Fed, BCE : pourquoi la cible d’inflation est faite pour être ratée

Publié le 25 septembre 2020 à 18h07

Jean-Paul Betbèze

La Fed le reconnaît : elle n’a pas réussi à obtenir 2 % d’inflation, même avec ce qu’elle croyait être le «plein-emploi» : 3,5 % de taux de chômage. Il lui faudra donc maintenir des taux bas plus longtemps encore et ne pas les monter de sitôt, comme elle l’a fait par erreur en 2017 ! Et que dire de la situation actuelle, avec la crise de la Covid-19 ? Elle devrait faire chuter le PIB de 3,8 % en 2020, avec une reprise incertaine de 4 % en 2021, selon l’OCDE. La Covid-19 a en effet «consommé» deux ans de croissance, fait monter le chômage à 14,7 % en deux mois et le fait aujourd’hui lentement baisser, vers 8 %. 

Avant, face à ce choc, la Fed aurait poursuivi, plus longtemps encore, sa politique de taux d’intérêt bas et de refinancement sans limite du budget américain. Mais tel n’est pas son choix. Fin août, à la conférence (virtuelle) de Jackson Hole, Jerome Powell avait déjà vendu la mèche : la cible d’inflation est importante, mais plus important est le taux de chômage, et plus encore le taux de chômage «inclusif». C’est-à-dire celui qui prendra en compte la situation des «communautés», entendez afro-américaines ou hispano-américaines. Comme s’il ne suffisait pas de rechercher «l’ancien plein-emploi» ! 

Aujourd’hui, la Fed annonce qu’elle va donc viser au-delà de la cible qu’elle a ratée, en allongeant la période pendant laquelle elle maintiendra ses taux bas, ne les montant que lorsque l’inflation aura dépassé «quelque peu» 2 %, pendant «quelque temps». Jerome Powell parle alors de «renforcer» sa «forward guidance» : elle ira jusqu’à 2023. Les marchés ont bien compris que le futur président des Etats-Unis n’a pas de soucis à se faire : pas de hausses de taux d’intérêt dans les quatre ans qui viennent ! En revanche, comme tout devra être entrepris pour faire baisser le taux de chômage des minorités les plus exposées, cela impliquera des politiques budgétaires spécifiques et des formations particulières, par les entreprises, avec ensuite des hausses de salaires. Et l’inflation suivra.

En fait, la Fed sait bien pourquoi elle se met dans une situation plus propice encore au ratage de sa cible d’inflation : derrière l’idée que les taux courts resteront à 0 %, l’essentiel est de maintenir aussi bas et aussi longtemps que possible les taux d’intérêt à long terme. Les entreprises pourront ainsi se restructurer et se concentrer en s’endettant, ce qui soutiendra aussi la Bourse et l’immobilier.

La Banque centrale européenne (BCE) sait également qu’elle n’atteindra pas 2 % d’inflation à moyen terme, étant actuellement à - 0,2 % ! Ses prévisions et celles des prévisionnistes professionnels annoncent 1,3 % en… 2022 ! L’inflation de la zone euro sera ainsi en dessous de l’américaine, donc les hausses européennes de taux seront plus lentes : rien avant 2024, au plus tôt ! Mais la BCE ne le dit pas ainsi. Plutôt que d’allonger son horizon temporel en fonction de l’emploi, Christine Lagarde tente de modifier le seul objectif qui est le sien : l’inflation. Elle souhaite inclure la réduction des inégalités et la lutte contre le réchauffement climatique. Ainsi, nous aurions des objectifs à dix et vingt ans, ce qui posera des problèmes de calcul, donc de crédibilité. Le risque de rater est donc supérieur.

Au total, la cible d’inflation est toujours présente dans les discours des banques centrales, un peu comme une statue sur une cheminée : il faut la regarder tout le temps sans la bousculer. Mais l’essentiel est ailleurs. Aux Etats-Unis, le principal est que les taux d’intérêt à long terme soient bas, pour permettre la reprise, par le refinancement du budget et l’amélioration à terme de l’emploi. En zone euro, l’essentiel est aussi que les taux d’intérêt à long terme restent bas pour aider les budgets des pays et financer le plan de relance de la Commission européenne, et que les taux courts demeurent eux aussi bas afin de dissuader d’épargner et soutenir le crédit et les réseaux bancaires.

Bien entendu, chaque banque centrale surveille l’autre. Quand Jerome Powell annonce, le 18 septembre, qu’il ne montera pas ses taux d’intérêt avant 2023, il sait qu’il va au-delà des annonces de la BCE. Il parie qu’elle ne poussera pas sa «forward guidance» aussi loin, ce qui lui permettra de faire baisser le dollar par rapport à l’euro. Il a un an d’avance, le temps que la BCE présente sa nouvelle (et compliquée) stratégie. Moralité : réussir une politique monétaire, c’est mieux rater la cible d’inflation.  

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite de l’université Panthéon Assas ,  Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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