand même, impossible de continuer et a fortiori de les réduire sans compensations. Elles minent les résultats des banques, donc leurs valorisations boursières, tandis que la Banque centrale leur demande plus de fonds propres ! Plus fortes, les critiques contre cette politique ultra-accommodante viennent des deux bords opposés. Bord allemand, avec l’idée que ces taux bas dissuadent de faire les efforts nécessaires pour réformer chaque économie et y réduire les déficits publics. Bord italien, avec l’idée qu’il faudrait permettre de régler les dettes publiques avec des mini-bons spéciaux. Le bord allemand amène un euro plus fort, l’italien l’inverse. Bonjour, la succession de Mario Draghi !

Cette politisation des politiques monétaires conduit à la guerre des monnaies, auparavant cachée sous leurs objectifs. Avec un dollar qui veut baisser contre euro et contre yen, tant pis pour eux : le yuan est surtout en ligne de mire. L’euro reprendra son QE et la monnaie chinoise est coincée. Accusée de manipulation par le président Trump (ce que ses services du Trésor ne parviennent pas à démontrer), Trump la fait baisser en attaquant l’économie chinoise ! Alors la Banque centrale chinoise doit la soutenir en baissant ses taux, ce qui fait baisser le yuan, ce qu’elle atténue en vendant ses réserves, des obligations américaines, ce qui l’affaiblira aussi à terme – et fera monter les taux longs américains ! La politique monétaire a toujours été politique, mais plus finement qu’aujourd’hui !

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite de l’université Panthéon Assas ,  Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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